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« L’absence de management de proximité est source de mal-être »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 22.03.2011 | VIOLETTE QUEUNIET

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« L’absence de management de proximité est source de mal-être »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Mobilisés par des tâches sans rapport avec le travail quotidien, les managers de proximité se sont éloignés de leurs équipes. Cette absence de management diffuse du mal-être dans l’entreprise. Leur redonner les moyens de réguler le travail réel suppose d’abandonner une vision techniciste du management.

E & C : Vous avez mené une recherche pour comprendre les liens entre les modes d’organisation et de management et la santé au travail*. Quels en sont les résultats ?

Mathieu Detchessahar : Le résultat principal va à rebours des idées reçues. Alors que la souffrance au travail est généralement associée à un management de plus en plus tatillon, contrôlant, voire harcelant, ce que nous renvoie le terrain est rigoureusement inverse. Dans les entreprises où règne un mal-être, les salariés ne souffrent pas d’hyperprésence du management, mais, au contraire, très largement de son absence. Plus précisément, ils souffrent de l’absence du manager de proximité, dont ils réclament le retour. Non pas qu’il soit absent physiquement, mais il est aspiré vers d’autres scènes que celles du travail opérationnel, qu’il n’anime ni ne soutient plus. Il est de plus en plus dans un “ailleurs du travail”, qui est jugé comme étant plus important et prioritaire que le travail.

E & C : Si le manager de proximité n’est pas sur la scène du travail, où est-il ?

M. D. : Les managers de proximité sont très largement occupés par l’entretien et l’alimentation des machines de gestion. Ces machines, on les connaît bien : c’est l’ERP (progiciel de gestion intégré), le logiciel de gestion de la relation client, la foule de sollicitations, d’enquêtes, de renseignements demandés par l’ensemble des fonctions supports de l’entreprise. Le manager passe un temps considérable à y répondre, autant de temps pris sur la régulation du travail opérationnel de ses équipes. Deuxième scène qui absorbe les managers : les réunions. Elles sont organisées avec de louables intentions : informer et faire participer. Le problème, c’est que leur ordre du jour est consacré à des objets qui sont sans cesse temporalisés par et orientés vers la direction générale. En d’autres termes, on n’y discute jamais du travail tel qu’il est et de ses difficultés, mais de choses qui se font l’écho des préoccupations des directions générales, qui elles-mêmes se font l’écho des sollicitations externes de l’entreprise.

E & C : Quelles sont les sollicitations externes ?

M. D. : L’actionnaire, bien sûr, et ses conseillers ; les analystes, qui demandent non seulement des reportings, mais aussi de l’innovation gestionnaire : il n’est pas rare que l’analyste lui-même soit émetteur de normes de gestion. Mais il y a de nombreux autres acteurs : le législateur – les DRH en savent quelque chose –, le certificateur qualité, les ONG, la société civile… Les directions générales, dont le travail est pourtant de réguler les contraintes externes, paraissent avoir baissé les bras. On a l’impression qu’elles se contentent d’un travail de veille et passent les contraintes externes à l’interne, consommant leur ligne managériale pour répondre à toutes ces sollicitations de plus en plus nombreuses et parfois contradictoires. C’est ainsi que l’on se retrouve avec un management “empêché” de se consacrer au travail opérationnel. Cet empêchement crée du mal-être : mal-être de l’équipe, mais surtout mal-être du manager de proximité, qui sait très bien qu’il devrait être auprès de son équipe pour gérer les désagréments du quotidien.

E & C : Que proposez-vous pour “désempêcher” le management ?

M. D. : Le préalable à toute démarche de “désempêchement”, c’est d’être animé d’une vision non techniciste du management. Les outils, les procédures, les standards ne suffisent pas à eux seuls à faire le travail. Ils sont là pour dégager des capacités d’attention et des ressources aux managers et aux équipes qui, elles, feront face à la part irréductible d’imprévus de l’action concrète du travail. A partir de là, les entreprises doivent s’engager dans la remise à plat de la fiche de poste du manager de proximité, en éliminant les tâches périphériques qui l’empêchent de se consacrer au travail opérationnel. Ensuite, il faut lui donner les moyens d’exercer son travail de régulation du travail réel. Discuter du travail avec ses équipes, cela paraît sympathique a priori. En réalité, c’est extrêmement difficile : il s’agit d’animer un débat public et critique sur le travail, on y joue sa réputation, sa subjectivité. Il est donc essentiel de faire ce que j’appelle une “ingénierie des espaces de discussion du travail”, ce qui suppose une véritable action gestionnaire, mais très différente de celle qu’on voit en place aujourd’hui. Cela passe, par exemple, par des réunions dont l’ordre du jour est fait par les équipes, animées par un manager du métier, fréquentes, avec un système de pilotage, des moyens de décision locaux et la construction d’un canal qui permet de remonter ces échos auprès d’organes de décisions supérieurs.

E & C : Quel rôle peut jouer le DRH ?

M. D. : Il semble que beaucoup de systèmes d’évaluation des managers de proximité restent encore largement aveugles à cette part d’accompagnement, de soutien, de régulation du travail. Le DRH a donc un rôle très important à jouer pour savoir comment évaluer ce travail des managers et comment le rémunérer.

* Projet SORG (santé, organisation et gestion des RH) financé par l’Agence nationale de la recherche. Recherche-intervention interdisciplinaire d’une durée de trois ans dans 20 entreprises de l’Ouest.

SON PARCOURS

• Mathieu Detchessahar est professeur à l’université de Nantes. Docteur en gestion et agrégé des universités, il a dirigé le Centre de recherche en gestion Nantes-Atlantique (devenu aujourd’hui le Lemna).

• Il dirige l’école doctorale régionale Degest, qui rassemble 450 docteurs en droit, économie, gestion, sociologie, géographie des universités du Mans, d’Angers et de Nantes.

• Il est responsable du master 2 conseil en organisation et management des RH à l’Institut d’économie et de management de Nantes-IAE.

SES LECTURES

• Le Personnalisme, Emmanuel Mounier, PUF, 2010.

• La Créativité de l’agir, Hans Joas, Le Cerf, 1999.

• Le Travail humain – lettre encyclique L aborem exercens, Jean-Paul II, Le Centurion, 1981.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET