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Normes internationales et insécurité juridique

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL | publié le : 10.05.2011 |

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Normes internationales et insécurité juridique

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Plusieurs décisions récentes confirmant le caractère incontournable et supérieur des normes communautaires et internationales, les entreprises et leurs conseils doivent les intégrer pleinement dans leur analyse pour prévenir les risques futurs découlant de l’incompatibilité du droit national avec les textes internationaux.

La France a prouvé, en matière juridique, son engagement à l’international. Elle est ainsi, avec l’Allemagne, à l’origine de la création de l’Union européenne. Elle est également l’un des pays au monde à avoir ratifié le plus de conventions internationales, notamment des conventions OIT en matière sociale.

Paradoxalement, l’ensemble de notre système juridique peine à appliquer ces dispositions d’ordre supranational qui lui sont pourtant opposables. En droit international, comme en droit communautaire, la France a ainsi déjà fait l’objet de nombreuses condamnations – restées sans effet, ou presque, en droit interne.

En matière sociale, cette “réticence” française peut s’expliquer par la complexité de notre système juridique : notre législation étant considérée comme l’une des plus complexes au monde et l’une des plus favorables aux intérêts des salariés, le législateur a pu se croire à l’abri de toute condamnation…

La primauté des conventions OIT… L’évolution jurisprudentielle récente de la Cour de cassation montre toutefois l’impact alarmant d’une telle politique : le 15 décembre 2010, la chambre sociale a rappelé (à propos du contrat nouvelle embauche) qu’un texte de loi édicté en violation d’une convention internationale dûment ratifiée est juridiquement nul, cette nullité affectant des situations juridiques déjà établies (rf. : Soc. 08-45242). Les juges suprêmes ont ici fait valoir que la convention OIT était opposable aux employeurs depuis sa date de ratification par la France, et que les dispositions relatives au CNE, promulguées après cette ratification, étaient privées d’effets depuis la date de leur entrée en vigueur.

…et de la Charte sociale européenne. Dans le même temps, deux décisions du Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe du 23 juin 2010 (rendues publiques le 14 janvier 2011) relevaient que la loi française contrevenait aux dispositions de la Charte sociale européenne en matière de temps de travail, pourtant ratifiée par la France (notons que cette Charte relève du droit international, non du droit européen).

Il s’agit des dispositions relatives aux forfaits jours et astreintes : pour le Comité, non seulement la durée de travail hebdomadaire autorisée est excessive et ne permet pas d’octroyer des garanties suffisantes aux salariés, mais l’assimilation du temps d’astreinte, hors temps d’intervention, à du temps de repos constitue une violation du droit à « une durée raisonnable du travail ».

Ces décisions rappellent à l’Etat français la supériorité de la norme internationale, directement applicable devant les juridictions judiciaires internes. Dès lors, en application de l’arrêt précité du 15 décembre 2010, il existe un réel risque de voir remis en cause les accords collectifs instaurant des forfaits en jours.

Par voie judiciaire, les salariés concernés seraient en droit de faire constater la nullité des dispositions de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 instaurant le système de forfait jours et de solliciter le paiement d’heures supplémentaires. Outre le fait que les dispositions nationales sur le forfait jours et l’astreinte sont en sursis, cette non-conformité du droit français ne peut qu’être source d’insécurité juridique bien plus large pour les entreprises françaises. Seule une mise en conformité des dispositions en cause permettrait d’éviter un chaos juridique important : au-delà de la condamnation de la France et de la perte de sa crédibilité sur la scène internationale, l’enjeu est fondamental pour les entreprises.

Ces dernières décisions confirment, sans aucun doute, le caractère incontournable des normes communautaires et internationales ainsi que la nécessité impérieuse pour les entreprises et leurs conseils de les intégrer pleinement dans leur analyse.

C’est la seule façon de pallier la carence du législateur français et de prévenir les risques futurs découlant de l’incompatibilité du droit national avec les textes internationaux.

Rémi Dupiré, avocat associé au cabinet Dupiré & Associés, membre d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.