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Menaces sur les avantages des cadres

Enquête | publié le : 15.03.2011 | CAROLINE FORNIELES

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Menaces sur les avantages des cadres

Crédit photo CAROLINE FORNIELES

Le doute plane sur la légitimité de certains avantages réservés aux cadres dans les accords et conventions collectives, ce qui remet en cause des pratiques bien établies. La Cour de cassation exige en effet depuis 2009 qu’ils soient assortis d’une justification formelle et objective. Mais après consultation des partenaires sociaux, elle pourrait nuancer cette jurisprudence dans ses prochaines décisions.

Le temps où les cadres choisissaient leur voiture de fonction et voyageaient en business est depuis longtemps révolu. Les exigences de rentabilité et la crise sont passées par là. Mais la crainte d’une disparition des derniers avantages accordés à cette catégorie de salariés a surgi avec une nouvelle insistance le 1er juillet 2009. Saisie par un employé (non cadre) de DHL, qui revendiquait le même nombre de jours de congés qu’un cadre, la chambre sociale de la Cour de cassation lui avait donné raison, en estimant qu’en vertu de l’égalité de traitement due à tous les salariés un avantage consenti à une catégorie professionnelle devait reposer sur des « raisons objectives ».

Face à cette nouvelle jurisprudence, un début de panique a saisi les employeurs. Les quelque 700 conventions collectives qu’ils appliquent prévoient en effet de nombreuses différences de traitement entre cadres et non-cadres sans vraiment les justifier par des « raisons objectives ». Des différences qui concernent plusieurs sujets : tickets restaurant, frais de voyage, jours de RTT et de congés, primes diverses, avantages en nature, primes de licenciement, épargne d’entreprise, prévoyance, etc.

Voulant anticiper d’éventuels contentieux, les directions des RH de certaines entreprises ont commencé à dresser un état des lieux des inégalités de traitement. « Elles ont revu la liste des avantages catégoriels et cherché à vérifier s’ils avaient une justification objective liée à la charge ou aux conditions de travail », explique Sylvain Niel, directeur associé du cabinet Fidal et président du cercle des DRH.

Anticiper les contentieux

Mais une fois cette liste d’« avantages non justifiés » réalisée, les entreprises ne savent plus trop quoi faire. « Il est impossible d’étendre ces avantages à tous, car ce serait bien trop coûteux, poursuit Sylvain Niel. Et les supprimer risquerait de mettre le feu ! »

Car si tel ou tel avantage n’a pas forcément de justification formulée, « cela ne veut pas dire pour autant qu’il est indu », ajoute Françoise Favennec-Héry, professeur de droit à Paris-2. « Une convention collective est un équilibre issu de négociations complexes. Un avantage a pu être accordé dans un domaine parce qu’on a fait une concession dans un autre », souligne-t-elle.

Les entreprises qui doivent appliquer les conventions collectives se trouvent donc dans une situation d’attente. Le recours à un texte de loi pour clarifier cette question, demandé par certains représentants des employeurs, est pour l’instant exclu par le gouvernement. Le principe de l’égalité de traitement, sur laquelle s’est fondée la Cour de cassation pour sa décision, prend le pas sur la loi, car il est inscrit dans le droit communautaire et dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Evolution possible de la jurisprudence

Reste à voir pour les DRH comment va évoluer la jurisprudence. Plusieurs décisions de justice sont allées dans le même sens que celle du 1er juillet 2009. Ainsi, la cour d’appel de Montpellier a accordé le 4 novembre 2009 à une salariée non cadre de la coopérative viticole l’Occitane les mêmes conditions de licenciement que celles prévues pour un cadre, infirmant la décision du conseil des prud’hommes de Béziers. L’entreprise n’a pas fait appel. « Depuis, tous les salariés non cadres qui sont en contentieux pour rupture de contrat dans ce tribunal exigent systématiquement les conditions accordées aux cadres. Je l’ai constaté dans une dizaine d’affaires », explique Stéphanie Noreve, du cabinet Fidal, qui défend les employeurs.

Mais si certains salariés commencent à s’engouffrer dans la brèche, rien n’est encore joué sur le terrain juridique. La cour d’appel de Montpellier a par exemple pris une décision contraire en matière d’indemnités de licenciement le 13 janvier 2010. Tout comme la cour d’appel de Dijon, qui a estimé, le 28 janvier 2010, qu’un agent de maîtrise ne pouvait bénéficier de l’indemnité de licenciement d’un cadre. Elle a également considéré que l’application d’une convention collective constituait une « justification objective » d’un avantage accordé à un cadre. Un certain nombre de syndicats répugnent désormais à agir. L’Unsa, qui avait prévu début 2010 d’attaquer la GMF sur le montant de primes de vacances, a finalement renoncé sur le conseil de son avocat.

Différents experts estiment d’ores et déjà qu’on n’en restera pas là. Ils s’attendent à voir la chambre sociale de Cour de cassation modérer sa position dans de nouveaux arrêts. Celle-ci doit en effet trancher à partir de mai au moins trois contentieux qui portent sur des indemnités de licenciement, la durée du travail et les primes particulières.

