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Le sentiment d’injustice au sujet de la rémunération croît avec l’âge

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 26.04.2011 | PAULINE RABILLOUX

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Le sentiment d’injustice au sujet de la rémunération croît avec l’âge

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Un fort sentiment d’injustice par rapport à sa rémunération caractérise la population française. Les personnes aux revenus modestes sont les premières concernées, mais aussi les individus dans la force de l’âge, ce qui semble en contradiction avec l’idée communément admise que la situation des salariés est plus favorable en fin de carrière qu’au début.

E & C : Les Français ne semblent pas satisfaits de leur niveau de rémunération ; à quel point ?

Sidonie Naulin : A l’occasion d’une étude quantitative réalisée fin 2009, nous avons interrogé 1 711 personnes formant un échantillon représentatif de la population française sur leur perception des inégalités et sur leur sentiment de justice. Les inégalités de revenus sont celles pour lesquelles les Français se sentent le plus souvent « très défavorisés », devant les inégalités qui concernent le patrimoine, la pénibilité du travail, la précarité de l’emploi, la scolarité, le genre, l’âge… La réponse la plus fréquente, lorsqu’on demande aux Français d’évaluer la justice de leur rémunération, est que celle-ci est « un peu plus basse que ce qui serait juste » (43 %). Seuls 31 % des Français considèrent qu’ils sont justement rémunérés.

E & C : Quels sont les Français qui se considèrent sous-payés ?

S. N. : Le positionnement quant au caractère juste de sa rémunération varie selon les caractéristiques sociodémographiques des personnes. Le montant du revenu, la profession, l’âge et l’opinion politique sont les caractéristiques qui influent le plus sur le sentiment d’être injustement payé. Plus une personne a des revenus élevés, moins elle risque de considérer sa rémunération comme injuste. Alors que 77 % des personnes qui gagnent de 500 à 800 euros par mois se considèrent comme rémunérées en dessous de ce qui serait juste, ce n’est le cas que de 36 % des personnes qui gagnent 2 400 euros ou plus. Le sentiment d’injustice diminue donc à mesure que la rémunération augmente. Toutefois, il reste encore 36 % des personnes parmi les plus riches qui, tout en s’estimant favorisées au sein de la société, ont l’impression de ne pas être reconnues à leur juste valeur. Les analyses se fondant sur la profession corroborent les résultats mis en évidence par l’étude des niveaux de revenus. 72 % des ouvriers et des employés se jugent sous-rémunérés. A l’inverse, les cadres supérieurs sont sous-représentés parmi les personnes insatisfaites de leur rémunération – 51 % contre 64 % pour l’ensemble de la population. Ce qui semble moins aller de soi, et qui en tout cas contredit l’idée admise selon laquelle les salariés en fin de carrière sont favorisés par rapport aux nouveaux entrants, c’est que la part des Français qui se considèrent moins bien rémunérés qu’il ne serait juste augmente régulièrement à mesure que les individus vieillissent durant leur vie active – la tendance s’inverse à partir de 60 ans.

L’opinion politique enfin, conduit à une appréciation différenciée de la justice de sa rémunération. Les personnes situées à l’extrême gauche de l’échiquier politique sont celles qui ont le plus fort sentiment d’être rémunérées moins qu’il ne serait juste – c’est le cas de 70 % des personnes qui se classent à l’extrême gauche. Viennent ensuite les personnes situées « au centre » (68 %) puis les personnes situées à l’extrême droite et à gauche – respectivement 65 et 64 %. Enfin, avec un écart important, se trouvent les personnes situées à droite qui ne sont que 57 % à se dire « moins que justement » rémunérées. Si le degré de tolérance aux inégalités est corrélé avec le fait de voter plus à droite comme cela a pu être montré par ailleurs, en revanche, cette corrélation n’est pas aussi linéaire, dès lors qu’il s’agit de juger sa propre situation.

E & C : Au nom de quoi une rémunération est-elle perçue comme juste ou injuste ?

S. N. : Pour juger du caractère juste ou non de leur rémunération, les Français se réfèrent d’un côté à des critères qui renvoient à des caractéristiques personnelles – leur effort, leur compétence – ; et de l’autre à des critères de comparaison avec les revenus de groupes de référence – collègues, classe d’âge, moyenne des Français, hauts revenus du secteur. La majorité des Français considère les critères individuels de l’effort et de la compétence comme « très importants » pour expliquer leur sentiment d’injustice vis-à-vis de leur rémunération, tandis que les critères comparatifs sont seulement désignés comme « importants ». Toutefois, les deux types de critères peuvent être mobilisés simultanément : on peut par exemple être à la fois mécontent de sa rémunération parce que l’on juge son travail mal récompensé au regard de son effort, et se juger discriminé par rapport à ses collègues.

E & C : Quels enseignements peut-on tirer de l’ensemble de cette étude ?

S. N. : De grandes tendances se dégagent pour l’ensemble des Français concernant leur rapport aux inégalités et à la justice sociale dans le domaine des rémunérations. Un fort consensus existe pour reconnaître l’importance du mérite individuel dans une rétribution équitable du travail. Cependant, l’ordre des paramètres du mérite que les interviewés souhaiteraient voir valorisés pour rémunérer le travail (d’abord l’effort, puis les résultats, les talents et enfin le niveau de diplôme), est inverse de celui qu’ils pensent être actuellement en vigueur. Il est aussi notable que, bien qu’adhérant au principe méritocratique, les Français souhaitent un moindre étalement de la grille des revenus, et ce quelle que soit leur situation socio-économique personnelle. Enfin, il apparaît que les Français ont le sentiment d’appartenir à une société globalement très inégalitaire, ce qui induit une attente forte de justice sociale.

PARCOURS

• Sidonie Naulin enseigne à l’université Paris IV-Sorbonne et réalise une thèse de sociologie économique au Gémass (unité mixte de recherche du CNRS et de l’université Paris IV-Sorbonne), sous la direction de Philippe Steiner. Elle est agrégée de sciences économiques et sociales.

• Elle est l’auteure du chapitre “Le sentiment de justice à l’égard de sa propre rémunération”, dans le livre Les Français face aux inégalités et à la justice sociale (Amand Colin, 2011). Elle prépare actuellement, avec Anne Jourdain, un ouvrage intitulé La Théorie de Pierre Bourdieu et ses usages sociologiques (Armand Colin, rentrée 2011).

LECTURES

• Repenser l’inégalité, Amartya Sen, Le Seuil, 2000.

• L’Ancien Régime et la Révolution, Alexis de Tocqueville, Gallimard, [1856], 1973.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX