logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enjeux

Evaluation, le stress des DRH

Enjeux | Chronique juridique par AVOSIAL | publié le : 26.04.2011 | STÉPHANIE STEIN

Image

Evaluation, le stress des DRH

Crédit photo STÉPHANIE STEIN

« Parmi les outils de gestion, on a montré que le plus délétère de tous pour la santé mentale est l’évaluation individualisée des performances. Couplée à la menace sur l’emploi, cette méthode d’évaluation se mute en management par la menace. Elle introduit la peur comme méthode de gouvernement, et elle monte tous les travailleurs les uns contre les autres, déstructurant ainsi les solidarités et le vivre-ensemble. La solitude et la désolation se sont abattues sur le monde du travail, aboutissant à une détérioration tellement profonde des relations de travail que certains finissent par se suicider sur les lieux mêmes de leur activité. » C’est ainsi que le très sérieux Christophe Dejours, psychiatre, présente l’évaluation dans Le Monde(1). Il montre, si besoin était, à quel point cette question est devenue sensible.

Même si elle ne présente pas toujours, loin s’en faut, un tel enjeu, l’évaluation est au cœur des thèmes qui agitent l’entreprise : restructuration (l’évaluation négative peut conduire à désigner un salarié par application des critères d’ordre des licenciements), rémunération et, d’une façon générale, conditions de travail.

A l’origine apparemment inoffensive, cette arme est devenue à double tranchant et risque de se retourner contre ceux qui considèrent encore qu’il s’agit d’un simple outil de gestion RH sans enjeux juridiques. Le temps où il était jugé que l’évaluation des salariés était « inhérente au pouvoir de direction de l’employeur »(2) semble lointain. Depuis que les organisations syndicales se sont emparées du sujet, il a été précisé, en particulier, qu’il convient de consulter le CE et le CHSCT(3), de faire une déclaration à la Cnil si le système est informatisé(4) et, bien entendu, d’adopter des critères objectifs(5). Les critères comportementaux ne sont toutefois pas interdits, puisqu’ils peuvent être pris en compte dès lors qu’ils ont trait à l’exercice de la fonction du salarié, comme par exemple demander à un cadre de mieux communiquer avec son équipe(6).

Il semble aussi facile d’éviter la discrimination syndicale en appliquant la règle récemment rappelée, selon laquelle il convient d’éviter d’évoquer au cours de l’entretien d’évaluation, même de façon objective, la simple existence d’un mandat ,dans la mesure où l’exercice de ces activités ne peut pas être pris en considération dans l’évaluation professionnelle(7), ce qui laisse d’ailleurs entière la délicate question de l’évaluation des IRP.

Faut-il pour autant y renoncer ? Certainement pas, puisque les salariés qui ne bénéficient pas d’un entretien sont fondés à obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de voir évoluer leur carrière(8). De plus, les tribunaux n’invalident pas systématiquement les systèmes d’évaluation. Celui de General Electric a été reconnu licite par le TGI de Versailles(9), comme l’avait été celui de Hewlett Packard mettant en place un “ranking”.

C’est donc surtout sous l’angle de la santé au travail et de la prévention des risques psychosociaux que se pose aujourd’hui la question de l’évaluation. Il faut « intégrer le facteur humain, et donc la santé des salariés »(11) et ne pas faire de l’entretien annuel un rituel au mieux sans signification et au pire stressant. Le simple bon sens donne déjà des lignes directrices, comme celle qui conduit à établir clairement les objectifs et à veiller à ce que les collaborateurs qui ont la charge de ce délicat exercice soient formés et responsabilisés. Enfin, à l’instar de l’accord européen du groupe Thales(12), la prudence impose de prévoir un système de recours ouvert aux salariés, même si la gestion des réclamations qui peuvent en résulter risque fort de stresser… les DRH.

Stéphanie Stein, avocate associée au cabinet Eversheds LLP, membre d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.

1. Le Monde, 22 février 2011, p. 18, “Sortir de la souffrance au travail”.

2. Cass. Soc. 10 juillet 2002.

3. Cass. Soc. 28 novembre 2007.

4. Cass. Soc. 28 novembre 2007.

5. Cass. Soc. 9 avril 2002.

6. TGI Nanterre 20 novembre 2009.

7. Cass. Soc. 23 mars 2011.

8. Cass. Soc. 31 janvier 2007, 10 novembre 2009.

9. TGI Versailles 28 octobre 2010.

10. CA Grenoble 12 novembre 2002.

11. Rapport de la commission Lachmann de février 2010.

12 Accord Talk Thales 14 avril 2010, article 5, procédure d’appel : “La démarche d’entretien annuel d’activité repose entre autres sur l’existence d’un climat de confiance. Néanmoins, il peut survenir des désaccords relatifs à l’évaluation des résultats ou à la démarche elle-même. Pour permettre de résoudre ces désaccords, une procédure d’appel sera mise en place, nonobstant les dispositions des procédures nationales”.

Auteur

  • STÉPHANIE STEIN