Une hypothèse confortée par l’actualité la plus récente. La chambre sociale de la Cour de cassation a en effet réuni – chose rare – les partenaires sociaux et le directeur général du travail le 17 février, pour discuter des conséquences de la jurisprudence. Pour certains experts, cette démarche montre que la Cour n’est pas sourde aux critiques et pourrait, selon eux, modifier la jurisprudence et reconnaître que des avantages accordés sont légitimés par l’équilibre global des conventions collectives…

Equilibre global

Les syndicats de salariés, qui craignent de devoir renégocier toutes les conventions dans un contexte de crise, sont sur la même ligne. S’ils considèrent légitime de s’assurer que les avantages soient bien accordés en contrepartie d’exigences spécifiques (temps de travail, disponibilité, responsabilités), ils invitent la Cour de cassation à ne pas regarder chaque avantage de façon séparée, mais à s’intéresser à l’équilibre global des accords collectifs.

« Renégocier toutes les conventions serait un vrai casse-tête et une perte pour les cadres, commente Simon Denis, à la CFTC. On voit mal comment les entreprises pourraient aligner vers le haut. »

Plusieurs syndicats ont estimé que cette position de la Cour comporte le risque de voir remis en cause certains éléments essentiels, comme la caisse de retraite complémentaire spécifique des cadres (Agirc), voire leur statut même. Une crainte relayée également par la CFE-CGC : « Les conventions collectives protègent l’ensemble des cadres, qu’ils aient un petit ou un gros salaire, estime Bernard Van Craeynest. Si on doit renégocier dans la conjoncture économique actuelle, les cadres, dont les salaires ne cessent de baisser, seront inévitablement assimilés aux non-cadres. Au final, seuls quelques cadres dirigeants ou influents pourront bénéficier d’avantages négociés de gré à gré au moment de leur embauche. »

« Il n’y aura pas de retour en arrière »

Si une jurisprudence plus équilibrée pourrait ressortir de futurs arrêts de la Cour de cassation, l’hypothèse d’un revirement semble toutefois exclu. « La dynamique de l’égalité de traitement est enclenchée et il n’y aura pas de retour en arrière », estime Sylvain Niel. Celle-ci, qui va au-delà des simples questions juridiques, correspond aussi à une aspiration de certaines entreprises qui ont décidé, bien avant juillet 2009, d’étendre à tous certains avantages auparavant réservés aux cadres. « C’est le cas pour la prévoyance et la complémentaire santé, se félicitent Marcel Grignard, de la CFDT, et Jean-François Bolzinger, de l’Ugict-CGT. On voit mal comment on pourrait refuser l’égalité de traitement sur ces deux sujets majeurs. »

Jean-François Deserson, directeur commercial et marketing de Vauban Humanis, qui couvre 220 000 entreprises, constate que « la plupart des entreprises qui renégocient leurs contrats choisissent des garanties couvrant tous leurs salariés ». Si des différences de niveaux de remboursement entre cadres et non-cadres subsistent en matière de prévoyance, les complémentaires santé sont généralement proposées au même tarif pour tous.

Unifier la protection

Même constat du côté d’Axa France, où Patricia Delaux, directrice santé et prévoyance collective, témoigne d’« une demande croissante pour des contrats qui couvrent l’ensemble du personnel ». Selon Jean-Michel Girardon, directeur général adjoint chez Novalis Taitbout, « ce type de contrat permet aux grands groupes d’unifier des couvertures sociales très différentes d’un site à l’autre. Cela facilite aussi le mouvement des salariés au sein du groupe ».

Dassault a lancé il y a cinq ans l’harmonisation de son contrat prévoyance-frais de santé. Même philosophie chez EADS, Thales, Safran ou Total. D’autres entreprises, à l’image de la coopérative InVivo, organisent aussi un partage plus équitable de l’intéressement ou de l’épargne d’entreprise. Le mouvement vers l’égalité de traitement est bel et bien lancé. Reste à savoir où il s’arrêtera.

L’essentiel

1 Les avantages des cadres non assortis de justification objective sont menacés. Faute de pouvoir les étendre à tous, les entreprises attendent l’évolution de la jurisprudence.

2 Les résultats des contentieux sont contradictoires. Et la Cour de cassation, qui vient de consulter les partenaires sociaux, pourrait nuancer sa position.

3 Mais le principe de l’égalité de traitement, qui sera conservé, correspond aussi à une aspiration des entreprises.

Total : une « culture égalitaire »

→ Le mouvement d’harmonisation de la protection sociale a été engagé dès 2001 chez Total, au moment où le groupe a renégocié l’ensemble de ses accords après la vague de fusions. « Ainsi, le passage d’un salarié d’une catégorie professionnelle à l’autre n’entraîne pas systématiquement de différence de statut. Cela assure des évolutions de carrières plus fluide. Cette culture égalitaire convient à notre groupe, très présent à l’étranger, où le statut de cadre au sens où on l’entend en France n’existe pas », commente Odile de Damas-Nottin, directrice rémunération et engagement sociaux chez le pétrolier.

→ Le dispositif de prévoyance unique, qui sera généralisé fin 2012, accorde 92 % du salaire net à tous en cas d’incapacité, et dans le secteur pétrole, la mutuelle santé financée par une cotisation fonction du salaire couvre le personnel de façon uniforme. Total a également ouvert à tous les salariés l’attribution de stock-options (20 % des bénéficiaires sont non cadres). Enfin, le réajustement des salaires de 2 300 femmes du groupe, qui s’est fait en octobre dernier au titre de l’égalité homme-femme, a bénéficié tout autant aux cadres qu’aux non-cadres.

Auteur

  • CAROLINE FORNIELES