logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’actualité

Réforme des AT-MP : les entreprises s’inquiètent de la facture

L’actualité | publié le : 29.03.2011 | CAROLINE FORNIELES

Image

Grille des coûts moyens (ensemble des secteurs)

Crédit photo CAROLINE FORNIELES

Les entreprises craignent de voir s’alourdir leurs cotisations accidents du travail et maladies professionnelles, à cause de la nouvelle tarification qui sera mise progressivement en place en janvier 2012, selon l’étude d’un spécialiste de l’optimisation des coûts qui paraît ce jour. Une impression confirmée par différents experts, mais contestée par la Sécurité sociale.

Trois entreprises sur quatre s’attendent à une hausse de leurs cotisations AT-MP du fait de la nouvelle réforme, qui fixe des coûts moyens pour les sinistres en fonction de leur gravité. C’est, en tout cas, ce qu’indique l’étude présentée ce 29 mars par Leyton, cabinet d’optimisation des coûts, sur la perception de la réforme de la tarification par les entreprises (155 sociétés de tailles diverses interrogées par téléphone). Si l’initiative n’est pas dénuée d’arrière-pensées, d’autant que l’étude paraît après une décision de la Cour de cassation du 15 novembre qui met en difficulté les cost-killers (lire encadré p. 6), elle ouvre le débat sur le coût d’un nouveau barème, qui devait être pourtant financièrement neutre pour les entreprises.

Possible surcoût moyen de 5 %

« Les entreprises interrogées ont surtout l’impression que la réforme vise à rééquilibrer les comptes de la branche, précise Xavier de Marcillac, directeur conseil du pôle AT-MP de Leyton. Elles évaluent cette hausse à moins de 2 %. Elles sous-estiment l’augmentation, qui devrait être, selon nos calculs, plutôt de 5 % en moyenne. » Le cabinet Atequacy du groupe Adding, autre cost-killer, partage la même analyse, ayant réalisé une étude en interne auprès de différentes entreprises sur la base des sinistres survenus ces sept dernières années. « Le surcoût moyen sera autour de 5 % mais pourrait aller au-delà dans certains cas », commente sa directrice commerciale, Adeline Gogé Lefaivre, qui cite l’exemple d’une entreprise de 600 salariés spécialisée dans le carton, qui verrait sa cotisation augmenter de 39 % (+ 260 000 euros). Autre cas, une entreprise de services de 3 600 salariés qui verrait sa cotisation augmenter, plus modestement, de 7 % (+ 173 000 euros).

Sinistralité des entreprises

Du côté de la Sécurité sociale, on affirme résolument la neutralité financière de la réforme. « Les taux moyens ont été calculés à partir des dépenses actuelles, commente Stéphane Seiller, directeur des risques professionnels de la Cnamts. Parler d’un augmentation globale ne me semble pas plausible. » S’il reconnaît que « certaines entreprises pourront payer plus et d’autres moins », il ajoute que « ce sera de toute façon en lien avec leur sinistralité ». Il ajoute qu’il doute de la fiabilité des simulations.

Laurence Fournier-Gatier du cabinet Ledoux & Associés juge également difficile d’avancer des chiffres globaux, car un sinistre grave de plus ou de moins suffit à modifier considérablement un compte employeur. Elle estime néanmoins que ce barème, qui « revient à mutualiser les coûts » et à « les déconnecter des salaires » va provoquer des hausses importantes de cotisations, et notamment parmi les entreprises à bas salaire.

Ce problème sera partiellement corrigé pour le secteur de l’intérim, où l’on prévoit des tarifs plus modérés. Il fait partie des neuf branches pour lesquelles le coût moyen des cotisations AT-MP sera fixé par arrêté à l’automne. Mais, Laurence Fournier-Gatier déplore surtout les critères retenus pour la tranche de cotisation la plus élevée. « La facture des entreprises qui ont des sinistres moyens, de type troubles musculo-squelettiques par exemple, va s’alourdir. Car avec ce type de pathologie, on dépasse très souvent les critères retenus pour la tranche de cotisation maximum, qui est de plus de 150 jours d’arrêts de travail (5 mois) et 40 % d’incapacité permanente partielle (IPP). » A l’inverse, les industries où se produiront des accidents graves verront leurs cotisations baisser, « ce qui sera un très mauvais message en termes de prévention », commente-t-elle.

