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Enquête

« La réforme ne protège pas les Opca de pratiques anticoncurrentielles »

Enquête | L’entretien avec | publié le : 12.04.2011 | VALÉRIE GRASSET-MOREL

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« La réforme ne protège pas les Opca de pratiques anticoncurrentielles »

Crédit photo VALÉRIE GRASSET-MOREL

E & C : Le décret précisant les missions de service des Opca et les conventions d’objectifs et de moyens signées avec l’Etat clarifie-t-il leur situation au regard du droit de la concurrence ?

D. S. : L’incertitude juridique demeure. Le fait que les Opca soient chargés d’une mission d’intérêt général, celle de collecteur-répartiteur des contributions des entreprises, et soient gérés de manière paritaire ne leur permet pas d’échapper à l’application des règles de concurrence, notamment lorsqu’ils développent des activités qui ne sont pas directement rattachables à leur mission d’intérêt général.

Les autorités de la concurrence – Commission européenne, Cour de justice de l’Union européenne, Conseil de la concurrence français, Conseil d’Etat et Cour de cassation – adoptent une approche dite fonctionnelles qui peut être transposée au cas des Opca : seules les activités qui ne sont pas de nature économique peuvent échapper ipso facto aux règles de libre concurrence. Lorsque les Opca offrent des services gratuits – conseil, diagnostic RH, ingénierie… – financés par des fonds mutualisés, sur des marchés potentiellement concurrentiels, ils faussent la concurrence. Or, rien ne prouve que ces activités répondent à un besoin d’intérêt général qui ne peut être satisfait en respectant le jeu de la concurrence.

E & C : Certaines activités gratuites des Opca les rendent-elles attaquables ?

D. S. : A partir du moment où ils offrent des services gratuits, les Opca peuvent en effet être attaqués par d’autres prestataires s’estimant lésés. Ce sera alors aux juges de se prononcer sur la légalité de ces pratiques. Jusqu’à la nouvelle réforme, on pouvait arguer que le marché sur lequel interviennent les Opca n’en était pas un, dans la mesure où ils limitaient leur offre de services à des activités proches de leur cœur de métier d’origine. Faute de rentabilité, peu de prestataires se positionnaient sur ces segments de marché, et la plupart des clients concernés – les PME-TPE notamment – n’étaient pas disposés à payer pour un tel service. Désormais, les Opca ont pour mission de proposer une palette élargie de services à leurs adhérents, y compris aux entreprises qui peuvent s’offrir un service payant. Ils sont quasiment encouragés à fausser la concurrence. Enfin, on peut ajouter que, pour financer ces services, les Opca utilisent des fonds normalement affectés à la formation des salariés. Je ne suis pas sûr que telle était l’intention du législateur lorsqu’il a créé la contribution obligatoire.

E & C : Comment lever cette incertitude juridique ?

D. S. :En obligeant les Opca à commercialiser leurs services ! Dans la configuration actuelle, les Opca pourraient créer des entités autonomes chargées de les vendre. Tout dépend de la capacité des partenaires sociaux à apprendre à bien séparer leurs activités et à gérer une activité commerciale sans y “perdre leur âme”.

Une autre option pourrait être de “parfaire” la mise sous tutelle du système par l’Etat en centralisant la collecte au sein d’un seul organisme public. Il pourrait utiliser une part de ces fonds pour financer des services aux entreprises grâce à des appels d’offres. Les prestataires, paritaires ou non, seraient alors en concurrence sur ces marchés, et les services pourraient éventuellement rester gratuits.

Enfin, on peut aussi songer à une réforme plus profonde avec la transformation de l’obligation fiscale en une contribution volontaire née d’un accord collectif, avec mise en concurrence par les branches des prestataires de services. Dans un tel système, il serait possible d’imaginer l’intervention d’organismes paritaires. Je reste convaincu que la gestion paritaire peut être un formidable atout sur certains marchés concurrentiels. La réforme des Opca oblige les acteurs à approfondir la réflexion sur l’articulation offre de services-droit de la concurrence.

Auteur

  • VALÉRIE GRASSET-MOREL