logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’actualité

Salariés-usagers au bord de la crise de nerfs

L’actualité | publié le : 22.03.2011 | LAURENT POILLOT

Image

Salariés-usagers au bord de la crise de nerfs

Crédit photo LAURENT POILLOT

Les usagers se mobilisent sur les réseaux SNCF et RATP afin de dénoncer les retards en augmentation. Certains saisissent les juges, pour perte d’emploi ou d’opportunités. En matière de recrutement comme de promotions, la localisation sur une ligne surchargée représenterait un handicap.

Depuis plusieurs mois déjà, le torchon brûle entre la SNCF et ses usagers. Outre les démonstrations des salariés pendulaires des lignes Le Mans-Paris et Tours-Paris, en grève du titre de transport, l’exaspération continue de monter sur les lignes de proximité, notamment en Ile-de-France. Le 11 mars dernier par exemple, une réunion publique organisée par le maire de Domont (95) a permis aux usagers de demander des comptes au directeur de la ligne H, exploitée par la SNCF. Le rendez-vous a été houleux, selon l’édition locale du Parisien, et les interpellations traduisaient clairement les conséquences de la dégradation du service sur la vie professionnelle des usagers : « On m’a refusé une promotion que j’attendais depuis longtemps en raison de mes retards répétés », « J’ai eu des retenues sur salaire tous les mois »…

Salariés sanctionnés

Si les employeurs ont pris la mesure du phénomène, c’est « trop souvent au détriment des salariés », confirme Jean-Claude Delgènes, directeur général de Technologia, qui a produit l’an dernier une étude consacrée à l’impact des transports en région parisienne sur la santé des salariés et des entreprises : « Les gens astreints à des horaires impératifs subissent plus de remontrances et perdent leur emploi. C’est assez discret : quand les retards se répètent, les sanctions tombent, et le salarié quitte l’entreprise. L’effet transport joue aussi sur l’accès à une promotion, qui échappera à ceux qu’on considérera le moins disponible. »

Il dénonce une « triple peine : le coût du transport, la fatigue occasionnée et la sanction qui se retourne contre le salarié ».

Même punition pour les candidats à l’emploi. Les employeurs n’hésitent plus à considérer les déplacements comme un facteur de sélection, confie Lionel Deshors, directeur associé du cabinet de recrutement CCLD (400 placements de commerciaux en France chaque année) : « C’est surtout problématique pour les ouvriers et employés, qui utilisent le plus les transports en commun. Leur localisation géographique est étudiée à la loupe par les entreprises, qui savent par exemple que le RER A est le premier bloqué en cas de grève des transports. Même si nous excluons ce facteur dans le “brief” de nos clients, l’employeur finit toujours par exercer son choix. L’un d’eux m’a expliqué un jour que des deux candidats que nous lui avions proposés, il avait retenu celui qui disposait d’un moyen de transport attitré. »

Multiplication des incidents

De fait, les conditions de transport des passagers, notamment en Ile-de-France, se sont sérieusement dégradées en 2010. Erreurs d’aiguillage, conducteurs portés pâles, feuilles sur les voies (!), erreurs de signalisation ou… retards inexpliqués : les incidents se sont multipliés, comme en atteste le bilan fourni au Syndicat des transports d’Ile-de-France (Stif) en février dernier. Sur la ligne A du RER, réputée être la plus chargée d’Europe, les retards ont augmenté d’un tiers l’année dernière par rapport à 2009, avec de très mauvais résultats sur les trois derniers mois de 2010. En décembre, un usager sur quatre arrivait à destination avec plus de cinq minutes de retard. La ligne D a, quant à elle, frôlé les 27 % de retard. Pour toutes les lignes RER, la SNCF comme la RATP sont en dessous des objectifs de régularité fixés par contrat avec le Stif.

La régularité du métro parisien laisse aussi à désirer : elle s’est dégradée l’année dernière sur onze des quatorze lignes. Sur les lignes 1 et 13, qui multiplient les problèmes, il manque 8 % de trains par rapport au contrat passé avec le Stif. Pour rappel, en novembre 2010, la Cour des comptes a épinglé la SNCF sur l’état du réseau, estimé saturé et inadapté aux besoins de la population. La direction de l’entreprise, que nous avons sollicitée à plusieurs reprises, ne s’est pas rendue disponible.

Hausse des contentieux

Certains usagers ont choisi la voie judiciaire pour faire reconnaître leur préjudice. Le 5 avril prochain, Me David Metaxas, avocat de la Fédération nationale des associations d’usagers de transports (Fnaut ; 150 associations adhérentes), défendra trois usagers contre la SNCF : une acupunctrice bloquée plusieurs heures dans le TGV Lyon-Paris en février 2010, et manquant plusieurs rendez-vous ; une jeune assistante juridique “débarquée” d’un cabinet d’avocats avant la fin de sa période d’essai, à cause des retards au travail dus aux dysfonctionnements de la ligne TER Ambérieu-Lyon et un candidat à un concours administratif qui n’avait pas pu s’y présenter. « Cette montée des contentieux est légitime, tempête l’avocat. L’an passé, la SNCF n’a assuré normalement que 40 % de son trafic en Rhône-Alpes. Elle doit aujourd’hui 3 millions d’euros de pénalités à la région. Les gens en ont assez de subir des prestations de service non remplies, tandis que la SNCF propose des indemnisations ridicules comparées à la perte d’un emploi, d’une clientèle ou d’une absence à un concours. »

Un précédent est dans tous les esprits : en septembre dernier, l’action de l’avocat Rémi Rouquette a fait condamner en appel la SNCF pour un retard d’une demi-heure sur le Melun-Paris qui lui avait fait rater sa correspondance et son audience à Nîmes. La Fnaut compte déjà une trentaine de plaintes en cours, pour des montants appelés de 1 000 à plusieurs dizaines de milliers d’euros.

Stress des transports

Que faire ? « Commencer par informer correctement les voyageurs et les entreprises », répond Jean-Claude Delgènes, convaincu qu’il s’agit de lier le stress des transports au stress au travail (lire encadré p. 5). Mais dont le manifeste, signé par 700 RRH ou membres de CHSCT, n’a débouché sur aucun retour significatif. De leur côté, la Halde et le ministère du Travail seraient favorables à une révision de la loi de 2006 sur l’égalité des chances, croit savoir un recruteur : « Il s’agirait d’étendre à la domiciliation la notion de discrimination liée à l’origine. »

Employeurs et DRH ne semblent pas vraiment avoir entamé de réflexion sur le sujet. L’ANDRH, que nous avons contactée, n’a pas de point de vue à exprimer. Pas plus que l’Anact concernant la santé des salariés. Quelques entreprises ont opté pour la mise en œuvre ou l’extension du télétravail, à l’occasion de regroupements de sites en Ile-de-France, comme Alactel-Lucent par exemple. D’autres avaient ouvert des bureaux de proximité, comme IBM.

Manque de solutions

La SNCF, quant à elle, envoie depuis cet automne des émissaires auprès des entreprises pour les inciter à s’installer hors des secteurs saturés de ses lignes de RER. De quoi passer aussi un message sur la coresponsabilité du Stif, de l’Etat et de Réseau ferré de France, chargé de l’entretien des voies. Trop tard en tout cas pour les dizaines de milliers de mètres carrés de bureau qui s’ouvrent à l’ouest de Paris le long de la ligne A, de la Défense à Rueil-Malmaison. Il est peu probable que la mise en œuvre de rames à deux étages, annoncée pour l’automne prochain sur ce tronçon, suffise à résoudre le problème.

Autre exemple, le déménagement du siège de SFR de Paris à Saint-Denis (93) drainera quotidiennement 8 500 personnes supplémentaires, soit six à sept trains, impossibles à intercaler dans le trafic des heures de pointe sur la ligne D. En attendant, la SNCF est devenue une des entreprises les plus mal aimées des Français, selon le sondage annuel Ipsos-Le Journal du dimanche, qui mesure la popularité des grands groupes. Celle de l’opérateur ferroviaire a chuté de 21 % par rapport à 2010 ; la SNCF occupe désormais la 29e place sur 30 du classement des groupes français, juste devant Total.

Une charte d’améliorations

Le cabinet Technologia, auteur d’une étude sur l’impact des transports sur la santé des salariés, a publié un manifeste listant des solutions d’amélioration.

→ Création d’un observatoire du stress lié aux transports en commun, sous l’égide de l’Anact et de l’INRS.

→ Organisation dans les entreprises d’une réunion annuelle sur les transports associant les IRP. Prise en compte du risque santé lié aux transports dans le document unique de sécurité.

→ Adoption d’une procédure d’information efficace pour les entreprises, afin que les salariés n’aient plus à justifier de leur retard par un “bon d’excuse”.

→ Mise en œuvre de solutions de covoiturage.

→ En cas de déménagement : obligation de consultation du CHSCT sur les implantations envisagées, prise en compte des contraintes individuelles sur les temps de trajets (au-delà des estimations des sociétés de transport).

Mise en place des navettes pour les sites excentrés, sur un financement de l’entreprise ou interentreprises.

Auteur

  • LAURENT POILLOT