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Les RH au chevet de l’hôpital public

Les pratiques | publié le : 05.04.2011 | LAURENT POILLOT

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Les RH au chevet de l’hôpital public

Crédit photo LAURENT POILLOT

La fonction RH doit peser davantage dans la modernisation de l’hôpital public, indique le rapport commandé par le ministère de la Santé. Un objectif déjà engagé à l’AP-HP et aux Hospices civils de Lyon. Avec des résultats peu concluants, estiment les syndicats.

« Il est temps de passer de ressources humaines fondées sur la gestion administrative à une approche plus stratégique de valorisation et de reconnaissance du capital humain. » C’est ce nouveau pilotage de l’hôpital public, associant plus étroitement les personnels administratifs et médicaux, que défendent Danielle Toupillier, directrice générale du Centre national de gestion (CNG) en charge des RH hospitalières au niveau national, et Michel Yahiel, inspecteur général des affaires sociales (Igas), dans un rapport remis fin janvier 2011 au ministère du Travail et de la Santé.

« C’est en quelque sorte un rattrapage, car la récente loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST) avait peu pris en compte la dimension RH », commente Michel Yahiel. Or le chantier est immense : « Le système souffre à la fois d’un excès de tutelle et de contrôle et d’un management centralisé assez “napoléonien”. Et si les directeurs d’hôpitaux sont de bons animateurs, ils sont inégalement outillés », analyse l’ex-président de l’Association nationale des DRH, aujourd’hui directeur général de l’Association des régions de France. « Néanmoins, la mise en place des agences régionales de santé et des pôles d’activité médicale va obliger tout le monde à travailler différemment », analyse-t-il. Il faut sortir de la simple gestion de l’avancement de carrière pour imposer une culture globale des ressources humaines à l’hôpital.

Les 34 recommandations du rapport visent justement à construire cette cohérence (lire encadré p. 16). Il s’agit de coordonner et de valoriser les tâches respectives des différents responsables hospitaliers, qu’ils soient administratifs (directeurs hospitaliers, DRH), médicaux (président de la commission médicale, chefs de pôle d’activité, chefs de service) ou infirmiers (directeur des soins, cadres infirmiers).

« C’est un guide pour l’action qui a le mérite de tracer les voies de la transformation », estime Monique Ricomes, nouvelle secrétaire générale de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et ex-directrice des ressources humaines. Un rapport dont les grandes lignes sont déjà mises en pratique par l’institution. Les RH ont une place “stratégique” dans la mise en œuvre des restructurations qui vont consister à regrouper les activités de 37 établissements sur 12 grands pôles : « Nous sommes membres du comité de direction, et le pilotage médico-administratif fait déjà partie de nos modes d’action », précise-t-elle.

Objectifs budgétaires

Le plus gros hôpital français (90 000 agents et 6,5 milliards d’euros de budget, encore en déficit de 95 millions d’euros en 2010), doit, comme tous les hôpitaux publics, retrouver l’équilibre budgétaire d’ici à fin 2012. Le nouveau DRH, Christian Poim­boeuf, n’aura pas la tâche facile. L’objectif d’équilibre complique sérieusement les RH, reconnaît Monique Ricomes, contraintes de « devoir respecter des objectifs budgétaires tout en développant un dialogue social serein ». Afin de dégager du temps pour la conduite du changement, la DRH a pu néanmoins industrialiser certains outils de gestion : un SIRH de paie et de gestion administrative commun aux agents (110 000 bulletins de paie mensuels) a été ainsi déployé depuis janvier 2009.

Les recommandations du rapport sont aussi mises en œuvre aux Hospices civils de Lyon (HCL). Pour réduire son déficit d’exploitation de 42 % en deux ans (à 54,3 millions d’euros en 2010), l’établissement qui regroupe 23 000 agents a opéré des regroupements par spécialités et une centralisation des activités connexes aux soins (blanchisserie commune, par exemple). Cette mutualisation des activités a modifié les modalités des prises de décision. « Comme le rapport le préconise, commente Marie-Odile Reynaud, DRH des HCL, nous avons renforcé le management de proximité, la reconnaissance des cadres, la délégation de certaines fonctions au sein des activités médicales, comme le recrutement, la formation continue et le recueil des besoins. »

Aux HCL, le projet GPEC a déjà deux ans. « Nous avons aujourd’hui une approche plus participative », commente la DRH, en rappelant que l’instauration par les textes d’un répertoire des métiers date de près de quinze ans. Ses équipes ont d’abord mené la réflexion sur la filière soignante (particulièrement les infirmiers) et les fonctions techniques. « Les derniers décrets sur la formation ont consacré la notion de parcours individuel et d’objectif de formation. L’agent s’adresse aujourd’hui à un correspondant carrière, ce qui permet de situer son projet dans la durée, plutôt qu’au coup par coup. »

Politique d’intéressement

Le seul point toujours en suspens est la politique d’intéressement. « Les réformes attendues vont sans doute créer une prime de fonction et de résultat. La boucle serait bouclée : évaluation, formation et, enfin, augmentation-rémunération », conclut Marie-Odile Reynaud.

