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« La seule logique financière nuit à la rentabilité »

Enjeux | publié le : 10.05.2011 | PAULINE RABILLOUX

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« La seule logique financière nuit à la rentabilité »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

L’image de l’entreprise est très différente selon que l’on appartient à la direction ou qu’on y est salarié. Ce divorce des représentations repose sur un malentendu auquel il faut trouver des solutions, dans l’intérêt tant des salariés que des entreprises elles-mêmes.

E & C : Votre activité d’expert en audit social vous a confronté à des représentations différentes de l’entreprise, selon qu’on la regarde du sommet ou de la base de la pyramide hiérarchique. De quoi s’agit-il ?

Hubert Landier : Je suis toujours étonné de voir à quel point la façon dont on voit l’entreprise au niveau de la direction générale diffère de celle dont on la perçoit à la base. Les dirigeants ont une conception globale de l’organisation du travail, alors que les salariés, pour leur part, voient l’entreprise à travers ce qu’ils vivent personnellement au quotidien. Vue d’en haut, l’entreprise vise à réaliser des objectifs de résultats dans un contexte économique analysé à partir de paramètres quantifiables. Afin de réaliser ces objectifs, la direction définit des procédures, souvent sur le conseil de cabinets de consulting américains, qui ne connaissent pas grand-chose à la culture française. Mais vues d’en bas, ces décisions pourtant rationnelles dans leur principe, apparaissent souvent comme absurdes à ceux qui doivent les mettre en œuvre. Par exemple, les augmentations individuelles au mérite, qui reposent théoriquement sur des critères objectifs et transparents, paraissent souvent arbitraires aux salariés car, faute d’explications, elles semblent entachées d’arbitraire. D’une manière générale, les dirigeants raisonnent d’une façon qui se veut économiquement rationnelle, alors que les salariés ont d’abord en vue l’ambiance, l’intérêt de leur travail, la qualité des relations avec les collègues et avec l’encadrement de proximité, ou le caractère équitable ou non des méthodes de management qui leur sont imposées. Ils accordent également beaucoup d’importance à ce qui leur paraît significatif du respect de la direction à leur égard.

E & C : Comment expliquez-vous ce divorce ?

H. L. : Il est principalement dû à la distance entre les uns et les autres. Les grands patrons connaissent mal les préoccupations réelles des salariés, et ces derniers ont une image souvent déformée des préoccupations des dirigeants. Ce sont deux mondes qui s’ignorent. Alors que, dans l’ensemble, les relations sont bonnes entre les équipes et l’encadrement de proximité, l’image des hauts dirigeants, que l’on ne rencontre quasiment jamais, est souvent calamiteuse.

Par ailleurs, ce que savent les salariés des contraintes et des perspectives de développement de l’entreprise qui les emploie est très vague. Ceci s’explique par un manque de culture économique mais aussi par des politiques de communication lacunaires, maladroites ou inadaptées. La qualité du climat social dépend pour une bonne part de la qualité des informations orales diffusées par l’encadrement. Or, la tentation est souvent de réduire les temps de réunion pour gagner en productivité, ce qui se révèle contre-productif malgré le temps ainsi gagné. C’est une illusion dangereuse de s’imaginer que l’information écrite, et notamment l’information via l’intranet de l’entreprise, peut remplacer les contacts humains.

Ces différences de perception entre le sommet et la base de l’entreprise posent un problème d’intermédiation. Celle-ci devrait normalement être assurée, d’une part, par l’encadrement, d’autre part, par les représentants du personnel. L’expérience montre que les uns comme les autres jouent souvent très mal ce rôle pourtant important. Faute de retour, les dirigeants sont obligés de faire appelà des intervenants extérieurs pour réaliser des enquêtes d’opinion ou des audits de climat social, afin d’avoir une perception plus claire de ce que ressentent les salariés. Mais cela ne remplace pas le lien réel.

E & C : Quelles sont les conséquences de ce grand écart entre les représentations et comment y remédier ?

H. L. : C’est très simple : nous assistons à un désengagement massif des salariés, qui se traduit par une perte de rentabilité des entreprises. Celle-ci peut se révéler importante, même si elle n’est pas visible. Or la dynamique de l’entreprise doit s’inscrire dans un jeu à somme positive : si l’on veut que les salariés contribuent à sa réussite, il faut qu’ils y trouvent leur intérêt.

De ce point de vue, il y aurait beaucoup à faire pour améliorer les choses. Les salariés doivent se sentir partie prenante. Pour cela, il faut qu’ils soient informés et consultés. A cet égard, le rôle de l’encadrement intermédiaire est essentiel, mais, accaparés par d’autres priorités, les managers n’ont plus le temps d’écouter leurs collaborateurs. De même, les RH de proximité ont parfois été remplacés par des “portails RH” qui éliminent tout contact humain. Faute d’une présence suffisante des DRH, de l’encadrement, des représentants du personnel, les salariés n’ont plus aucun recours face aux problèmes auxquels ils se trouvent confrontés.

Les dirigeants doivent accepter le fait que l’entreprise ne se limite pas à des intérêts financiers, mais qu’elle représente aussi une communauté humaine. On ne peut pas réduire cette réalité à quelques pages de PowerPoint ou de tableurs Excel. Il faut remettre en cause la logique du court terme au profit d’un développement sur le long terme. Non par simple altruisme, mais parce que la logique financière aujourd’hui, paradoxalement, nuit à la rentabilité financière. Il faut accepter de regarder autre chose que les chiffres pour améliorer le chiffre d’affaires. La réussite globale de l’entreprise repose d’abord sur les hommes qui la composent.

PARCOURS

• Hubert Landier est vice-président de Synergence, agence spécialisée en ingénierie et communication de développement durable. Docteur ès sciences économiques, il est également vice-président de l’Institut international de l’audit social, et enseignant, notamment à l’école Centrale, Paris 5 et Paris-Dauphine.

• Il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels : Evitez le stress de vos salariés (2009), dont il a coordonné la rédaction. Il vient de publier dans Penser entreprise-société (L’Harmattan), un article intitulé “La pluralité sociale de l’entreprise”.

• Il anime par ailleurs un blog intitulé Socioland.

LECTURES

• Les Grandes Représentations du monde et de l’économie, René Passet, éditions LLL, 2010.

• Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Jared Diamond, Gallimard, 2006.

• Philosophes taoïstes, textes présentés par Etiemble, La Pléiade, 1980.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX