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« Le diplôme est toujours un outil de promotion sociale »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 01.03.2011 | VIOLETTE QUEUNIET

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« Le diplôme est toujours un outil de promotion sociale »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Si beaucoup de diplômés intègrent des emplois au-dessous de leur qualification, ce déclassement disparaît très souvent au cours de leur carrière. Et pour les jeunes d’origine populaire, seul le diplôme permet encore de faire fonctionner l’ascenseur social.

E & C : Toutes les études montrent que le diplôme protège du chômage et de la précarité. Mais protège-t-il du déclassement ?

Tristan Poullaouec : Le diplôme n’est pas une protection absolue, mais relative. On compte en effet 9 % de jeunes diplômés du supérieur au chômage, tandis qu’ils sont 50 % chez ceux qui n’ont pas de diplôme ou au plus le brevet. L’écart s’est d’ailleurs fortement creusé entre diplômés et non-diplômés : l’avantage relatif d’avoir un diplôme est beaucoup plus important aujourd’hui qu’il y a vingt ans.

En revanche, les diplômes ne conduisent plus aujourd’hui aux mêmes positions sociales qu’avant. Dans les années 1960, aucun poste d’exécution n’était occupé par des diplômés de l’enseignement supérieur. Ce n’est plus vrai aujourd’hui. C’est sur ce décalage entre la qualification de l’emploi et le niveau de diplôme des salariés que se fonde le constat du déclassement, même si le déclassement est d’autant plus faible que le diplôme est élevé.

E & C : Est-ce que le déclassement est dû à un trop grand nombre de diplômés ?

T. P. : C’est l’explication avancée par les tenants de la théorie de l’inflation scolaire : on produit trop de diplômés, leur formation est trop poussée, puisqu’ils n’obtiennent pas d’emploi à la hauteur de leurs compétences. Il y aurait une sorte de fuite en avant, avec l’objectif fixé en 1989 de faire parvenir 80 % d’une classe d’âge au bac et celui, fixé aujourd’hui, d’aboutir à 50 % d’une classe d’âge diplômée du supérieur. Mais c’est faire l’impasse sur les contenus des activités exercées et sur les souhaits des employeurs. On voit bien, par exemple, que les nouvelles technologies de l’information ont bouleversé le métier de secrétaire. Que le BTS soit devenu le diplôme de référence lors du recrutement ne peut se comprendre sans tenir compte des transformations de cette profession. Dans bien des secteurs, les employeurs préfèrent des jeunes plus qualifiés. La création du bac professionnel, en 1985, est un bon exemple de la rencontre d’une politique scolaire de hausse du niveau général et des intérêts d’une certaine partie du patronat, qui voulait des ouvriers bacheliers. Conséquence : les bacheliers professionnels occupent maintenant des emplois tenus auparavant par les titulaires de CAP ou de BEP. Sont-ils trop diplômés ? Non, ils occupent des emplois dans lesquels on tire profit de leurs compétences.

E & C : La non-reconnaissance par les employeurs des qualifications acquises est-elle en cause ?

T. P. : En effet. La thèse de l’inflation des diplômes assimile un diplôme à de l’argent. L’argent n’a qu’une valeur d’échange. Or le diplôme a une double valeur : d’échange, certes – le prix que les employeurs sont prêts à payer pour recruter le titulaire de ce diplôme – et d’usage, c’est-à-dire l’utilisation que les employeurs font des compétences attestées par le diplôme. Le problème du déclassement réside dans cet écart entre la valeur d’usage et la valeur d’échange. Dans un contexte de chômage de masse et de recomposition des activités, la reconnaissance des qualifications n’est pas au rendez-vous. Les employeurs ne rémunèrent pas les compétences qu’ils utilisent. Coexistent donc une – relative – dévalorisation et une profonde valorisation des diplômes au profit des employeurs. Il y a un intérêt économique à recruter des gens surqualifiés : ils n’auront pas de mal à s’adapter à l’exigence du poste, pourront même l’améliorer et l’enrichir pour un salaire qui restera celui défini par la qualification de l’emploi. Par ailleurs, dans certaines entreprises, ces surqualifiés peuvent envisager une carrière avec un reclassement ultérieur.

E & C : Le déclassement n’est-il finalement que temporaire ?

T. P. : C’est surtout au moment de la première embauche qu’on constate l’écart entre la qualification et le diplôme. Mais, sur la durée – et a fortiori sur toute une carrière –, on se rend compte que la majeure partie de ces déclassements à l’embauche se résorbent et que, au final, seule une toute petite minorité reste déclassée. La plupart des déclassés finissent par obtenir des emplois correspondant à leur qualification en changeant de poste, dans ou hors de l’entreprise, ou en se formant. Ceux qui profitent le plus de la formation continue sont ceux qui ont une bonne formation initiale. On voit donc bien que le diplôme est la meilleure arme contre le déclassement.

E & C : Vous dites aussi que, pour les jeunes d’origine ouvrière, c’est même un outil de promotion sociale…

T. P. : Le thème de la panne de l’ascenseur social est trompeur. En 1970, seuls 19 % des enfants d’ouvriers étaient devenus cadres à l’âge de 30 ans. En 2003, ils sont plus du quart. Lorsqu’on parle de déclassement, on passe en partie à côté de certaines réalités. L’angoisse du déclassement, c’est celle des classes moyennes. Les jeunes diplômés issus des classes populaires, eux, ont le sentiment d’avoir une meilleure situation que leurs parents. L’effet de rappel de l’origine sociale sur les destinées professionnelles est d’autant plus faible que les diplômes sont élevés. C’est bien pour cela que les familles ouvrières mettent tant d’espoir dans l’école : quand on n’a pas de relations, pas d’argent, il ne reste que le diplôme. Le diplôme, c’est l’arme des faibles.

PARCOURS

• Tristan Poullaouec est, depuis 2006, maître de conférences à l’université de Nantes, membre du Centre nantais de sociologie et du Groupe de recherche sur la démocratisation scolaire.

• Il a enseigné auparavant à l’université de Versailles Saint-Quentin et à l’université de Dijon tout en préparant sa thèse, qu’il a soutenue en 2005.

• L’ouvrage qui en est issu, Le Diplôme, arme des faibles. Les familles ouvrières et l’école, est paru aux éditions La Dispute en 2010.

• Il a également participé à l’ouvrage collectif Cadres, classes moyennes : vers l’éclatement , coordonné par P. Bouffartigue, C. Gadea et S. Pochic, paru en 2011 (Armand Colin).

SES LECTURES

• Le Vol de l’histoire. Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde, Jack Goody, Gallimard, 2010.

• Pardon, Gail Jones, Mercure de France, 2008.

•  Les Amériques noires. Les civilisations africaines dans le Nouveau Monde, Roger Bastide, Payot, 1967.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET