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« Reconnaître les salariés, c’est d’abord s’y intéresser »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 15.02.2011 | PAULINE RABILLOUX

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« Reconnaître les salariés, c’est d’abord s’y intéresser »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Les salariés se plaignent de plus en plus de l’intensité du travail, dans un environnement social dégradé.? Dans ce contexte, le besoin de reconnaissance, non seulement en termes de salaires mais aussi d’amélioration des conditions de travail, est devenu nécessaire pour éviter démotivation et désengagement, qui peuvent peser sur la performance de l’entreprise.

E & C : Vous liez étroitement performance des entreprises et reconnaissance au travail. Que faut-il mettre sous ce terme ?

Christèle Pierre : Le sens que les uns et les autres mettent sous le terme de reconnaissance au travail n’est ni toujours très clair ni toujours univoque. Là où les patrons et les DRH tendent à penser en termes de rémunération, la reconnaissance pour les salariés recouvre rarement les seuls aspects financiers. Le salaire bien sûr représente un élément de la reconnaissance du travail fourni, mais celle-ci englobe plus généralement la manière dont la personne et son travail sont estimés par les responsables hiérarchiques, les collègues, les clients ou les usagers. La reconnaissance a toujours trait à l’intime. Elle concerne à la fois l’identité de la personne, son activité et ses résultats.? Elle met en question la notion d’équité dans la manière de traiter le salarié en fonction de sa formation, de son salaire, de son évolution de carrière, mais aussi par rapport à ses collègues. La reconnaissance a trait à la justice et aux relations humaines. Elle fonde le lien social en entreprise.

E & C : En quoi reconnaître le travail est-il nécessaire ?

C. P. : La fin du taylorisme a signifié la fin de l’opérateur considéré comme simple exécutant. Les entreprises ont demandé aux salariés de s’impliquer davantage dans leur travail, de prendre de plus en plus de responsabilités, d’être autonomes, en échange de quoi il leur serait individuellement reconnu des avantages personnalisés en termes de salaire et de promotion. Or les salaires restent largement encadrés par la catégorie d’emploi occupée et les progressions de carrière sont souvent aléatoires, peu lisibles et d’autant moins prévisibles qu’aujourd’hui, tout évolue rapidement : les postes, l’organisation et parfois même le métier. Les salariés ont l’impression qu’on leur demande de faire sans cesse de nouveaux efforts d’adaptation et d’être plus performants, sans prendre en compte le fait qu’ils le sont. Les promesses implicites du toyotisme n’ont pas été tenues et les salariés se sentent d’autant plus floués qu’ils y ont cru.? En lieu et place d’une reconnaissance de leurs efforts leur échoient des conditions de travail plus difficiles. Cela pose également problème à l’entreprise car, sans reconnaissance, la performance ne peut pas être au rendez-vous. Si l’on veut que les salariés s’impliquent, il faut d’une manière ou d’une autre qu’ils en retirent un bénéfice en termes de situation personnelle et sociale. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le salaire n’est pas toujours le fin mot de l’histoire, et il est fréquent que des salariés quittent l’entreprise non pour trouver ailleurs un meilleur salaire mais pour travailler dans de bonnes conditions, dans un meilleur climat ou pour un poste plus intéressant.

E & C : Quels sont les moyens d’expression de la reconnaissance ?

C. P. : Comme la reconnaissance n’est pas univoque, ses moyens ne passent donc pas toujours par l’argent et heureusement, car dans certaines entreprises, il n’existe aucune latitude à ce niveau. C’est le cas, par exemple, dans la fonction publique mais aussi dans des PME qui travaillent dans des contextes concurrentiels extrêmement difficiles. L’une des toutes premières étapes d’intervention, après l’analyse du problème, doit consister à apprécier les marges de manœuvre de l’entreprise. La clé réside souvent dans l’amélioration des relations.

Car la reconnaissance est d’abord et avant tout question de lien et de confiance, donc de symbolique. A ce niveau, tout ce qui exprime l’estime et le respect est éminemment souhaitable, qu’il s’agisse de revoir les conditions de travail, les locaux ou encore la manière de s’adresser aux gens. Cela, bien sûr, ne saurait se réduire ni à de la mise en scène ni à de simples formules de politesse. Une démarche hypocrite serait pire que le mal. Nous sommes là au cœur du problème : reconnaître les salariés, c’est d’abord s’y intéresser, être à leurs côtés. Les dérives gestionnaires qui ont accompagné le toyotisme doivent être remises en cause. Ne rendre aucun compte est bien sûr d’autant moins envisageable que les entreprises et les services sont maintenant tenus de produire des résultats. Il est indispensable de pouvoir comptabiliser, comparer, prévoir. Cependant, le temps passé en reporting par les managers est souvent pris au détriment du management quotidien des équipes. Il faut revenir à un management des hommes et non seulement des résultats. Ou plutôt, c’est en investissant dans le management des hommes que l’on peut espérer aujourd’hui améliorer les résultats de l’entreprise. L’entreprise est d’abord et avant tout une communauté humaine. Le temps passé à animer les équipes n’est du temps perdu qu’en apparence. Ce temps consacré au soutien et à la reconnaissance des autres permet de redonner du sens à la logique gestionnaire en la connectant mieux aux réalités du travail.

PARCOURS

• Christèle Pierre est chargée de mission à l’Aract de Franche-Comté. Elle intervient auprès des PME pour des diagnostics courts sur les conditions de travail.

• Titulaire d’un DESS de psychologie (ingénierie de formation), elle a travaillé huit ans à l’Afpa sur l’orientation des adultes, la formation et le recrutement.

• Elle a coécrit avec Christian Jouvenot, chargé de mission à l’Aract Nord-Pas-de-Calais, un ouvrage intitulé La Reconnaissance au travail (éd. de l’Anact, mai 2010).

LECTURES

• L’Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail, M. Crawford, La Découverte, 2010.

• Quand les petit chefs deviendront grands, M. Thévenet, éditions d’Organisation, 2004.

• Le Désir de métier. Engagement, identité et reconnaissance au travail, F. Osty, Presses universitaires de Rennes, 2003.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX