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LE GRAND DÉFI DE L’ÉMIGRATION VERS L’ALLEMAGNE

Pratiques | International | publié le : 03.05.2011 | FRANÇOIS GAULT, À VARSOVIE

Depuis le 1er mai, la frontière germano-polonaise est largement ouverte aux travailleurs. Les acteurs économiques s’attendent à un bouleversement du marché du travail, tant les rémunérations du puissant voisin sont avantageuses.

La Pologne s’inquiète pour ses emplois, et les acteurs économiques s’apprêtent à subir un sérieux choc. Depuis ce 1er mai, en effet, la frontière avec l’Allemagne est ouverte aux travailleurs. Deux millions de Polonais ont déjà émigré dans l’Union européenne depuis 2004. Mais ce chiffre pourrait bien grimper. Berlin avait en effet décidé – sauf pour les emplois de services – de reporter au 1er mai 2011 l’ouverture de son marché du travail aux ressortissants des nouveaux membres de l’Union européenne.

« En 2004, dans notre pays, avec 20 % de chômage, nous exportions nos chômeurs. Mais aujourd’hui, avec un chômage à 13 %, nous allons voir partir des Polonais qui ont un emploi, affirme l’économiste démographe Krystyna Iglicka. Et un risque de marasme pèse sur les régions les plus pauvres du pays. Près de la frontière polono-allemande, déjà, des communes se vident peu à peu, des magasins ou des écoles ferment. »

Répartis sur plusieurs années, selon les sociologues, ce nouvel exode social pourrait atteindre 400 000 à 500 000 salariés. En effet, les besoins de l’Allemagne sont grands : maçons, menuisiers, soudeurs, vernisseurs, mécaniciens, infirmières, ingénieurs… Et, depuis quelques mois, les Allemands viennent chercher ces spécialistes en Pologne. Pour attirer les jeunes, on leur propose ainsi apprentissage gratuit de la langue, stages en entreprise, bourse de 700 euros, logements. « Notre voisin assèche le marché du travail polonais », dénonce Krystina Iglicka.

Et le directeur de l’agence pour l’emploi de Nysa, au sud de la Pologne, l’admet : « Nous n’avons aucune offre à proposer à une majorité de chômeurs, aucun argument pour les convaincre de rester au pays ! » Rares sont les employeurs ou les services gouvernementaux qui se sont préparés à cette nouvelle vague d’émigration, pourtant prévisible depuis plus de cinq ans.

Augmentation des salaires

« Pour retenir mes ouvriers, j’ai été obligé d’augmenter les salaires de 10 %, et ce n’est pas fini », explique un patron vitrier d’Opole, au sud-ouest du pays. 60 % des PME estiment qu’elles vont désormais être contraintes de l’imiter, au prix de lourds efforts. Le salaire moyen est de 2 200 euros en Allemagne, contre 829 euros – et un salaire minimum de 346 euros – en Pologne. Maciej Duszczyk, de l’Institut de politique sociale et conseiller du Premier ministre, s’étonne : « Notre économie se développe, la croissance dépasse 4 %. Mais il n’y a toujours pas d’amélioration sur le marché du travail. Les entreprises n’investissent pas, elles n’embauchent pas, et les augmentations de salaires sont trop limitées. »

Package de fidélisation

En revanche, les sociétés étrangères implantées en Pologne sont prêtes à résister. « De 2004 à 2008, nous avons connu un important turnover, explique notamment Eric Charles, DRH de Bouygues Immobilier en Pologne. Nous avons commencé à le maîtriser en 2009 et, en 2010, nous sommes parvenus à le maintenir à 7 %. Nous disposons par ailleurs d’un important package de fidélisation et nous allons l’améliorer encore avec un plan d’épargne d’entreprise. En plus, nos salariés bénéficient de la meilleure mutuelle du pays, avec 80 % de leurs médicaments remboursés… et prochainement 90 %. »

La société suédoise Medicover joue sur l’organisation du temps de travail et les salaires : « Nos infirmières ont un poste principal, mais elles peuvent cumuler plusieurs postes dans l’entreprise, donc elles gagnent davantage », précise Loic Frêtard, son directeur. Quant à Grégoire Nitot, de la SII Pologne (250 salariés), il ne s’inquiète guère : « Chez nous, ingénieurs et techniciens perçoivent des salaires de haut niveau ; ils resteront. »

Dès à présent, environ 100 000 Polonais s’apprêtent à partir travailler en Allemagne. Comme Bartlomiej, 19 ans : « J’ai déjà travaillé aux Pays-Bas. Je n’ai pas gagné une fortune et ce n’était pas toujours facile. Mais quand je vois ce qui se passe chez nous, de nouveau, je souhaite partir. J’en ai assez de devoir travailler 300 heures par mois pour obtenir une rémunération suffisante… »

Auteur

  • FRANÇOIS GAULT, À VARSOVIE