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« L’insertion des jeunes mérite un baromètre indépendant »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 08.02.2011 | VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE

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« L’insertion des jeunes mérite un baromètre indépendant »

Crédit photo VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE

Les études du Céreq sur l’insertion des jeunes montrent que ceux-ci ne constituent pas une génération sacrifiée. Mais de multiples enquêtes sur ce sujet donnent des résultats contradictoires. La création d’un dispositif indépendant d’observation permettrait aux pouvoirs publics comme aux entreprises d’y voir plus clair.

E & C : Vous avez récemment lancé un appel face au risque de « balkanisation » des dispositifs d’observation de l’insertion des jeunes… l’une des missions du Céreq. Que se passe-t-il exactement ?

Frédéric Wacheux : Voilà quarante ans que le Céreq, établissement public missionné par les ministères de l’Education nationale et de l’Emploi, étudie avec des méthodes universitaires les relations entre formation et emploi, les processus de qualification, la manière dont les jeunes s’insèrent sur le marché du travail et la formation tout au long de la vie. Nos constats statistiques aux niveaux régional, français ou européen portent sur de longues périodes. Ces enquêtes permettent d’éclairer les politiques et les actions des pouvoirs publics comme d’autres acteurs – branches professionnelles, syndicats, etc.

Or, depuis quelques années, on constate un regain d’intérêt pour l’insertion professionnelle des jeunes : c’est une préoccupation forte des parents, qui s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants, du ministère de l’Enseignement, qui souhaite des éléments de pilotage de la politique universitaire, et des universités elles-mêmes, qui portent une responsabilité sociale en la matière. Chacune d’elles s’est dotée d’un observatoire de l’insertion de ses diplômés en raison des classements et des certifications imposés par l’internationalisation. Par ailleurs, de nombreux autres acteurs se sont positionnés sur ce sujet : Apec, ministères, Afij – Association pour la formation des jeunes diplômés –, Institut Montaigne… Même la presse titre régulièrement sur « les diplômes qui marchent ». Tout cela produit des résultats contradictoires, car les méthodes utilisées sont différentes. On ne sait plus où l’on en est. Il faudrait se mettre d’accord sur ce que l’on mesure exactement et comment on le fait. L’insertion d’un jeune ne peut se mesurer uniquement en fonction de son obtention ou non d’un premier emploi six mois après sa sortie du système scolaire ou universitaire.

E & C : Que préconisez-vous ?

F. W. : L’enquête “Génération”, dont nous présentons les résultats en ce début d’année, s’appuie sur l’analyse des trajectoires de 30 000 jeunes parmi les 700 000 qui sont sortis du système scolaire durant trois ans. Ce suivi sur une longue période montre qu’il n’y a pas de problème général de génération sacrifiée, ni d’insertion des jeunes diplômés, mais plutôt des situations très différentes selon la région, le niveau d’études ou le réseau social d’appartenance. Et les vrais sacrifiés face à l’emploi et à la conjoncture sont les jeunes sortis sans diplôme du système éducatif. Certes, les diplômés trouvent du fait de la crise des premiers emplois un peu déqualifiés et moins bien payés, mais ceux qui ne le sont pas rencontrent les difficultés les plus durables. Si l’on faisait des études sur dix ans, on verrait que ce handicap n’est jamais comblé. Il faut donc conduire des actions différenciées selon les publics, à partir d’une compréhension fine des mécanismes.

E & C : Les entreprises ont-elles un intérêt à cette meilleure compréhension des mécanismes d’insertion des jeunes ?

F. W. : Tous les chiffres publiés influencent forcément les politiques de recrutement des entreprises : lorsque l’on entend sans cesse que le niveau de qualification des jeunes augmente, par exemple, on a tendance à exiger davantage de diplômes des candidats. Il est aujourd’hui dans la norme qu’une secrétaire possède au moins un bac + 2 ! Le recruteur est coincé par de tels critères restrictifs.

Par ailleurs, on constate souvent que les jeunes ne travaillent pas dans la filière pour laquelle ils ont été formés : il y a un problème d’adéquation des cursus avec les emplois proposés. De leur côté, les entreprises cherchent toujours le mouton à cinq pattes, élaborent une fiche de poste a priori… et ne trouvent pas la bonne personne. Si les DRH portaient une attention plus soutenue au contenu des études suivies par les jeunes, ils auraient une vision plus réaliste des compétences disponibles. Enfin, mieux connaître la diversité des diplômes pourrait leur permettre d’élargir leur spectre de recherche, souvent limité à quelques écoles.

E & C : Comment proposer des informations fiables aux recruteurs comme aux pouvoirs publics ?

F. W. : Il faut à mon sens créer un dispositif national qui soit un baromètre indépendant, accepté par tous – ministères, régions, universités, branches professionnelles… – comme l’est pour d’autres sujets l’Insee. Il produirait de grandes enquêtes régulières permettant des comparaisons et des analyses, du même type que l’enquête Pisa*.

Au Céreq, nous militons vraiment pour que soit développée la logique de trajectoires, qui permet de mesurer des phénomènes et de donner du sens aux politiques et aux actions qui sont conduites. De par son expérience, le Céreq peut dans un premier temps être utilisé en ce sens. Dans un second temps, il s’agirait de réunir tous les acteurs concernés autour de la table pour structurer ce dispositif national indépendant. C’est d’autant plus important dans une période où il est nécessaire de rationaliser les fonds publics…

* Pisa est une enquête menée tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans les 34 pays membres de l’OCDE et des pays partenaires. Elle évalue, au terme de la scolarité obligatoire, l’acquisition de connaissances et de savoir-faire essentiels à la vie quotidienne.

PARCOURS

• Frédéric Wacheux est directeur du Céreq. Il était précédemment recteur de l’académie de Guyane, chancelier des universités, directeur des services départementaux de l’Education nationale.

• Titulaire d’un doctorat en sciences de gestion, il a dirigé le master GRH de Paris-Dauphine de 2000 à 2008. Il avait auparavant dirigé le Centre de recherche en économie pure et appliquée de cette université.

• Il a publié plusieurs ouvrages, dont, avec David Autissier, Manager par le sens. Les clés de l’implication au travail (éd. d’Organisation, 2006).

LECTURES

• L’Intégration des nouveaux collaborateurs, Delphine Lacaze et Serge Perrot, Dunod, 2010.

Quand l’école est finie… Premiers pas dans la vie active de la génération 2004, Céreq, 2008 (sur <www.cereq.fr/pdf/qeesf2004.pdf>).

Auteur

  • VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE