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La question des statuts et la rigueur crispent Pôle emploi

Les pratiques | publié le : 08.02.2011 | PASCALE BRAUN

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La question des statuts et la rigueur crispent Pôle emploi

Crédit photo PASCALE BRAUN

Créé voici deux ans dans la tourmente d’une réorganisation à marche forcée sur fond de crise économique majeure, Pôle emploi entre aujourd’hui dans une phase de rigueur budgétaire. Une nouvelle source d’inquiétude pour les 46 700 salariés de la structure, dont le statut, les métiers et les conditions de travail ne sont pas stabilisés.

Et maintenant, l’austérité ! Présenté fin décembre dernier, le budget 2011 de Pôle emploi prévoit la suppression de 1800 postes d’ici à la fin de l’année. Le projet de loi de finances affirme que « les gains de productivité et les synergies engendrées par la fusion ainsi que l’inflexion du chômage attendue au courant de 2011 libéreront les effectifs ». Présenté en conseil d’administration, le budget n’a été voté que par les représentants de l’Etat et du patronat, l’ensemble des 9 syndicats représentés au sein de l’entreprise dénonçant la diminution de moyens humains et financiers. « La direction justifie sa décision par une perspective de fin de crise qui nous laisse dubitatifs. Même si le nombre d’entrants diminuait, il n’en reste pas moins 4 millions de personnes à accompagner », rappelle Philippe Berhault, secrétaire général adjoint de la CFDT Emploi.

Désengagement de l’Etat

Amorcé dès la fusion des services de l’ANPE et de ceux de l’Assedic décidée fin 2008, le désengagement de l’Etat s’est traduit par des non-compensations d’un montant global de 337 millions d’euros. Cette année, la coupe dans les effectifs se traduira par la non-reconduction de 1 500 CDD parmi quelque 5 000 personnes recrutées depuis 2009, au plus fort de l’afflux de nouveaux demandeurs d’emploi. Par ailleurs, 300 départs en retraite ne seront pas remplacés.

Dans le même temps, le budget imparti aux opérateurs privés sera réduit des deux tiers. Ces nouveaux acteurs de l’accompagnement – essentiellement des groupes d’intérim – s’étaient vu confier en 2009 le suivi de 200 000 demandeurs d’emploi. Le recours au privé a pu soulager les agents au plus fort de la crise tout en offrant une bouffée d’oxygène au secteur de l’intérim, lui-même touché de plein fouet.

Attendu courant juin, un premier bilan doit évaluer l’efficacité et le coût de l’ouverture au privé du marché de l’accompagnement. Mais les syndicats ne cachent pas leur hostilité à cette sous-traitance : « Nous aurions préféré voir ces sommes investies dans la formation et le recrutement à Pôle emploi. Cela nous aurait permis d’accomplir les mêmes missions à moindre coût. A présent, les dossiers impartis aux consultants privés reviendront à des agents déjà surchargés », souligne Jean Montero, délégué syndical central FO.

Appels à la grève et mouvements spontanés

Pôle emploi ne semble donc pas prendre le chemin de l’apaisement, alors que l’entreprise connaît depuis sa création des relations sociales tendues. En l’espace de vingt-quatre mois, des intersyndicales à géométrie variable ont lancé pas moins de sept appels à la grève souvent très suivis, sans compter les mouvements spontanés. La question de la surcharge de travail figure au cœur du mécontentement (lire encadré p. 14).

En revanche, les partenaires sociaux, confrontés à l’urgence, ont réalisé des avancées impressionnantes dans la rédaction de la nouvelle convention collective nationale (CCN). Rarement négociations conventionnelles auront été conduites à une telle allure. Lors de sa création, Pôle emploi regroupait 28 000 ex-agents de l’établissement national ANPE et 15 000 salariés de l’association de droit privé Assedic. Deux ans plus tard, 80 % des 49 000 agents se trouvent sous contrat de droit privé dans le cadre de la nouvelle CCN ratifiée en juin 2009.

Applicable aux anciens salariés de l’Assedic, aux nouveaux arrivants et aux personnels de l’Afpa, la CCN Pôle emploi ouvre aux agents de statut public une période d’option de deux ans pour le conserver ou le quitter définitivement. En janvier 2011, 59 % des ex-ANPE ont opté pour le statut de droit privé. La direction des ressources humaines prend acte de cette « marque d’intérêt » des agents pour la CCN.

« Pôle emploi aura réalisé en trois ans un travail statutaire qui demande dix ans d’ordinaire. La première année de travaux a apporté des avancées considérables, et les négociations en cours peuvent convaincre les agents qui n’ont pas franchi le pas », estime Philippe Berhault, qui a joué un rôle moteur dans l’élaboration de la CCN. Les partenaires sociaux ont d’ores et déjà ratifié 25 accords, notamment en matière de rémunération, et s’apprêtent à traiter 11 nouveaux thèmes, dont la classification des métiers, l’égalité professionnelle et la formation.

