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Modulation du temps de travail : le contrat de travail prime sur l’accord collectif

Enjeux | Chronique juridique par AVOSIAL | publié le : 15.02.2011 | LAURENT GUARDELLI

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Modulation du temps de travail : le contrat de travail prime sur l’accord collectif

Crédit photo LAURENT GUARDELLI

La clarification du droit de la durée du travail ne semble pas à l’ordre du jour. Complexe en soi dès lors qu’aux enjeux juridiques et de management se mêlent des considérations liées au respect de la vie familiale des salariés et à leur santé, il continue de susciter, au nom parfois de pures considérations partisanes, des débats dont le droit est exclu jusqu’au jour où les décisions prises doivent être mises en œuvre. Derrière la scène médiatique, la chambre sociale de la Cour de cassation apporte également son lot de bouleversements aux conséquences pratiques incertaines, dont l’arrêt du 28 septembre 2010 est un exemple supplémentaire.

Un salarié, dont l’employeur n’avait pas réduit la durée du travail à 35 heures, bénéficiait du paiement systématique d’heures supplémentaires à partir de la 36e heure de travail jusqu’à la 39e, qu’il effectuait de manière permanente, voire au-delà. A la suite du rachat de l’entreprise, le nouvel employeur décide de faire application d’un accord de modulation. L’effet est immédiat et conforme à l’objectif de la modulation : le salarié, sauf dépassement des limites prévues dans l’accord de modulation ou de la limite annuelle maximale, n’accomplit plus d’heures supplémentaires et ne bénéficie donc plus des majorations attachées.

A la demande du salarié visant au rétablissement d’une durée mensuelle de travail de 169 heures et à un rappel d’heures supplémentaires, les juges du fond, puis la Cour de cassation, accèdent en posant le principe que « l’instauration d’un accord de modulation du temps de travail constitue une modification du contrat de travail qui requiert l’accord express du salarié », de sorte que devait être condamnée la modification du contrat de travail consistant en la « modification du mode de détermination des heures supplémentaires ».

Les fondements de la solution dégagée sont encore à cerner précisément, mais l’un d’entre eux mérite déjà l’attention. En effet, au-delà du débat sur l’articulation entre le contrat et l’accord collectif de travail, entre ce que l’un peut avoir de plus favorable que l’autre ou de l’autorité que le premier devrait avoir sur le second, on retient que la modification identifiée par les juges est celle du « mode de détermination des heures supplémentaires », érigé en un élément essentiel du contrat insusceptible de modification sans l’accord du salarié.

Bien loin de l’esprit du travail commandé, qui conduit notamment à considérer que, sauf abus, la réalisation d’heures supplémentaires devrait être réclamée pour ouvrir droit à paiement au taux majoré qui leur est applicable, la Cour de cassation semble presque instituer un véritable droit à heures supplémentaires, que le salarié devrait pouvoir effectuer sans qu’elles ne lui soient supprimées. Cela est nouveau.

Mais si les fondements de l’arrêt sont incertains, ses conséquences pratiques sont considérables. En premier lieu et au plan individuel, cette solution n’ouvre-t-elle pas la porte à des revendications en cascade d’heures supplémentaires, voire d’indemnités pour travail dissimulé, voire encore de prises d’acte de rupture de contrats de travail ou de demandes de résiliation judiciaire, émanant de salariés qui n’auraient pas donné leur accord express à l’application d’une accord de modulation ? Nul doute que la rédaction des contrats de travail, dont certains auraient ménagé la possibilité d’une modulation, sera âprement discutée quand viendra le temps du contentieux.

Sur un plan collectif, la mise en place d’accords de modulation conserve-t-elle un intérêt, dès lors qu’à la négociation collective succédera la quête des acceptations individuelles des salariés concernés, dont les seuls refus ne pourront servir, selon une règle bien établie, de motif de licenciement ? Celui-ci ne pourra semble-t-il être qu’économique, pour autant qu’on parvienne à l’identifier, ce qui est loin d’être acquis. En théorie, seules des situations, dans lesquelles la mise en place de la modulation est un impératif organisationnel indispensable à une réorganisation de l’entreprise rendue nécessaire par sa situation économique, semblent recevables. En pratique, il n’est pas certain qu’une telle preuve soit simple à établir.

Enfin et surtout, ainsi que l’ont exprimé discrètement certains membres d’organisations syndicales de salariés, la solution pose la question de l’autorité, si ce n’est de l’utilité, des conventions et accords collectifs de travail. Instaurer leur prééminence dans la création de la norme de droit du travail est pourtant essentiel, ne le perdons pas de vue.

Laurent Guardelli, avocat à la cour, au cabinet Field Fisher Waterhouse LLP, membre d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.

Auteur

  • LAURENT GUARDELLI