Ce barème pourrait, selon elle, encourager une certaine dérive des dépenses dans la branche AT-MP, car « les employeurs ne seront pas encouragés à contrôler la validité des arrêts de longue durée au-delà des 150 jours, ou des taux d’invalidité au-delà de 40 % ». « Le contentieux permet d’exercer un contrôle. On réduit parfois des arrêts de travail de trois ans à six mois. On repère des invalidités qui ne sont pas liées au travail. Avec ce contrôle qui va disparaître, la branche AT-MP risque de financer plus de dépenses qui sont normalement du ressort de l’assurance ma­ladie. »

Deux autres effets pervers possibles du futur barème sont relevés par Adeline Gogé Lefaivre du cabinet Atequacy : « En taxant autour de 200 euros les arrêts inférieurs à trois jours, on risque de décourager certains employeurs de les déclarer. De même, cette réforme crée des effets de seuil importants, les coûts s’élèvent de façon presque exponentielle d’une tranche à l’autre. Il y aura la tentation de faire revenir le salarié plus vite dans l’entreprise pour rester au palier inférieur, notamment pour ne pas atteindre le palier maximum de plus de 150 jours à 27 000 euros. »

C’est d’ailleurs sur ces passages entre les différents paliers de tarification que le nouveau contentieux se développera. Mais les entreprises devront réagir vite : cette réforme organise la réduction « à deux mois » des délais de recours pour les entreprises. Ce nouveau délai, effectif depuis janvier 2010, devrait inciter les entreprises à assurer un suivi plus précis et plus réactif des AT-MP. L’étude Leyton montre que, pour l’instant, moins de 10 % se sont organisées pour répondre à cette exigence.

Des contentieux trop coûteux

Cette réduction du délai de recours « à deux mois » visait clairement « à couper l’herbe sous le pied » des entreprises en matière de contentieux, lequel s’était fortement développé ces dernières années avec l’action des cost-killers.

« Le contentieux, qui se limite à 100 ou 200 entreprises, a coûté 450 millions d’euros en 2010 à notre branche. C’est considérable », rappelle Stéphane Seiller. Le directeur des risques professionnels de la Cnamts tient à rappeler « que le meilleur moyen de faire baisser les coûts n’est pas le contentieux mais la prévention des accidents et maladies professionnelles ». Message reçu dans les entreprises ? Deux tiers l’affirment en tout cas dans l’étude Leyton, précisant qu’elles ont embauché des spécialistes ou des responsables sécurité, créé des CHSCT ou développé des formations spécifiques.

La réforme en trois points

→ Aujourd’hui, les cotisations AT-MP tiennent compte du coût réel du sinistre et du niveau de salaire de la victime. Le nouveau dispositif, défini par le décret du 7 juillet 2010 fixe des coûts moyens de cotisations en fonction de la gravité de la pathologie. Six tarifs sont prévus pour les incapacités temporaires de travail (ITT) en fonction du nombre de jours d’arrêt de travail. Quatre tarifs s’appliquent en fonction du niveau des incapacités permanentes partielles (IPP). Le coût des rechutes ne donne plus lieu à cotisations.

→ Les tarifs moyens présentés ci-contre par la Cnamts sont provisoires*. Des tarifs précis seront fixés pour neuf branches professionnelles dans des arrêtés qui paraîtront en septembre. Les calculs de coûts moyens seront faits à partir des coûts réels des sinistres.

→ La réforme s’applique progressivement, car les cotisations resteront calculées sur trois années. En clair, au 1er janvier 2012, seule l’année 2011 sera calculée avec la nouvelle formule, les deux autres années restant basées sur les frais réels. En janvier 2013, le calcul comprendra deux années soumises au nouveau calcul (2011 et 2012). C’est seulement à partir de janvier 2014 que la nouvelle tarification s’appliquera en totalité.

* A partir de fin avril, la Cnamts proposera sur son site www.net-entreprises.fr, à chaque entreprise une estimation de ses cotisations 2009 et 2010 et fera des estimations des coûts probables des sinistres déclarés en 2011 qui entrent dans le champ de la réforme.

Grille des coûts moyens (ensemble des secteurs)Source : Cnamts.
Les cost-killers épinglés par la Cour de cassation

→ L’activité de contentieux des cabinets d’optimisation des coûts est remise en cause par un arrêt de la Cour de cassation du 15 novembre. Ce recours visant la société Alma Consulting avait été déposé à la demande du Conseil national des barreaux, qui conteste aux cabinets d’audit la légitimité d’exercer le droit, y compris « à titre de pratique accessoire ». La Cour a cassé un arrêt de la cour d’appel de Versailles, qui avait considéré licites les consultations juridiques offertes par le cabinet à l’entreprise, et renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Paris. Charles-Henry Allibert, président du Syncost, qui représente les cabinets d’optimisation des coûts, estime « que la cour de cassation n’a pas totalement tranché et qu’il faut attendre l’avis de la cour d’appel de Paris ». Estimant qu’il s’agit « surtout d’une querelle de territoire avec les avocats », il rappelle que « les cabinets font peu de consultations juridiques et ont plutôt recours à des avocats. C’est le cas dans le cabinet Atequacy que je dirige ». De même au cabinet Leyton, où l’on indique que « le contentieux est confié à des avocats extérieurs ».

→ « Cette décision vient compléter la réforme de juillet 2007, qui a limité à deux mois le délai de recours pour les entreprises, commente pour sa part Laurence Fournier-Gatier, avocate du cabinet Ledoux & Associés. Si cette décision était confirmée, cela obligerait les entreprises qui avaient délégué à ces cabinets la gestion des AT-MP à se la réapproprier. C’est une mission qui ne peut pas se déléguer, surtout si on veut faire avancer la prévention. »

Auteur

  • CAROLINE FORNIELES