« L’option a valu aux signataires un gain salarial de 18 % à 20 %. Malgré ces dispositifs alléchants, 40 % des personnels de droit public ont renoncé à un gain immédiat pour conserver un statut comportant l’inamovibilité, l’indépendance et la garantie de l’emploi », analyse Rubens Bardaji, secrétaire général de la CGT, qui milite pour le maintien du statut public.

Des statuts sources de tensions

Au quotidien, la question de l’option continue de diviser, observe pour sa part Jean Montero : « Cela entretient des tensions entre agents ayant conservé leur statut et ceux qui l’ont quitté, surtout quand, pour un même travail, le salaire est différent. » Christian Charpy, directeur de Pôle emploi, a néanmoins désamorcé début janvier un conflit portant sur les cotisations d’assurance chômage des anciens salariés des Assedic en débloquant 15 millions d’euros pour leur remboursement.

Vers un métier unique

La question centrale du rapprochement des compétences respectives des anciens de l’Assedic et de l’ANPE reste en revanche en suspens. A la veille de la fusion, Christian Charpy, alors directeur général de l’ANPE, assurait que les deux métiers resteraient scindés. Pôle emploi avait pourtant affiché dès sa création la volonté d’instaurer un métier unique. Tout entière consacrée à gérer l’urgence, l’année 2009 ne se prêtait guère à d’ambitieux plans de formation – pas plus que 2010, où la priorité a été donnée à l’instauration de sites mixtes.

Mais la direction a présenté en décembre dernier un projet d’entretien d’inscription et de diagnostic (EID) assuré par un même conseiller chargé de l’inscription, de l’instruction de la demande d’indemnisation et de l’orientation de la recherche d’emploi. La direction des ressources humaines déploie depuis début février un plan de formation de quatre jours, assortis de deux jours optionnels, à l’intention de 20 000 ex-agents de placement de l’ANPE.

« La perspective du métier unique conduit à dévaloriser les missions et à dégrader les conditions de leur exercice. Il est essentiel de défendre les qualifications respectives des deux métiers », affirme Rubens Bardaji. « Rendre le service au demandeur d’emploi en une seule fois pourrait constituer un progrès, mais le temps imparti à la formation est très nettement insuffisant. On ne rattrape pas en quelques semaines les compétences acquises au cours d’années de travail », estime Jean Montero. La CFDT approuve, pour sa part, les ouvertures de carrières qu’offriraient les passerelles entre les deux métiers, mais préconise des formations basées sur le volontariat et le tutorat.

« En deux ans, Pôle emploi n’est pas parvenu à stabiliser ses deux cœurs de métier, l’indemnisation du chômage et le retour à l’emploi. Il doit se recentrer sur sa mission, qui consiste à aider les publics les plus éloignés de l’emploi », estime Jean-Charles Steiger, conseiller emploi et membre du bureau national du SNU Pôle emploi.

Service aux chômeurs

L’ensemble des syndicats s’inquiète d’une dégradation du service apporté aux chômeurs, pointant notamment le risque de voir Pôle emploi se concentrer sur les missions d’inscription et d’indemnisation au détriment de l’accompagnement des demandeurs d’emploi de longue durée, dont le nombre ne cesse d’augmenter. Deux ans après une fusion engagée à marche forcée, l’attachement des deux familles professionnelles à leur mission de service public est, elle, restée intacte.

L’essentiel

1 Le budget 2011 de Pôle emploi prévoit la suppression de 1800 postes d’ici à la fin de l’année. Le budget imparti aux prestataires privés pour l’accompagnement des demandeurs d’emploi est réduit des deux tiers.

2 Cette réduction d’effectif intervient alors que Pôle emploi connaît, depuis sa création, des relations sociales tendues et que ses agents et salariés subissent des conditions de travail difficiles.

3 Près des deux tiers des ex-agents de l’ANPE ont opté pour la convention collective négociée en 2009 et ont renoncé à leur statut de droit public.

Des conditions de travail tendues

→ Lors de la fusion, Christine Lagarde, ministre de l’Economie, préconisait un portefeuille de 60 demandeurs d’emploi par conseiller. Or, le suivi moyen s’établit à 120 dossiers par mois, avec des “records” à 200.

→ A cette surcharge s’ajoutent les changements de lieu et de conditions de travail. Les 46 700 agents de Pôle emploi sont désormais répartis sur 834 sites mixtes assurant à la fois l’accompagnement et l’indemnisation des demandeurs d’emploi. Cette réorganisation a regroupé les employés au sein de nouveaux centres de 60, 90, voire 130 personnes, parfois confrontées à un manque de surface ou de postes de travail. La répartition de l’espace est source de tension entre anciens de l’Assedic, qui travaillaient naguère dans des bureaux fermés, et les anciens de l’ANPE, habitués à un environnement en open space.

→ Le malaise s’est également traduit fin 2009 par plusieurs cas de tentatives de suicide et un suicide sur site.

→ La direction a amorcé courant 2010 une démarche de prévention des risques psychosociaux, qui a tourné court, n’emportant l’adhésion que de deux syndicats.

Auteur

  • PASCALE BRAUN