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« La génération Y risque de rester bloquée hors de l’entreprise »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 01.02.2011 | CAROLINE TALBOT

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« La génération Y risque de rester bloquée hors de l’entreprise »

Crédit photo CAROLINE TALBOT

Alors que les managers et les recruteurs s’efforcent de comprendre le fonctionnement et les codes de la fameuse génération Y, force est de constater que celle-ci arrive sur un marché de l’emploi sinistré par la crise aux Etats-Unis. Les jeunes diplômés actuels risquent de payer longtemps un démarrage de carrière difficile.

E & C : Les nouveaux diplômés de l’enseignement supérieur qui arrivent sur le marché du travail appartiennent à la fameuse génération Y, soit 70 millions de personnes nées entre 1977 et 1994. Leurs diplômes universitaires les ont-ils protégés ?

Matthew Bidwell : Les années 2008-2009 ne leur ont pas souri. Les employeurs ont souvent arrêté l’embauche des jeunes diplômés. Beaucoup se trouvent aujourd’hui bloqués à l’extérieur de l’entreprise. A la Wharton School de l’université de Pennsylvanie, nous avons des étudiants très qualifiés, et la plupart d’entre eux ont finalement trouvé les emplois qu’ils souhaitaient. Mais les étudiants sortant d’une université un peu moins prestigieuse ont eu plus de mal.

E & C : Quelles leçons peut-on tirer des crises antérieures ?

M. B. : Il a été constaté lors des récessions précédentes que les groupes d’âge qui intègrent le marché du travail durant un ralentissement subissent une sanction persistante en termes de salaire et d’avantages. Ils mettent plus de temps à trouver l’emploi qu’ils souhaitaient et à acquérir les compétences indispensables à leur début de carrière. En outre, ils sont moins réticents à accepter des postes d’un niveau de qualification faible ou encore un salaire modeste. Et quand l’économie redémarre, ils mettent plus de temps à gravir les échelons. De plus, ils risquent d’être dépassés par les jeunes diplômés qui arrivent à ce moment-là. La question est bien la suivante : si vous ne parvenez pas à obtenir un travail valorisant dans les cinq premières années de votre carrière, le pourrez-vous ensuite ? Vous risquez notamment de ne pas pouvoir entretenir l’estime de soi qui permet de gravir les échelons dans une entreprise. Il s’agit d’un immense gâchis en matière de capital humain.

E & C : On ne peut donc pas rattraper un démarrage de carrière moins chanceux ?

M. B. : Une très bonne étude sur le sujet a été réalisée par le professeur Paul Oyer, de la Stanford Graduate School of Business. Elle observe l’évolution des titulaires d’un MBA employés à Wall Street qui sont sortis de l’université deux ans avant le krach boursier de 1987 : 26 % d’entre eux sont devenus banquiers d’investissement. Mais deux ans plus tard, en plein krach, les nouveaux diplômés sont moins nombreux à faire carrière à Wall Street : seulement 17 % y parviennent. Et les différences de salaire sur toute une carrière entre ceux de Wall Street et les autres sont énormes. L’écart est de plusieurs millions de dollars.

E & C : La carrière se joue-t-elle dans les 3 à 5 premières années ?

M. B. : Plus le temps passe, plus cela devient en effet difficile. Pour rester sur cet exemple de la finance, l’étudiant qui ne peut pas y prendre pied en raison de la conjoncture se tourne vers une autre industrie. Et ce choix de l’activité de départ influence l’ensemble de sa carrière. Il va accepter ensuite un poste de manager dans ce secteur. Cela peut d’ailleurs être très gratifiant, mais il ne reviendra probablement pas à son souhait initial.

Et les débuts peuvent être encore plus difficiles. Nous avons deux types de marché du travail aux Etats-Unis : le premier propose des emplois bien payés, assure une certaine sécurité et le développement des qualifications. Le second, ce sont les petits boulots, les emplois sans perspective d’évolution, dont on a bien du mal à se sortir. Vous êtes assez rapidement stigmatisé, et un employeur hésite de plus en plus à vous donner votre chance. En outre, aux Etats-Unis, les étudiants doivent souvent emprunter pour financer leurs études. Si le démarrage de carrière ne leur permet pas de rembourser dans des conditions satisfaisantes, la situation peut être très inconfortable : il est possible de différer des remboursements pendant quelques années en cas de difficultés professionnelles, mais c’est un fardeau qui continue de peser.

E & C : La génération Y a du mal a décrocher son premier emploi, certains baby boomers sont remerciés. Croyez-vous qu’ils vont se retrouver en concurrence pour les mêmes emplois ?

M. B. : Je ne crois pas à une concurrence forte. L’employeur, le plus souvent, choisira le jeune candidat, jugé plus énergique, plus enthousiaste. Les candidats plus âgés, à tort ou à raison, semblent moins dynamiques. La discrimination est nettement en faveur du jeune. La compétition la plus forte se fera entre les nouveaux diplômés et ceux qui sont sortis de l’université trois ou quatre ans plus tôt. Imaginons qu’en 2012, le marché de l’emploi soit plus favorable. Se trouveront en concurrence sur certains postes d’un côté les jeunes candidats diplômés en 2009, qui ont enchaîné les temps partiels, les emplois modestes, et de l’autre les tout nouveaux diplômés au CV plus prometteur, sans « tache »… Les candidats plus âgés qui ont mal démarré devront pourtant réussir à mettre en avant leur expérience, à la rendre intéressante et à se distinguer.

PARCOURS

• Matthew Bidwell est professeur de management à la Wharton School de l’université de Pennsylvanie depuis 2008. Cet Anglais a d’abord étudié la chimie à Oxford. Etudiant en sciences politiques au MIT (Massachusetts Institute of Technology), il y a décroché en 2004 un doctorat à la Sloan School of Management.

• Matthew Bidwell a débuté chez McKinsey à Londres, puis a enseigné à l’Insead de Singapour avant de s’installer en Pennsylvanie.

LECTURES

• The Soul of a new machine, Tracy Kidder. Back Bay Books, 2000.

• The Challenger launch decision, Diane Vaughan. University of Chicago Press, 1997.

• Samedi, Ian McEwan. Gallimard (traduction), 2006.

Auteur

  • CAROLINE TALBOT