Un jeune chef d’établissement franchisé par le groupement des Mousquetaires en 2005 a imprimé un style de management si extrême qu’il lui a valu deux condamnations, pénale et prud’homale. Le groupement continue de n’y voir qu’un « cas particulier ».
Un directeur de magasin peut être reconnu coupable de harcèlement moral envers plusieurs salariés sans perturber le groupement des Mousquetaires qui l’a recruté en franchise et formé. C’est ce qui se confirme pour l’Intermarché de Guise (Aisne), où Stéphane Bocquet préside comme avant la SAS Guisa porteuse de l’enseigne, alors qu’il a été condamné en juin 2010 à payer 226 492 euros de dommages et intérêts à 8 salariés, au terme d’une procédure de quatre ans, au pénal (jusqu’en appel) puis aux prud’hommes.
Début 2006, lorsque Stéphane Bocquet prend les commandes du magasin avec son épouse – le groupement préconise la direction en couple –, c’est pour succéder à un autre Mousquetaire en fin de carrière. Cette “fine lame”, dans le jargon maison, a alors 34 ans. Dans l’année qui suit, 13 de ses 60 salariés vont quitter l’entreprise. Dont 8 le poursuivront en correctionnelle et aux prud’hommes. Leur avocate, Christine Hamel, a fait requalifier ces départs – démissions ou licenciements – en licenciements sans cause réelle et sérieuse.
Parmi eux, Marie-Noëlle Lecat, la cinquantaine, onze ans d’ancienneté, chef de rayon fruits et légumes. C’est elle qui a fait éclater l’affaire. En arrêt maladie au bout de dix mois et ce durant deux ans, elle avait été licenciée pour inaptitude par la suite. Le médecin du travail avait déclaré cette déléguée CFDT « inapte à réintégrer son poste, pour danger immédiat sur la santé ». Un reclassement était inimaginable. Elle explique : « Si la propreté du rayon ne lui convenait pas, je devais laver le sol à l’éponge, devant l’équipe. Il m’insultait ouvertement. Il lui arrivait de téléphoner après le service, menaçant : “Ça va chauffer pour votre matricule si vous ne revenez pas”. » Elle assure s’être rendue disponible de 5 heures à 19 heures pour éviter les reproches.
Le cas de l’Intermarché de Guise ne laisse pas d’étonner. Par le nombre de plaintes sur une si courte période. Par le dispositif d’enquête, également : la gendarmerie a convoqué l’ensemble du personnel. Plus tard, à l’étape des prud’hommes, deux conseillers s’étaient déplacés dans le magasin pour mener leurs propres auditions, avant l’audience de jugement. Marie-Noëlle Lecat n’a pas retrouvé de travail. L’idée de renouer un lien de subordination lui est impossible. Elle se promet de créer une cellule d’écoute pour des salariés victimes de harcèlement.
Aujourd’hui, aucun syndicat n’est représenté dans l’établissement. Son directeur, que nous avons contacté à plusieurs reprises, est resté injoignable. Quant au groupement qui lui a maintenu son agrément, il semble n’avoir pris aucune disposition corrective pour adapter le recrutement, accompagner ou former ses adhérents aux risques psychosociaux. « Le cas de Guise est particulier », relativise Serge Chevalier, responsable du recrutement. A l’entendre, un directeur de magasin est un électron libre : « Nous recrutons des chefs d’entreprise indépendants, actionnaires majoritaires de leur entreprise. Ils ne sont pas sous contrat avec une structure pyramidale. »
Pour la responsable des relations extérieures, il s’agit d’une « vieille affaire », isolée, parmi « 3 000 adhérents ». Elle ne sera toutefois soldée qu’en septembre 2011, une fois que les victimes auront touché l’intégralité de leurs dommages et intérêts. Et après ?
• Activité : grande distribution.
• Effectif : 53 salariés.
• Chiffre d’affaires 2009 : 16,9 millions d’euros.