logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Les pratiques

Relocalisations : mais où sont les emplois ?

Les pratiques | publié le : 15.02.2011 | CHRISTIAN ROBISCHON

Image

Relocalisations : mais où sont les emplois ?

Crédit photo CHRISTIAN ROBISCHON

Le retour en France de productions délocalisées vers les pays à bas coûts ne produit qu’un effet marginal sur l’emploi direct et sur la GRH. Mais la relocalisation peut entraîner dans un deuxième temps une dynamique d’entreprise pour accompagner ce nouveau développement.

Le “phénomène” des relocalisations ne doit pas faire illusion. Bien médiatisés (les skis Rossignol, les jeux Meccano, les vélos B’Twin et les arts de la table Geneviève Lethu…), les rapatriements en France de capacités de production parties un temps vers les pays low cost d’Asie, d’Europe de l’Est ou du Maghreb – soit la définition stricte de la relocalisation – demeurent minoritaires. Selon la lecture qu’en font quelques observateurs attentifs, leur nombre oscille entre 20 et moins de 100. « Même si la tendance s’estompe depuis quelques mois, on peut estimer qu’il se produit encore aujourd’hui dix fois plus de délocalisations que de relocalisations », avance Jean-François Lécole, le dirigeant du cabinet conseil Katalyse.

Davantage d’emplois détruits que créés

Sur le nombre d’emplois créés par les relocalisations, l’évaluation tout aussi empirique aboutit au chiffre de 2 000 en quelques années. Bien peu en rapport avec les emplois détruits. L’usine Rossignol de Sallanches (Haute-Savoie) gagne 20 emplois équivalents temps plein grâce au retour de Taïwan de la production de paires de skis en ce début 2011, mais le groupe avait supprimé près de 500 postes en France en 2005 et 2007. « On est contents pour Sallanches, mais on n’oublie pas qu’à côté, le site de Saint-Etienne-de-Croisset a fermé », appuie Roger Bonnat, délégué CGT.

Quant à la gestion des ressources humaines, « elle devrait accompagner systématiquement le mouvement parce qu’elle est une clé de son succès. Monter en gamme, trouver des compétences nouvelles, gagner en productivité, tout cela induit quantité de chantiers de GPEC, de formation, de recrutement et de santé-sécurité au travail. Je ne suis pas sûr que ce soit toujours le cas », observe Jean-François Lécole avec un certain sens de la litote.

L’entreprise qui aurait inventé une politique RH “spéciale relocalisation” n’est pas encore apparue. Souvent, le faible nombre d’emplois concernés ne se prête pas à une action d’ampleur. Il n’est qu’à voir la « formation pour retrouver le savoir-faire » de Gantois, à Saint-Dié (Vosges), annoncée à l’occasion du retour en 2009 des métiers à tisser le fil métal partis cinq ans plus tôt en Roumanie : « De ce que nous constatons, elle a surtout concerné… une personne. Pour le reste, une dizaine de tisserands qui avaient été transférés sur d’autres fonctions sont simplement revenus à leur métier d’origine », indique Michel Meltz, délégué CFDT. A défaut de créer de l’emploi, la relocalisation a évité un PSE supplémentaire au site de 280 salariés, dont les effectifs ont fondu de moitié entre 2003 et 2008.

Programme de retour à la croissance

Les expériences des lunettes Atol et des meubles de bureau Majencia montrent toutefois que formation et réorganisation du travail constituent deux thèmes RH que la relocalisation peut dynamiser. « Mais ce n’est pas elle qui les a déclenchés, tempère Vincent Gruau, le Pdg de Majencia. Nos actions s’inscrivent dans un programme plus complet de retour à la croissance. » Partant du point bas de 800 salariés en 2005, le groupe a regagné 50 emplois à partir de 2009, donc dans un second temps après la relocalisation.

