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« L’optimisme est une posture d’engagement social »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 15.03.2011 | MARIE-MADELEINE SÈVE

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« L’optimisme est une posture d’engagement social »

Crédit photo MARIE-MADELEINE SÈVE

L’optimisme parie sur l’existence de solutions possibles même dans les pires difficultés. Un état d’esprit positif, précieux en temps de crise, car il capitalise sur les forces de chacun afin de préparer des rebonds collectifs ou individuels. Le DRH a un rôle clé à jouer.

E & C : Vous êtes le chantre de l’optimisme. N’est-ce pas une provocation dans un contexte social aussi tendu ?

Philippe Gabilliet : Quand tout va mal dans l’entreprise, quelle est l’autre alternative ? Certes, il est plus facile aujourd’hui d’être optimiste chez Google, Apple ou Auchan que dans des industries qui restructurent. Mais dans un monde incertain, injuste, difficile, voire risqué, mieux vaut faire le pari qu’il y a une solution quelque part même si elle ne s’impose pas à première vue. C’est tout le contraire de la résignation.

Le pessimisme se nourrit de lamentations : « Je n’ai pas le choix ! » ou « A quoi bon ? », « C’est la faute à la mondialisation, aux financiers ». L’individu se focalise sur ce qu’il n’a plus ou sur ce qu’il n’a pas encore. Tout cela est du temps perdu, du temps toxique.

E & C : Mais le salarién’a pas prise sur l’environnement économique.

P. G. : A son échelle, il peut déjà résister à la déprime en s’appuyant sur des espaces de liberté, là où il a le contrôle. C’est lui qui, tous les jours, a la main sur la façon dont il traite un client, un fournisseur ou sur la manière dont il exécute une tâche, dans la plupart des entreprises en tous cas. Par ailleurs, il peut s’aventurer hors de sa zone de confort en restant constructif. Combien de managers baissent les bras devant un projet qu’ils ont condamné d’avance ? Combien de RH se plaignent que les quinquas ne sont pas assez formés ? La voie de l’optimisme cherche des issues. Dans ce but, elle capitalise sur les forces – axes prometteurs – et sur les ressources de chacun plutôt que de chercher à corriger les faiblesses d’une situation ou d’une personne. Ainsi les RRH ont-ils intérêt à conduire les salariés à étayer leurs acquis en stage plutôt qu’à s’épuiser à combler des carences. La “voie optimiste” pousse à la créativité, à l’ouverture aux autres.

E & C : Et que dites-vous à un DRH au cœur de la tourmente et tenu de licencier ?

P. G. : Que la seule façon de s’en sortir face au malheur, c’est de tenir un langage d’espoir. Attention, il ne s’agit pas d’être naïf et de se cantonner à des formules incantatoires du style « Demain il fera jour ». L’optimisme n’est pas magique. Toutefois, il est ici une posture d’engagement social signifiant à l’autre que l’on est concerné par son problème. Le DRH qui doit “couper des têtes” fait son job. Mais il n’est pas obligé d’être bureaucratique. Il peut procéder avec empathie, respect, humanité, en explorant avec énergie tous les dispositifs possibles pour aider un collaborateur à rebondir : reconversion, formation, mobilité, etc. Et il formera les managers à se comporter de même au quotidien avec leur équipe. Mais j’irai plus loin sur le rôle du DRH. Il ne peut plus attendre les restructurations pour agir.

E & C : Comment cela ? Que peut-il faire ?

P. G. : Il doit apprendre à se faire peur à lui-même avant que le dragon ne sorte. Autrement dit, je lui recommande de faire de la prospective de crise avec tous les membres du Codir avant que la maison brûle et qu’il joue le rôle du pompier. Sauf s’il occupe une fonction support, le DRH a la légitimité pour déclencher une telle réflexion : que fait-on si ça tourne mal ? S’il faut sacrifier 120 postes ? Si l’on doit se séparer d’une entité ?… En forçant ainsi à analyser des scénarios critiques à plusieurs, il anticipera avec ses pairs les moyens de s’en sortir en dégageant les ingrédients du succès. On parle alors du rôle déclencheur d’un “pessimisme défensif” ou d’un “optimisme paradoxal”. Cet état d’esprit en quête d’issue heureuse par prévention est un outil d’aide à la décision. En outre, le DRH peut influer sur un climat interne en dressant un “bilan social positif” de l’entreprise à partir d’éléments factuels qui prouvent qu’elle est loin du marasme : mise en place d’un plan senior, poids croissant des femmes à des postes clés, embauche de jeunes, pérennité des savoir-faire, compétences enrichies, etc.

E & C : Vous suggérez aussi que l’entreprise gagnerait à recruter des optimistes ?

P. G. : Oui, parce qu’ils sont des catalyseurs d’énergie et d’efficacité, en particulier dans les fonctions commerciales ou de recherche. Certes, les pessimistes modérés gardent leur intérêt sur des métiers de contrôle, où l’on traque le zéro défaut : la qualité, la comptabilité, les finances, la sécurité… Mais dans un environnement inconfortable, ceux qu’on appelle les “optimistes dispositionnels” du fait de leur caractère sont de solides éléments sur lesquels le manager peut s’appuyer pour motiver autour de lui. Persévérants, innovants, ayant le goût du défi et capables de résister à la frustration, ils savent créer de la solidarité autour d’eux. Qualités également précieuses chez les partenaires sociaux, dont on est sûr alors qu’ils auront l’envie d’aboutir. Car même diffus, l’optimisme est contagieux.

SON PARCOURS

• Philippe Gabilliet est professeur à l’ESCP Europe, spécialiste de la motivation, du leadership et des stratégies mentales de réussite. Il est le directeur académique de la division formation continue. Il enseigne aussi au Cnam et à HEC Genève.

• Docteur en sciences de gestion, diplômé de Sciences Po Bordeaux, il entre chez CNP Assurances, où il dirige le service action commerciale. Expert APM (Progrès du management), il est aussi vice-président de la Ligue des optimistes de France fondée en 2010.

• Il est l’auteur de divers ouvrages et vient de publier Eloge de l’optimisme (éd. Saint-Simon, 2010), après Les Conduites d’anticipation (L’Harmattan, 2008).

SES LECTURES

• L’Hypothèse du bonheur. La redécouverte de la sagesse ancienne dans la science contemporaine, Jonathan Haidt, Mardaga, 2010.

• Ils ont relevé la tête, Mémona Hintermann, Lutz Krusche, JC Lattès, 2010.

• La Force avec soi. Pour une psychologie positive, Jean Cottraux, Odile Jacob, 2007.

Auteur

  • MARIE-MADELEINE SÈVE