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Les pratiques

Le whistleblowing adopté, adapté… mais peu utilisé

Les pratiques | Retour sur… | publié le : 08.03.2011 | CÉLINE LACOURCELLE

Introduits en France il y a un peu plus de cinq ans, les dispositifs de whistleblowing se répandent dans les entreprises. Ces procédures d’alerte activée par un collaborateur souffrent encore de la défiance des salariés.

Depuis décembre dernier, 121 dispositifs d’alerte éthique ont été estampillés conformes par la Cnil ; ils s’ajoutent aux quelque 2 600 déjà autorisés depuis 2006. Preuve que cette procédure importée des Etats-Unis poursuit son extension en France. La loi Sarbanes-Oxley du 31 juillet 2002 l’avait imposée aux filiales de sociétés américaines et à toutes entreprises cotées sur le marché boursier américain.

L’affaire Renault remet en pleine lumière ce type de dispositif, après la dénonciation, via le dispositif mis en place chez le constructeur en 2007, d’un supposé manquement au réglement et au code de déontologie. En l’occurrence, l’alerte a été donnée par une source anonyme et des enquêteurs privés ont suivi l’affaire : autant d’éléments qui ne sont pas autorisés dans la réglementation française.

Des recadrages hexagonaux

Car la pratique d’origine américaine a subi des recadrages hexagonaux, dont McDonald’s France et CEAC ont été les premiers à faire les frais le 26 mai 2005. La Cnil a reproché à ces entreprises leur dispositif disproportionné au regard des objectifs poursuivis, et susceptibles de favoriser les dénonciations calomnieuses, du fait de l’anonymat du lanceur de l’alerte.

Des principes édictés par la Cnil

Ces deux cas avaient contraint la Cnil à baliser le sujet, six mois plus tard, à l’aide d’un document d’orientation. Parmi les principes édictés : la restriction au domaine comptable, bancaire et à la lutte contre la corruption ; l’opposition aux signalements anonymes ; la mise en place d’une organisation spécifique pour recueillir et traiter les alertes et, enfin, l’information du salarié mis en cause. « Les entreprises souhaitant sortir de ce cadre doivent solliciter une autorisation individuelle », explique Yann Padova, secrétaire général de la Cnil, précisant qu’une centaine l’ont fait depuis 2006. « Dans 9 cas sur 10, la demande portait sur la possibilité d’étendre l’alerte aux pratiques anticoncurrentielles. Ce qui nous a conduit à intégrer ce champ à notre réglementation », complète-t-il.

L’alerte d’Eiffage, opérationnelle depuis début 2010, et annexée à la charte des valeurs du groupe de BTP (70 000 salariés), comprend ainsi cette nouvelle thématique. D’autres entreprises ont sollicité la Cnil pour prendre en compte la dénonciation de discrimination. Leur dossier est encore à l’étude.

Conformité à la réglementation française

Sur la cinquantaine d’entreprises contrôlées par la Cnil depuis 2007, une dizaine ont été mises en demeure de revenir au cadre prescrit. Aux juges, si nécessaire, de sanctionner celles qui persistent à en sortir. Les sociétés BSN Glasspack et Benoist-Girard, sommées de suspendre leur dispositif, en ont fait l’expérience en 2009. Même punition pour Dassault Systèmes, épinglé en 2009 par la Cour de cassation pour un whistleblowing trop large, car ciblant tout manquement à l’intérêt vital du groupe ou à l’intégrité d’une personne.

« La conformité des procédures internes à la réglementation française est le principal questionnement des DRH, observe David Jonin, associé du cabinet d’avocats Gide Loyrette Nouel. Ensuite, ils nous interrogent sur les éventuelles sanctions à prononcer à l’égard de salariés qui auraient abusé de l’outil. »

Si le nombre de dispositifs d’alertes professionnelles augmente, pénétrant des PME rarement concernées par l’obligation légale, il semble qu’ils soient peu actionnés. Après un an, l’alerte d’Eiffage n’a ainsi jamais été utilisée. Pour certains, cela tient au concept importé mais culturellement inadapté. D’autres pointent la crainte des salariés d’être victimes de représailles, voire de licenciement. Et ce, bien que la Cour de cassation ait affirmé, le 12 juillet 2006, que la dénonciation d’une infraction par un salarié ne s’opposait en rien à son devoir de loyauté.

« Ce n’est pas parce qu’elles sont peu utilisées qu’elles sont inutiles », souligne Yann Padova, signalant l’existence en amont d’autres systèmes de régulation : commissaires aux comptes, représentants du personnel, inspection du travail… « L’alerte est un dernier recours », commente-t-il. Un avis partagé par Pierre Mutz, conseiller du président d’Eiffage, qui considère l’absence d’activité de l’alerte de son groupe comme le signe du bon fonctionnement du système hiérarchique.

Salarié contrôlé et contrôleur

« On n’a jamais créé d’outils pour ne pas s’en servir, s’interroge pourtant Sandra Charreire Petit, professeure en management à l’université Paris-Sud. L’alerte a été présentée comme un droit nouveau pour le salarié, intégré dans une approche socialement responsable. Or, de quel droit parle-t-on quand le collaborateur est perçu par l’actionnaire comme un agent potentiel contrôlé et contrôleur ? » La faiblesse des retours sur les dispositifs en activité fausse l’analyse, selon elle.

« Ils ont, quoi qu’il en soit, le mérite de sensibiliser sur ce qui est admis ou pas par la loi », conclut David Jonin, convaincu de la vertu pédagogique des alertes, à condition que les salariés aient été informés et formés à l’éthique et aux règles.

Auteur

  • CÉLINE LACOURCELLE