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Enquête

Malaise chez les nomades du nucléaire

Enquête | publié le : 19.04.2011 | C. F.

La catastrophe de la centrale japonaise de Fukushima a remis en lumière la situation délicate des sous-traitants du nucléaire en France, où quelque 30 000 salariés nomades réalisent 80 % des tâches de maintenance.

Pour les représentants de salariés des sous-traitants du nucléaire, la dégradation récente des conditions de travail est liée à la volonté d’EDF d’imposer des arrêts de tranches de plus en plus courts, qui obligent les équipes à travailler plus vite : « Les risques se multiplient, parce qu’on est passé d’une maintenance préventive à une maintenance corrective : on répare quand cela s’abîme », commente ainsi Philippe Billard, porte-parole de l’Association sous-traitance santé et ex-élu CGT du sous-traitant Endel.

Sous-traitants de sous-traitants

Les salariés dénoncent de longs trajets pour rejoindre les réacteurs et des conditions de logement difficiles, souvent dans des caravanes : « L’indemnité d’environ 75 euros ne suffit pas toujours à trouver une chambre dans un hôtel. Et, bien souvent, nous sommes trop nombreux pour pouvoir tous nous loger », relate Bruno Cornet, syndicaliste CGT du sous-traitant Spie.

D’autres éléments alimentent le malaise, précise Philippe Billard, comme « les feuilles d’intervention qu’on demande de signer à des salariés qui n’osent pas toujours s’opposer quand leur contenu n’est pas totalement exact ». Les responsabilités apparaissent parfois diluées, car des groupements d’entreprises se partagent la gestion d’un chantier. La présence d’intérimaires, interdite dans les zones dangereuses, inquiète. De même, on rencontre sur les sites des salariés étrangers, employés par des sous-traitants de sous-traitants. « On croise des Allemands, des Roumains et des Portugais qui ne sont pas accompagnés en permanence de traducteurs. Pourront-ils se débrouiller en cas de problème ? », s’interroge Bruno Cornet.

Ce dernier fait également état de difficultés rencontrées par des salariés proches de la retraite, qui n’arrivent pas à retracer la totalité de la dose absorbée pendant leur carrière. Annie Thébaud-Mony, chercheuse honoraire à l’Inserm, confirme : « Les informations sont désormais informatisées auprès de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), mais les données plus anciennes ont été successivement stockées par deux précédents organismes (le SCPRI et l’Ofpri) et n’ont pas toujours été correctement reprises. Il n’est pas simple de les récupérer auprès du médecin du travail du sous-traitant, qui renvoie aux médecins des centrales. » Elle déplore aussi que « l’informatisation ait dépossédé le salarié du contrôle de ces doses. Il devrait être informé régulièrement de sa dosimétrie et pas seulement en cas de problème ».

Suivi médical minimaliste

Le suivi médical est jugé minimaliste. Pour Philippe Billard, il devrait, compte tenu des risques, être réalisé jusqu’au décès du salarié : « Les examens sont succincts, on ne regarde jamais si de la radioactivité s’est déposée dans le corps. On ne surveille pas la thyroïde. »

Enfin, certains travaux sont jugés particulièrement dangereux, notamment les séances de nettoyage des poussières radioactives du fond des piscines où elles se sont accumulées. « Les salariés placés dans de lourdes combinaisons nettoient au chiffon et à la serpillière. On ne comprend pas qu’une robotique performante ne fasse pas ce travail », s’agace Annie Thébaud-Mony, qui rappelle que, le 16 mai, le TGI de Rouen devra trancher une affaire d’accident du travail d’un salarié d’Endel, victime de contamination interne à la centrale de Paluel (Seine-Maritime). Du côté de la direction d’EDF, le vécu est totalement différent.

Tout au plus, Philippe Sasseigne, directeur adjoint de la division production nucléaire d’EDF, consent à dire « qu’améliorer les conditions de travail est un processus continu ». Il fait valoir que la charte de progrès et de développement durable, signée par 13 organisations professionnelles du nucléaire en 1997, a permis de diviser par 3 le niveau de rayonnements ionisants absorbés par les salariés. « La surveillance de l’IRSN est sérieuse. La fréquence des accidents du travail chez les sous-traitants a été ramenée au même niveau que celle des agents EDF. Ils bénéficient aussi du même suivi médical », ajoute-t-il.

Surcoût de 20 %

Pour le choix des 20 000 entreprises qui interviennent chaque année, EDF tient compte des objectifs de sécurité et de formation que se fixent les sous-traitants, « acceptant parfois un surcoût de 20 %, dès lors que les offres sont plus responsables ».

Philippe Sasseigne ajoute que le recours à des salariés étrangers est très rare : « Alstom fait intervenir des salariés des pays de l’Est parce qu’ils sont spécialisés et savent réparer un alternateur sur le site », explique-t-il. Le directeur adjoint rappelle enfin que la sous-traitance a toujours existé dans les centrales : « Il arrive d’ailleurs qu’EDF réinternalise certains travaux de maintenance pour conserver des compétences. C’est le cas actuellement pour des travaux spécialisés de robinetterie. »

EDF

• Activité : production et commercialisation d’électricité.

• Effectif : 169 000 salariés.

• Chiffre d’affaires : 65,2 milliards d’euros en 2010.

Auteur

  • C. F.