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« Les leviers de motivation au travail évoluent selon l’âge »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 12.04.2011 | ERIC DELON

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« Les leviers de motivation au travail évoluent selon l’âge »

Crédit photo ERIC DELON

Les approches traditionnelles des facteurs de motivation au travail ont atteint leurs limites.? Il faut désormais prendre en compte l’investissement personnel, qui varie en fonction de l’âge du salarié, dans trois registres : les obligations, les initiatives et les aspirations.

E & C : Peu satisfaite des approches classiques en matière de motivation au travail, vous proposez une démarche réexplorant la dynamique individuelle et l’impact de l’âge des individus sur cette question.

Fabienne Autier : En effet, les théories dites “gestionnaires” se sont construites sur une approche externe de la motivation : comment un manager peut-il susciter de l’extérieur la motivation des individus au travail ? Les réponses classiques sont notoires : le contrôle, la sanction, l’incitation et l’enrichissement du contenu du travail. Ces approches ont atteint aujourd’hui leurs limites. Dans la lignée des travaux initiés par le psychologue américain Abraham Maslow, nous proposons* une nouvelle grille de lecture pour analyser 50 “autopsies d’une semaine ordinaire”, réalisées avec 50 managers d’horizon très divers. Nous avançons que la motivation au travail résulte de l’investissement par chaque individu de trois registres d’activité : les obligations, les initiatives et les aspirations.

E & C : Pouvez-vous décrire ces trois moteurs ?

F. A. : En nous engageant dans une relation d’emploi, nous sommes tenus à des obligations, c’est-à-dire des activités auxquelles nous ne pouvons pas déroger, prescrites et imposées dans notre contrat de travail ou dans nos fiches de poste… Leur réalisation donne le sentiment d’appartenir à un collectif de travail et, de ce point de vue, nourrit notre besoin de sécurité et d’appartenance. Les initiatives, elles, procèdent de la réalisation de nos attentes internes. Elles constituent les “activités à notre initiative” dans notre journée de travail, participent à la construction de notre identité professionnelle personnelle et nous singularisent dans le collectif de travail. Elles peuvent être personnelles – améliorer son espace de travail, prendre du temps pour un déjeuner de travail avec un collègue – ou organisationnelles : proposer un projet d’amélioration ou de nouveau produit, améliorer les conditions de travail de ses collaborateurs… Quant aux aspirations, elles relèvent ce que l’on aspire à être, à devenir. L’atteinte de ces aspirations procure un sentiment de réalisation de soi et génère du sens au travail. Ce qui fait une aspiration est le sentiment de dépassement personnel dont elle est porteuse. Exemple : aller au devant des clients pour les convaincre d’une nouvelle approche quand la relation à l’autre est difficile, solliciter l’attention de sa direction générale pour proposer un nouveau projet quand on s’en pense incapable…

E & C : Comment se sont situés les managers interviewés par rapport à ces trois moteurs ?

F. A. : Concrètement, nous avons constaté une hypertrophie généralisée des obligations avec un temps de travail extensif – douze heures par jour, souvent complétées par du travail au domicile – dû à un certain nombre de contraintes : accroissement des responsabilités en conséquence de l’écrasement des structures hiérarchiques, croissance du nombre d’interlocuteurs et de donneurs d’ordres – clients, fournisseurs, sous-traitants… En corollaire, l’intéressé dispose de peu de temps à consacrer aux autres registres de la motivation, à savoir les initiatives et les aspirations. Comme nous l’a confié ce directeur administratif et financier interrogé : « Mes journées n’ont rien de bien alléchant. En général, je réponds aux demandes qui me sont faites. Je me suis habitué. » L’hypertrophie des obligations produit l’épuisement professionnel, dont les symptômes extrêmes – burn-out, suicides – sont surmédiatisés actuellement.

E & C : L’accomplissement ou non dans les trois registres produit-il les mêmes effets quel que soit l’âge des personnes ?

F. A. :Non. Pour les jeunes et les personnes en début de carrière – jusqu’à 35 ans environ –, la place centrale des obligations ne pose pas problème, dès lors que la réussite de leur prise en charge se double d’une progression de salaire et/ou hiérarchique. La prise en charge des obligations est un facteur de motivation, même si celles-ci occupent l’essentiel du temps de travail. En revanche, pour un individu en fin de carrière, la surreprésentation des obligations est facteur de démotivation. Et ce sont davantage les initiatives puis les aspirations, ces activités qui produisent du sens et un goût de dépassement personnel, qui sont sources de motivation. Le point d’inflexion ou de bascule sur le rôle relatif de chacun des moteurs se situe, selon nos observations, autour de la quarantaine.

E & C : Quelles solutions proposez-vous à l’aune de vos constats ?

F. A. : Il y en a de deux sortes : celles qui concernent les individus et celles qui concernent les organisations, les employeurs. Pour les premiers, nous les invitons à prendre le sujet de leur motivation au sérieux. Les doutes, les questions qu’ils se posent au cours de leur carrière sont fondés. Ils doivent apprendre à réguler leurs obligations pour ensuite pouvoir dégager du temps et de l’énergie afin d’accéder à leurs initiatives et aspirations, qui seront les moteurs de leur deuxième partie de vie professionnelle. Du côté des organisations, nous suggérons de mettre en place des lieux propices au recul et à la réflexion individuelle ; être à l’écoute et en soutien des initiatives individuelles, reconnaître les aspirations de chacun et les accompagner dans la mesure du possible – au lieu d’imposer des successions de postes, des trajectoires de carrière préformatées. Cela revient à prendre en compte la dynamique des âges et la rupture introduite par la crise du milieu de vie dans l’accompagnement de la motivation des individus au travail et donc dans leur gestion de carrière.

* L’étude a été conduite avec Sanjy Ramboatiana, notamment intervenant en entrepreneuriat à l’université et à l’EM Lyon.

SON PARCOURS

• Fabienne Autier est professeure-chercheuse en GRH, responsable du département Management, droit et ressources humaines à EM Lyon Business School. Elle intervient en formation continue dans le domaine de la GRH et de la performance sociale.

• Elle conduit actuellement avec Sanjy Ramboatiana, coauteur de Vive l’incompétence ! (Pearson-Village Mondial, 2009), un projet de recherche sur la question de la motivation individuelle et de l’évolution de la place du travail en fonction de l’âge. Elle anime un collectif dénommé TEN – Travail enjeux nouveaux – dédié à ces questions.

• Elle est l’auteure de nombreux articles et de livres, dont L’Antibible des ressources humaines (Pearson Education, 2009).

LECTURES

• Devenir le meilleur de soi-même, Abraham Maslow, Eyrolles, 2009 (réédition).

• Re-motiver au travail, Claude Lévy-Leboyer, Editions d’Organisation, 2007.

Auteur

  • ERIC DELON