logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

« Une externalisation “cachée” consiste à demander toujours plus de services aux prestataires de formation, à coût constant »

Enquête | publié le : 01.02.2011 | L.G.

Image

« Une externalisation “cachée” consiste à demander toujours plus de services aux prestataires de formation, à coût constant »

Crédit photo L.G.

E & C : Les prestataires privés d’externalisation de la formation assurent que leurs activités se développent. Qu’en pensez-vous ?

P. J. : La tension sur les effectifs formation des services RH et les attentes en termes de “former plus pour moins cher” deviennent tellement fortes que ce genre de questionnement se renforce. Beaucoup d’entreprises s’interrogent sur l’optimisation des coûts liés à la gestion administrative et logistique, qui représentent environ 50 % des coûts et des effectifs. La trilogie externalisation de la gestion-achat de prestations-optimisation des financements a donc le vent en poupe.

On retrouve la même logique généralisée d’optimisation des coûts pédagogiques avec la diversification des modalités de formation ou le développement du e-learning, par exemple. Pour autant, une incertitude demeure sur l’existence véritable d’un marché. Les réflexions stratégiques et études d’opportunité sont nombreuses, les passages à l’acte plutôt rares.

Le marché réel et solvable me semble relever de PME qui grossissent et qui découvrent la complexité de la thématique formation, et optent pour l’externali– sation ; mais à ce jour, encore peu des grands groupes.

E & C : Pourquoi cette spécificité du marché ?

P. J. : Parce qu’il existe une forme de seuil critique, qui fait que l’on passe d’une juxtaposition de quelques demandes individuelles faciles à traiter à la mise en place d’une politique et d’un système de formation qui génèrent un ensemble de charges et de coûts importants sur le plan de la conception et de la production pédagogiques : domaines et thèmes de formation plus nombreux et complexes, mix inter et intra, diversité des modalités, appui au management, lien recrutement-mobilité-formation… Et qui génère surtout des coûts de gestion et des coûts induits : système d’information, gestion de formations collectives, relations avec les Opca, relations avec le CE, gestion des annulations, des transports, de l’hébergement…

Les décideurs cherchent à optimiser l’utilisation des ressources internes en essayant de les concentrer sur les zones à forte valeur ajoutée… Du moins, les plus éclairés d’entre eux !

E & C : Pourquoi les plus grands groupes seraient-ils a contrario moins tentés ?

P. J. : Les grandes entreprises s’attendent souvent à des gains très substantiels et sont généralement déçues. Tout d’abord parce que les entreprises ne savent pas exactement ce que leur coûte la formation ! Elles ne disposent en général que d’une vision “2483” des dépenses et sous-estiment l’investissement réel. Or si l’on souhaite comparer des coûts internes et des coûts externes, on ne peut se contenter d’établir une comparaison entre les coûts de personnel apparents et le budget proposé par le prestataire, qui, lui, intégrera tous les postes de coûts. D’autre part, les marges de manœuvre sont faibles pour rationaliser les coûts dans un domaine où les process sont finalement pour l’heure faiblement industrialisables. Le prestataire n’est pas forcément beaucoup plus intelligent que son client : il joue sur les niveaux de rémunération des acteurs – avec des personnels plus jeunes ou off shore pour opérer autour des systèmes d’information par exemple –, mais peu sur les process et la productivité.

Il est par ailleurs évident que plus les systèmes sont lourds et anciens, plus la gestion du changement est complexe et rebute souvent les décideurs, dans un domaine sensible socialement.

E & C : Quels sont les autres freins au développement d’un marché de la formation externalisée ?

P. J. : La France a la particularité d’avoir des Opca à gestion paritaire. Depuis des années, une large externalisation des problématiques formation a déjà lieu auprès d’eux : gestion du plan, ingénierie de formation, recherche de prestataires, financements… dans des conditions économiques souvent inégalables, ce qui irrite assez légitimement les prestataires privés du marché ! La réforme de la formation en cours peut renforcer cette tendance, compte tenu de la pression exercée sur les Opca pour qu’ils rendent davantage de services aux entreprises et aux salariés : des services qui, de plus, devront être définis et financés au travers des contrats d’objectifs et de moyens que chaque Opca devra signer avec l’Etat.

Il existe d’autre part une externalisation “cachée”, qui consiste à demander toujours plus de services périphériques aux prestataires de formation et à élargir le périmètre de prestation avec une augmentation limitée, voire nulle du niveau de coût.

Le cas des formations linguistiques ou bureautiques est à cet égard très instructif, dans la mesure où ce domaine préfigure généralement ce qui se passera dans les autres disciplines dix ans plus tard. Ainsi, aujourd’hui, les entreprises demandent aux prestataires linguistiques d’assurer une analyse des besoins et la construction des parcours ; une gestion de la planification, des inscriptions, des convocations et du reporting ; une gestion des annulations et reports ; l’intégration des données dans les outils de gestion ou une mise à disposition d’espaces privatifs de reporting en ligne, etc.

(1) Egalement directeur du développement du groupe Linguaphone, il a été directeur du développement d’une activité externalisation de la formation au sein d’Accor Services.

Auteur

  • L.G.