Dominique Girardot, Le Bord de l’eau, 250 pages, 20 euros.

La notion de mérite semble faire consensus dans la société contemporaine. A droite comme à gauche, chacun pense y trouver là, selon les cas, une raison de justifier les inégalités réelles de conditions ou un espoir qu’il y soit mis fin, au nom de ce que l’on doit à l’individu méritant. A l’heure où certains se lamentent sur la perte des valeurs, il semble donc que le mérite soit la valeur révérée par la majorité de nos concitoyens en ce qu’elle fonderait une société démocratique, où les privilèges ne seraient pas accordés au nom de la caste d’appartenance mais au nom de la performance au travail des individus.

Cependant, pour Dominique Girardot, professeur de philosophie, cette notion consensuelle est particulièrement dangereuse, car elle gomme à la fois les aléas de la vie et ce qui, dans le travail, relève non de l’implication des individus mais du collectif. De plus, elle perd de vue l’intérêt et le sens de la tâche pour se focaliser sur ce qu’elle peut rapporter : je ne travaille plus parce que je crois à ce que je fais, mais parce que je peux démontrer par là mon excellence et faire progresser ma carrière.

Enfin, à l’heure où le travail semble en quantité insuffisante pour procurer à tous un emploi, ne mettre en avant que le seul mérite comme valeur de l’individu condamne à la nullité les exclus du travail. Sous une apparence de promotion de la justice sociale, le mérite est donc un extraordinaire vecteur de dislocation sociale, car il efface la notion de communauté et passe à la trappe la solidarité. Le culte du mérite ne justifie-t-il pas l’indifférence à l’exclusion et au malheur ?