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Des écoles d’ingénieurs sous influence

Les pratiques | publié le : 01.02.2011 | HÉLÈNE TRUFFAUT

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Des écoles d’ingénieurs sous influence

Crédit photo HÉLÈNE TRUFFAUT

Le secteur des logiciels et services aimerait voir les écoles d’ingénieurs passer d’un système de transmission des connaissances à un système de développement des compétences nécessaires aux entreprises. Une façon de mettre enseignants, recruteurs et jeunes diplômés sur la même longueur d’onde.

Recrutement, progression de carrière, GPEC, performance de l’entreprise : tout est aujourd’hui lié à la notion de “compétence”, qui met en jeu des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être. Grand consommateur de profils hautement diplômés et capables de s’adapter à différents environnements, le secteur des logiciels et services a mené une réflexion sur le sujet dans le cadre de l’association Pasc@line.

Créée en 2006 sous l’impulsion de Syntec numérique (chambre professionnelle des SSII, des éditeurs de logiciels et des sociétés de conseil en technologies), cette association vise, entre autres, à favoriser le dialogue écoles-entreprises. Elle a dernièrement mis en ligne sur son site Internet* un document de synthèse à destination de ses quelque 70 écoles membres pour les aider à mettre en œuvre une « approche compétences ». Certaines d’entre elles ont déjà sauté le pas.

Faire évoluer la pédagogie et les méthodes d’apprentissage

De quoi s’agit-il ? En résumé, de mettre toutes les parties prenantes sur la même longueur d’onde : « Les écoles d’ingénieurs transmettent des connaissances, alors que les entreprises attendent surtout des compétences, c’est-à-dire une capacité à assurer une activité à un poste donné », explique Noël Bouffard, directeur délégué à la direction générale de Sopra Group et coprésident de la commission formations spécialisées de Pasc@line. Des compétences que managers et DRH évaluent sur le terrain en fonction de référentiels métier. L’idée est donc, pour les établissements de formation, de tendre vers un système similaire. Ce qui implique de faire évoluer la pédagogie et les méthodes d’apprentissage.

La tâche est complexe. Polytech’Tours (école d’ingénieurs polytechnique de l’université de Tours) s’est engagée sur cette voie en 2008. « Nous voulions rendre nos formations plus lisibles pour les entreprises, en partageant un langage commun », raconte Emmanuel Néron, directeur du département informatique de l’école.

Après la constitution d’un conseil de perfectionnement pour cette spécialité – une équipe de seize membres, composée à parts égales d’enseignants et d’industriels –, il a fallu définir un profil type de l’ingénieur Polytech’Tours. Avant de procéder au découpage de la formation en grands thèmes, eux-mêmes déclinés en une série de compétences. Le référentiel ainsi obtenu, complété de quelques emprunts à des référentiels normés tels que le ROME de Pôle emploi, a ensuite servi de feuille de route pour construire une nouvelle maquette pédagogique.

Un énorme travail de remise à plat salué par Guy Bonvalet, directeur pour la région Ouest de SII (société d’ingénierie et de conseil en technologies), également président du conseil de perfectionnement.

« Il était utile, par exemple, de mettre davantage l’accent sur le travail en équipe, la communication, mais aussi d’initier les élèves aux impératifs de rentabilité de l’entreprise. Les projets menés dans le cadre du cursus intègrent désormais cette dimension », détaille-t-il.

Difficile cependant, pour des écoles habituées à manipuler des notes et des moyennes, de mettre sur pied un système d’évaluation approprié. Surtout lorsqu’il faut jauger des compétences transverses, ne relevant pas d’un savoir-faire technique. « Nous devons identifier des actes pédagogiques qui nous permettent d’en apprécier l’acquisition progressive par les étudiants », expose Lionel Luquin, directeur des études de l’école des Mines de Nantes.

L’établissement, qui a enclenché sa démarche dès 2006, a dû – difficulté supplémentaire – élaborer un référentiel générique le plus en concordance possible avec les besoins d’entreprises de tous secteurs. Il distingue quatre catégories de compétences : ingénierie, scientifiques et techniques, interpersonnelles (capacité à agir en équipe, à communiquer…) et intrapersonnelles (capacité de décision, d’engagement, d’adaptation…).

Un environnement social

Pour Lionel Luquin, ces deux derniers volets font toute la différence entre deux ingénieurs. « Une entreprise, c’est d’abord un environnement social. La difficulté majeure pour nos jeunes diplômés, c’est de parvenir à s’y insérer », estime-t-il.

Dans cette optique, Jean-Paul Morin, responsable d’une équipe transverse au sein de la direction des back offices France de BNP Paribas, a passé un accord avec l’école des Mines de Nantes. Son service était alors en quête d’ingénieurs pour mener à bien un grand projet de réorganisation interne. « Nous avons axé le stage de 3e année sur le bagage relationnel de nos futures recrues : négociation, animation de réunion, approche collective des problèmes, mode d’expression, etc., qui sont autant de compétences nécessaires à nos managers de proximité », expose-t-il.

Compétences comportementales

Noël Bouffard enfonce le clou : « Les compétences comportementales sont vraiment au cœur de nos préoccupations, souligne-t-il. Notre objectif est de faire en sorte que les jeunes diplômés comprennent ce que l’on attend d’eux, qu’il soient familiarisés aux systèmes d’évaluation et qu’ils aient ainsi toutes les cartes en main pour gérer leur parcours. »

De quoi, aussi, les rendre plus rapidement opérationnels. Les écoles concernées sont de leur côté convaincues de l’intérêt, pour leurs ingénieurs, de pouvoir identifier leurs points forts et leurs lacunes, jusqu’alors noyés dans une note globale.

A terme, elles envisagent de délivrer un supplément au diplôme cartographiant les compétences de leurs ouailles. Un document qui restera « à usage strictement personnel », précise Emmanuel Néron.

Sur le front syndical, l’initiative est plutôt fraîchement accueillie. D’autant que certains systèmes d’évaluation, de plus en plus axés sur le comportement des individus et sur l’adhésion à des valeurs d’entreprise, suscitent actuellement de vives polémiques. Selon la Fédération CGT des sociétés d’études, l’approche compétences prônée par Pasc@line est révélatrice de la façon dont les SSII gèrent leurs ressources humaines : « Tout repose sur la capacité du salarié à se débrouiller pour rester compétent », résume son secrétaire général Noël Lechat.

Mais pour le président de la Fieci CFE-CGC, la logique compétences serait un peu anachronique. « Les entreprises sont confrontées à la génération Y, développe Michel de La Force. Le rapport au travail et à l’entreprise a changé. Donner à croire que l’on innove en parlant à un jeune de postures comportementales et de la nécessité de se construire un portfolio de compétences pour assurer son employabilité, c’est le prendre pour un imbécile. Surtout dans des métiers où l’on pratique la délégation de personnel. » Pour Michel de La Force, la question est surtout de savoir dans quelles limites les entreprises peuvent influer sur les programmes, et avec quels arbitrages.

*<http://www.assopascaline.fr/>

L’essentiel

1 Un livre blanc sur la mise en place de l’approche compétences dans les cursus d’ingénieurs vient d’être édité par Pasc@line, une association du secteur informatique.

2 Certaines écoles d’ingénieurs ont adapté leurs programmes afin de pouvoir évaluer les étudiants selon un référentiel de compétences, à l’image de ce qui se pratique en entreprise.

3 Dans cette logique, les compétences comportementales prennent beaucoup plus d’importance. Les syndicats de la branche ne voient pas cette initiative d’un bon œil.

Auteur

  • HÉLÈNE TRUFFAUT