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Enquête

Vers un partenariat durable avec les sous-traitants

Enquête | publié le : 19.04.2011 | CAROLINE FORNIELES

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Vers un partenariat durable avec les sous-traitants

Crédit photo CAROLINE FORNIELES

En France, plus de 30 % des PME sont en relation de sous-traitance avec d’autres entreprises. Les conditions sociales des salariés de ces petites structures restent précaires. Et pour cause, la pression économique de leurs clients est forte, comme le souligne un rapport remis cet été au gouvernement. Mais quelques initiatives visent déjà à changer la donne.

Les conditions sociales des salariés des sous-traitants restent critiques. Une étude de la Dares rappelait en février dernier qu’ils ont les contrats les plus précaires, les contraintes horaires les plus difficiles (avec plus de travail de nuit), et qu’ils sont davantage exposés aux accidents du travail. « Ces conditions sociales difficiles sont souvent liées à la pression économique des donneurs d’ordres, qui ont parfois des attitudes à la limite de l’acceptable, déportant sur leurs sous-traitants un maximum de contraintes. Et ce sont les salariés de ces fournisseurs qui en souffrent », constate Jacques Khéliff, directeur du développement durable de Rhodia.

Ces comportements ont été confirmés par le rapport de Jean-Claude Volot, médiateur des relations interentreprises industrielles et de la sous-traitance, remis le 30 août 2010 au gouvernement. Parmi les 35 pratiques qui rendent la vie infernale aux sous-traitants, les modifications brutales ou les ruptures de contrats et les délais imposés pour le paiement des factures sont les plus graves. Jean-Claude Volot constate qu’elles ont contribué à des dépôts de bilan et à des destructions d’emplois pendant la crise : « Ces comportements fragilisent le tissu des PME français, ce qui est néfaste pour notre compétitivité. »

Renforcer le tissu des PME

Ce rapport coïncide avec une prise de conscience des industriels hexagonaux : « Les grands patrons ont réalisé combien cette situation contrastait avec celle de l’Allemagne, où grands groupes et PME sous-traitantes s’étaient serré les coudes », commente Patrick Pierron, de la CFDT. « Ils constatent qu’au fil du temps, clients et fournisseurs allemands ont construit une relation gagnant-gagnant. Résultat : ils sont plus compétitifs. Ils se présentent unis aux appels d’offres et remportent les marchés », rappelle-t-il.

Espérant changer la donne, le ministère de l’Industrie a installé en décembre dernier des comités stratégiques de filières chargés de renforcer le tissu des PME dans 12 secteurs et de créer des relations plus partenariales entre donneurs d’ordres et sous-traitants. En juin 2010, 35 grands patrons ont créé l’association Pacte PME pour parrainer leurs fournisseurs : « Il s’agit de développer des relations d’excellence avec ces PME et de les aider à se développer par la recherche de nouveaux marchés en France. L’association organise le soutien à l’innovation et un accompagnement pour se développer à l’étranger. Elle prévoit également la formation par les grands groupes d’apprentis pouvant être utiles aux fournisseurs », résume Emmanuel Leprince, directeur de l’association.

Des indicateurs chiffrés

Pacte PME, présidée par Fabrice Brégier, directeur général délégué d’Airbus, espère présenter fin avril les 25 meilleures pratiques de ses membres. En juin prochain, un comité de suivi composé de représentants des grandes entreprises et des PME se mettra en place pour évaluer la qualité des relations clients-fournisseurs à partir d’indicateurs chiffrés. L’évaluation régulière permettra des améliorations sur le long terme : « Ce nouveau partenariat devrait créer un écosystème intelligent de croissance. L’effet sera positif pour tout le monde. Mais cela implique de sortir de l’individualisme et du profit à court terme », commente Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric et fondateur de l’association.

Parallèlement, 129 entreprises se sont engagées à développer 10 bonnes pratiques vis-à-vis de leurs sous-traitants en signant la charte créée en février 2010 par la Compagnie des dirigeants et acheteurs de France (Cdaf) et par la médiation interentreprises. La charte impose le respect des engagements contractuels et le recours à la médiation en cas de conflit.

Créée en avril 2010, la médiation interentreprises se trouve déjà légitimée par les conflits qu’elle a réglés : « Près de 200 dossiers ont été traités, ce qui représente 450 000 salariés et 13 000 entreprises. Nous avons pu sauvegarder les relations entre fournisseurs et clients et les emplois dans plus de 80 % des cas », se félicite Jean-Claude Volot.

Vers une labellisation

Pour aller plus loin, la médiation a achevé avec l’aide de Vigeo un référentiel qui permettra de s’assurer que les signataires de la charte tiennent leurs engagements, en mesurant notamment la satisfaction des fournisseurs. « Présenté début mai aux entreprises pour qu’elles puissent se l’approprier, ce référentiel pourrait servir dans un second temps à les labelliser par le biais d’audits externes », précise Françoise Odolant, chargée de mission à la médiation. « Si ce référentiel s’attache à veiller aux impacts que peuvent avoir les achats sur la compétitivité des PME, des filières et des territoires, remarque Marie-Solange Dubès, directrice de mission à Vigeo, il intègre aussi des engagements en matière de RSE : le donneur d’ordres doit sensibiliser ses sous-traitants à la question, et s’engage à intégrer la RSE dans les critères de choix de ses fournisseurs. »

Certaines entreprises en ont déjà fait un critère de sélection de leurs sous-traitants. C’est le cas de Rhodia : « Nous sommes convaincus que notre performance dépend étroitement de leur efficacité. La qualité d’un geste de travail a un prix. Si on ne se donne pas les moyens d’entretenir l’expertise de nos fournisseurs, de les aider à retenir leurs salariés compétents, c’est nous qui serons perdants au final », commente Jacques Khéliff. Ces bonnes pratiques, soutenues par des associations comme l’Agora des directeurs achats, tendent à se développer. On les retrouve chez Siemens, Legrand ou Peugeot. Patrick Thélot, président de Phone Régie, prestataire de services d’accueil et de téléphonie pour les entreprises, constate des progrès : « Mes clients, auparavant prompts à délocaliser et à faire baisser les coûts, ont eu des déboires. Ils sont maintenant prêts à payer le prix de prestations garantissant de bonnes conditions de travail et de la sécurité. »

De nouvelles normes

La diffusion de cette culture pourrait être renforcée par des initiatives internationales, notamment la norme ISO 26000, adoptée fin novembre 2010 par 99 pays. L’Afnor a mis en place un groupe de travail composé de représentants de la médiation, de l’Observatoire des achats responsables, du service des achats de l’Etat, de la Cdaf et du cabinet d’audit Mazars, pour publier bientôt un document normatif sur la norme ISO 26000.

Engagements en RSE

On attend aussi, le 27 avril, la remise à jour des “principes directeurs” de l’OCDE, qui visent notamment à responsabiliser la relation avec les sous-traitants. Les agences de notation se sont également saisies du sujet : « L’intégration de critères sociaux et environnementaux dans la relation avec les fournisseurs est déjà prise en compte dans les notations de Vigeo sur la performance en RSE des entreprises », rappelle Sophie Thiéry, directrice de Vigeo Enterprise. L’agence aide les clients à inclure des exigences de RSE dans leurs appels d’offre.

Elle labellise aussi les réalisations des fournisseurs dans ce domaine (lire encadré ci-contre). « Une politique d’achat responsable qui accompagne le sous-traitant vers une démarche RSE est bénéfique. Le donneur d’ordres en retire une qualité et une fiabilité dans ses approvisionnements en biens et services. Mais cela implique de tourner le dos aux pratiques de “moins-disant social” ou “d’enchères inversées” qui font reposer le choix uniquement sur les prix », commente-t-elle.

A quelle vitesse ces initiatives pourront-elles changer la donne ? « Tout dépendra de la prise de conscience des acteurs. Mais si la responsabilité a effectivement un prix, l’irresponsabilité serait encore plus coûteuse », met en garde Jacques Khéliff.

L’essentiel

1 Les conditions sociales des salariés des sous-traitants sont dégradées. Ces effets sont largement liés aux comportements des donneurs d’ordres, qui restent critiquables.

2 Différentes initiatives visent à changer la donne pour créer des relations plus partenariales. Et la RSE s’invite peu à peu dans la relation client-fournisseur.

3 Ceux qui poursuivent leurs mauvaises pratiques s’exposent à une atteinte de leur image et à des condamnations au pénal pour les infractions les plus graves.

La gestion sociale de Lyonnaise des Eaux auditée par Vigeo

Depuis la transposition d’une directive européenne sur les marchés publics en 2006, les collectivités territoriales sont de plus en plus attentives aux clauses de développement durable que leur proposent les délégataires de service public. Lyonnaise des Eaux en a pris la mesure : pour mieux les convaincre dans les appels d’offre, elle a confié à Vigeo l’audit externe de ses politiques sociales depuis 2006.

« La performance sociale et environnementale est devenue indispensable pour les gestionnaires privés, qui se font souvent objecter qu’ils sont moins sensibles aux questions sociales et environnementales que les régies publiques », commente Samuel Dufay, directeur de production pour Vigeo Enterprise. Parmi les engagements sociaux audités : le recours à l’alternance, la part de la masse salariale consacrée à la formation professionnelle, l’écart de rémunération entre hommes et femmes, la gravité et la fréquence des accidents de travail, le taux d’emploi des personnes handicapées… Vigeo a fait apparaître les valeurs pour chaque item, en les comparant aux résultats des années antérieures. Elle note aussi les projets, l’importance de leur déploiement et la consistance des résultats. Selon la dernière synthèse publiée en 2010, l’entreprise de 11 600 salariés se situe dans la bonne moyenne en termes de résultats de gestion sociale.

Par ailleurs, depuis 2004, une petite équipe pluridisciplinaire est mobilisée durant trois à quatre mois chaque année pour réaliser un audit au siège de Lyonnaise des Eaux (di­rection et représentants de salariés), puis dans trois des 31 centres régionaux de production. Deux personnes s’y déplacent durant deux jours. Les informations recueillies sont croisées avec celles fournies par les parties prenantes extérieures : élus des collectivités, CCAS, associations… L’équipe fait ensuite des préconisations d’amélioration qui pourront inspirer les prochains appels d’offre.

LAURENT POILLOT

Auteur

  • CAROLINE FORNIELES