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Les pratiques

La rémunération des pauses n’est pas soluble dans le smic

Les pratiques | publié le : 29.03.2011 | CÉLINE LACOURCELLE

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La rémunération des pauses n’est pas soluble dans le smic

Crédit photo CÉLINE LACOURCELLE

Plusieurs hypermarchés ont été condamnés au pénal pour avoir utilisé les primes rémunérant les temps de pause de leurs salariés afin d’atteindre le niveau du smic. Un jugement qui pourrait conduire certaines branches et entreprises à revoir les modalités de leurs accords, sources de risques.

Le 15 février dernier, les employeurs de plusieurs magasins Carrefour et Champion apprenaient par la chambre criminelle de la Cour de cassation que les temps de pause n’étaient pas assimilés à du travail effectif. S’ils peuvent donner lieu à une rémunération sous la forme de primes, celles-ci ne doivent donc pas être incluses dans le salaire “de base”. Une mauvaise nouvelle pour ces établissements, qui utilisaient ces compléments pour atteindre un salaire comparable au smic.

Cette décision n’est toutefois pas une surprise : la chambre criminelle est en effet parvenue à la même conclusion que celle de la chambre sociale du 13 juillet 2010 épinglant la Compagnie des Fromages & Richesmonts. Les juges appliquent à la lettre les textes, qui énoncent que le smic est le salaire horaire minimum légal. « Cette prime versée par les hypermarchés ne rentre pas dans ce cadre “horaire” et n’est pas considérée comme la rétribution du travail accompli », commente Cyril Catté, du cabinet Gibier, Souchon, Festivi, Rivierre. Même principe pour les indemnités de non-concurrence, de travail de nuit, du dimanche, des jours fériés ou encore pour les primes d’ancienneté, d’assiduité ou de froid.

Primes hors cadre horaire

En la matière, il ne pesait aucun doute sur les périodes considérées : il s’agissait bien de pauses (obligatoires, selon le Code du travail, à raison de vingt minutes pour six heures de travail quotidien sauf dispositions différentes introduites par accord conventionnel ou d’entreprise). Autrement dit, elles se différenciaient du temps de travail défini selon trois conditions : le salarié est à la disposition de l’employeur et il se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations.

Trois jurisprudences se sont efforcées de border le sujet : « Un premier arrêt, rendu le 4 janvier 2000 dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, avait conclu que le temps de repas des cuisiniers et serveurs pris dans la salle du restaurant était du temps de travail effectif, car ils devaient rester dans les locaux et travailler si nécessaire », explique Cyril Catté. Un second assouplit le propos en précisant que les temps de pause n’excluent pas l’intervention exceptionnelle des salariés pour raisons de sécurité (arrêt du 1er avril 2003). Enfin, les juges ont considéré les pauses prises dans un local distinct de l’atelier comme hors du temps de travail, alors même que les salariés ne pouvaient quitter l’enceinte de l’entreprise (3 novembre 2005).

Une majoration possible de 5 % du salaire de base

Rien n’empêche ensuite l’entreprise de rémunérer ces repos. D’ailleurs, Carrefour se fondait sur la convention collective étendue du commerce de détail, qui prévoit le versement d’une majoration de 5 % du salaire de base à titre de rémunération des temps de pause. La Compagnie des Fromages & Richesmonts faisait de même, « la CCN du secteur comprenant la rémunération de 30 minutes de pause par jour de travail », précise Vanessa Perro­tin, secrétaire fédérale de la FGA-CFDT. La contrepartie ? Ces éléments étaient intégrés au temps de travail.

Des pratiques héritées des 35 heures

« Ces pratiques résultent des 35 heures et des 10 % d’inflation du taux horaire qu’elles ont engendrés. En 2000, les entreprises et les syndicats ont négocié le financement de ce surcoût. Les temps de pause n’étaient généralement pas compris dans le temps de travail effectif et pas payés », commente Stéphanie Stein, avocate associée d’Eversheds. Cela a aussi été le cas, par exemple, avec les temps d’habillage et de déshabillage, que certaines ont tenté d’intégrer aux 35 heures.

Si cette condamnation des hypermarchés Carrefour et Champion sonne comme une victoire pour les syndicats qui avaient porté l’affaire devant la justice, certains observateurs s’attendent toutefois à un effet boomerang, à l’instar de Me Stein : « Ces décisions peuvent être l’occasion de renégocier l’accord temps de travail. » Elles peuvent aussi, comme l’entrevoit Alain Ménard, avocat associé au cabinet Racine, conduire certaines branches à réétudier la rémunération des pauses mais aussi à réalimenter le débat sur la notion de travail effectif, notamment pour certains cadres, du fait de l’utilisation hors temps de travail des nouvelles technologies. Un débat d’autant plus brûlant que plusieurs conseillers de la Cour de cassation ont récemment confirmé la nullité des forfaits en jours.

En attendant, les pauses continuent d’alimenter quelques contentieux. Si la fédération agroalimentaire de la CFDT ne note pas d’effet boule de neige à la jurisprudence Richesmonts de cet été, Jean-Michel Martin, secrétaire fédéral du pôle commerce à la CFDT Services, chiffre quant à lui à 5 000 le nombre de dossiers en cours aux prud’hommes sur l’ensemble du territoire. Sont principalement concernés Carrefour, Carrefour Market et Auchan. Peut-être s’agit-il des derniers, car, « depuis 2008 et la signature d’un accord de branche, les enseignes opèrent une vraie distinction entre salaire minimum garanti et temps de pause », rappelle-t-il.

L’essentiel

1 A deux reprises, la Cour de cassation s’est prononcée contre la pratique qui consiste à inclure dans le temps de travail les primes rémunérant les temps de pause pour atteindre le niveau du smic.

2 Pour les juges, le litige avait bien pour cadre le thème des rémunérations et non la qualification de ces temps de pause, exclus du temps de travail.

3 Ces arrêts pourraient relancer le débat du temps de travail effectif, y compris sur le sujet brûlant du forfait cadre.

Auteur

  • CÉLINE LACOURCELLE