Toutefois, dans cette société redevenue française, ayant réintégré en 2006 dans l’usine en sous-charge de Noyon (Oise) la ligne de caissons que la précédente maison mère hollandaise avait sous-traitée en Chine, le budget formation a régulièrement augmenté ces dernières années, pour dépasser 4 % de la masse salariale. Un programme de polyvalence a été mis en place pour quelques salariés de la manutention appelés à changer de métier afin de « recentrer la main-d’œuvre sur les tâches à valeur ajoutée », selon le Pdg.

Gagner en efficacité et en productivité

« Revenir pour faire la même chose qu’en zone low cost n’a pas de sens », confirme Philippe Peyrard, directeur général délégué d’Atol. Défaut de qualité en Chine et montée en gamme ont provoqué, à partir de 2006, le retour de production de lunettes chez les sous-traitants français. Ces TPE-PME du Jura et de l’Ain ont recréé une soixantaine d’emplois, dont 30 net. Et Atol les pousse à se former pour mieux s’organiser. « La collection innovante que nous avons lancée début 2010 s’accompagne d’actions pour faire gagner les TPE-PME en efficacité et productivité, dont la modernisation de leur management, pour ouvrir les agents de maîtrise à l’animation d’équipe et à l’échange d’idées entre collègues », illustre Philippe Peyrard.

Association d’entrepreneurs

Atol et Majencia ont fondé l’an dernier l’association Le Cedre (Comité des entrepreneurs pour un développement responsable de l’économie), qui veut montrer que le “made in France” peut se conjuguer avec la RSE en général et les actions RH en particulier. Mais ils en sont pour l’instant les seuls membres industriels. Quelques autres (Gantois, Geneviève Lethu) sont toutefois approchés pour élargir le cercle.

Dans cet accompagnement du retour en France, les pouvoirs publics ont-ils une place ? Les élus semblent plus légitimes à prévenir les départs d’entreprises. « En attirant de grandes écoles comme nous le faisons avec Centrale, Sciences Po et Agro Paris Tech, en soutenant la R & D, en aidant nos entreprises à devenir de moins en moins sous-traitantes, nous construisons la politique qui les gardera sur notre territoire », expose Jean-Paul Bachy, président (PS) de la région Champagne-Ardenne. De l’avis général, la meilleure relocalisation reste celle qui n’a pas lieu… par absence de délocalisation préalable.

L’essentiel

1 Bien que médiatisées, les relocalisations restent un phénomène marginal au regard des délocalisations, et leurs effets sur l’emploi ou la politique RH des entreprises sont limités.

2 A moyen terme, le développement d’une production “made in France” peut donner lieu à des actions RH spécifiques de formation ou d’organisation du travail, comme chez Atol ou Majencia.

3 Avec seulement trois bénéficiaires, la prime gouvernementale à la relocalisation n’a pas eu d’effet significatif pour faire revenir des productions au bercail.

La prime à la relocalisation tient du mirage

→ A sa création par le gouvernement l’été dernier, elle a été appelée prime à la relocalisation pour faire simple, mais sa dénomination officielle est “aide à la réindustrialisation”.

→ Sur les trois bénéficiaires à ce jour, seul le premier, la fonderie normande Loiselet, répond au scénario d’une délocalisation partielle lointaine (Chine et Inde) suivie d’un retour en France avec création d’emplois (100) à l’appui. MP Hygiène dans l’Ardèche (bobines de papier pour essuie-tout) prévoit de créer 48 emplois en ramenant de la production depuis l’Italie, pays pas spécialement rangé dans la catégorie low cost. Quant à Axon’Cable à Montmirail (Marne), son projet débouchant sur 50 emplois au minimum répond à la définition de la non-délocalisation : « Nous industrialisons de nouveaux produits à notre siège du fait qu’il abrite aussi la R & D, plutôt qu’en Allemagne ou en Hongrie », souligne Joseph Puzo, le Pdg du fabricant de câbles et connecteurs de 1600 personnes, dont la moitié dans l’Hexagone.

→ Avec ses 12,9 millions d’euros en trois dossiers, la prime – en fait une avance remboursable sans intérêt – est pour l’instant loin d’avoir consommé son enveloppe de 200 millions d’euros pour un nombre visé de 40 entreprises.

Auteur

  • CHRISTIAN ROBISCHON