Si l’AP-HP et les HCL ont ouvert des chantiers sur les ryth­mes de travail et le dialogue social, réunir dans une seule main le pilotage des RH des médecins et non-médecins, comme le préconise le rapport, apparaît illusoire. Pour Monique Ricomes et Marie-Odile Reynaud, cette proposition, cohérente dans les petits établissements, ne va pas de soi dans les grands CHU.

Bureaucratie hospitalière

Côté syndicats, on doute sérieusement des marges de manœuvre des RH : « Le rapport propose une meilleure reconnaissance des médecins chefs de service, mais comment ?, s’interroge Nicole Smolski, présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers en anesthésie-réanimation élargi (SNPHAR-E). On a ajouté une couche de mandarinat en créant les responsables de pôle, placés au-dessus des chefs de service. Ce qui éloigne un peu plus le médecin des processus de décision. A chaque problème d’organisation, il faut en référer à un back office paralysant. »

« La bureaucratie hospitalière nuit à l’attractivité des carrières, insiste Nicole Smolski. Près de 25 % des postes de praticiens hospitaliers sont vacants. On voit des problèmes de recrutement liés notamment au niveau de rémunération des jeunes praticiens, payés 2 500 euros net pour effectuer 60 à 80 heures par semaine. A la première blessure narcissique, ils n’hésitent plus à travailler en clinique. »

Autre critique : les réformes successives, visant surtout à contraindre les budgets, ont désorganisé l’hôpital. « Jusqu’ici, la seule question posée aux ressources humaines a été de trouver le moyen de faire des économies. Donc de supprimer des postes », commente Daniel Dutheil, secrétaire général FO Santé à l’AP-HP. Le regroupement des activités en douze pôles à l’AP-HP en est, selon lui, l’illustration : « Prenons l’exemple de la centralisation des laboratoires : elle supprime 388 postes de laborantins – sur près de 4 000. Et pour le patient, le délai de réponse s’allonge. »

Insuffisance d’effectifs

« Comme souvent en cas de regroupement, les effectifs sont revus au plus juste, ajoute Antonio Ramirez, délégué CFDT aux HCL. Pour chaque fermeture d’établissement, seules les demandes de mutation des stagiaires et des titulaires sont prises en compte. Pas celles des contractuels. Du coup, on se retrouve avec des effectifs insuffisants. » Et la fonction RH en a elle-même pâti : « Son réseau était beaucoup plus important quand on comptait un RRH par établissement. A l’heure actuelle, nous manquons d’information sur la gestion prévisionnelle des personnels infirmiers, qui est une population en pénurie », précise-t-il.

Cette disponibilité de l’information conditionne la qualité du dialogue social. « Elle est insuffisante, juge sèchement Daniel Dutheil. La direction nous écoute, mais ne répond jamais clairement. A toutes nos questions sur les réorganisations de services, elle nous rétorque que le point doit être traité au niveau du groupe, ou de l’établissement, ou est en réflexion. L’information-consultation à l’hôpital est un écran de fumée. »

Or l’organisation des services a rarement été aussi préoccupante. Le rapport rappelle que 300 000 départs à la retraite (un tiers de l’effectif total) devraient intervenir dans les prochaines années au sein des personnels hospitaliers, tandis que moins d’un agent sur deux travaille sur la base d’horaires fixes.

L’essentiel

1 Un rapport sur les RH à l’hôpital, commandé par le ministère de la Santé, préconise d’impliquer plus fortement la fonction RH dans la modernisation de l’hôpital public.

2 L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et les Hospices civils de Lyon (HCL) ont déjà engagé ce virage : les ressources humaines permettent d’accompagner les restructurations.

3 A l’inverse, les syndicats décrivent des RH très mobilisées par les suppressions de postes et elles-mêmes dépouillées de leurs effectifs. Il en résulte, selon eux, une forte désorganisation de l’hôpital.

Les huit recommandations clés du rapport Yahiel-Toupillier

→ Regrouper la direction en charge du personnel médical et celle en charge du personnel hospitalier, sous une direction des ressources humaines unique.

→ Etablir des règles “claires” de délégation des tâches RH aux cadres.

→ Inclure un volet GRH dans le projet d’établissement qui aborde le développement des compétences, la mobilité et la polyvalence.

→ Susciter par la formation “une culture commune” pour les présidents de commissions médicales d’établissement, les chefs et cadres de pôle et les équipes RH.

→ Offrir un discours national “lisible” sur la performance hospitalière, notamment à travers l’évaluation, les parcours personnalisés de carrière et la formation.

→ Organiser un observatoire social national ainsi qu’une veille “sociale régionale” pour anticiper l’emploi et les conditions de vie au travail.

→ Mutualiser les compétences dans le domaine des ressources humaines, grâce à une base de données nationale et un intranet professionnel développé avec le Centre national de gestion.

→ Développer une “véritable” politique d’intéressement du personnel médical et hospitalier.

Auteur

  • LAURENT POILLOT