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Les pratiques

Le document unique à marche renforcée

Les pratiques | publié le : 25.01.2011 | Christian Robischon

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Le document unique à marche renforcée

Crédit photo Christian Robischon

Obligatoire depuis bientôt dix ans, le document unique d’évaluation des risques professionnels reste ignoré ou négligé par nombre d’entreprises. Au point de faire perdre patience à l’Etat : en ce début d’année, les inspecteurs du travail sont invités à se montrer plus sévères.

En 2011, l’Etat s’attaque au “chantier” du document unique. L’objectif n’est pas nouveau en soi : priorité du ministère du Travail depuis des années, l’évaluation des risques professionnels, dont le document unique constitue la traduction, est aussi l’un des axes du Plan santé au travail 2010-2014.

La nouveauté vient de la méthode : depuis début janvier, les inspecteurs du travail sont invités à regarder de plus près si les entreprises ont effectivement rédigé le document, comme le leur impose un décret de novembre 2001, si elles le mettent régulièrement à jour, et si les éléments consignés correspondent à la réalité.

A l’issue de leur visite, ils ne devront pas hésiter à dresser des PV, s’ils estiment que la simple observation écrite qu’ils avaient l’habitude de pratiquer ne suffit pas à faire bouger les employeurs. Certes, dans les nouvelles Direccte, on insiste sur la liberté d’agir des inspecteurs, corollaire de leur indépendance. Mais on y ne verrait pas d’un mauvais œil qu’ils passent de la pure pédagogie à une phase plus coercitive. Personne non plus ne s’en offusque parmi les spécialistes de la prévention des risques en entreprise : les dix années bientôt écoulées depuis le décret auraient largement suffi à se mettre en règle, estiment-ils.

Or ce temps n’a pas été mis à profit. Les rares et plutôt vieilles statistiques nationales font état de 66 % d’entreprises ayant rédigé le document en 2006 et de 17 % entrées dans la démarche (étude de l’Anact), ou encore de trois quarts d’entreprises déclarant évaluer leurs risques (étude Dares sur bases 2004-2005).

Défaillance dans les petites entreprises

L’impression prévaut d’une défaillance particulière dans les petites entreprises. « S’ajoute une déperdition supplémentaire au stade du passage au plan d’actions », souligne Pascale Mercieca, chargée de mission au département santé et travail de l’Anact. Selon l’étude 2006 de l’agence, le taux de rédaction passait de 87 % pour les entreprises de plus de 50 salariés à 74 % pour les 10 à 49, et à 56 % pour les moins de 10. Le sondage informel mené auprès d’une vingtaine de PME ou TPE, du salon de coiffure au promoteur en passant par le menuisier ou la société de mécanique, confirme la tendance : les réponses vont de « jamais entendu parler », à « j’ai été informé, mais n’ai pas le temps de m’en occuper », en passant par « j’ai fait, mais difficilement et n’ai plus envie de m’y replonger ».

Les préventeurs s’en désolent d’autant plus que les employeurs n’ont pas affaire à une énième usine à gaz. « Par leur pragmatisme, les textes sur l’évaluation des risques comptent parmi les meilleurs en santé-sécurité au travail depuis trente ans », estime le Dr Pierre Thillaud, directeur de l’AMI (Association médicale interentreprises) et mandataire de la CGPME dans les instances traitant des risques professionnels. « Le grand avantage du document unique, c’est qu’il est à la main de l’entreprise. Elle en a l’autonomie sur tous ses points clés, comme la définition de l’unité de travail », ajoute Brigitte Andéol-Aussage, expert-conseil à l’INRS.

Difficultés d’informer

Alors, pourquoi tant de manques ? Plus que le temps à y consacrer, l’explication la plus fréquente tient à la difficulté d’informer les entreprises dans les moindres recoins du territoire. Malgré les nombreux guides méthodologiques existants (1) dont, par exemple, une fiche d’aide à la rédaction proposée par l’AMI, qui recense 5 000 entreprises utilisatrices.

Pour mieux atteindre la cible finale, la solution peut venir d’un appui plus fort des chambres consulaires (CCI, chambre de métiers) ou plus encore des fédérations professionnelles, à l’instar de l’imprimerie ou de la boulangerie-pâtisserie, déjà en pointe sur le sujet. « On peut aussi imaginer des actions de sensibilisation sur un espace géographique restreint : à l’échelle d’une zone industrielle par exemple », propose Pascale Mercieca. L’INRS, pour sa part, a mis en place en 2009 une “mission TPE”.

Tous les préventeurs s’accordent sur un point : la solution facile d’apparence d’un document “clé en mains” serait contre-productive. « Elle ferait complètement perdre de vue ce qui reste la finalité de la démarche : l’auto-évaluation par l’entreprise des risques potentiels en son sein », souligne Brigitte Andéol-Aussage.

Pour stimuler la démarche, on peut faire appel à l’aiguillon “extérieur” : médecin du travail, Carsat, IPRP (intervenants en prévention des risques professionnels), etc. En toute logique, Jean-Marc Bilquez, responsable national FO pour la protection sociale, estime trop inexploité le filon des CHSCT. « La rédaction du document unique reste trop unilatérale. La faute à un vieux préjugé encore tenace entre partenaires sociaux, qui veut que l’organisation du travail, dont les risques professionnels font partie, soit l’affaire du seul patron. »

Pragmatisme

Pour une mise en œuvre efficace, le pragmatisme est de mise, d’autant qu’il est réalisable au regard de la souplesse de la réglementation. « Adaptez-vous à vos ressources : inutile d’identifier 200 unités de travail différentes si vous n’avez les moyens que d’en analyser 10 par an », conseille Yann Favry, responsable HSE des Cuisines Schmidt (1 200 salariés). Le fabricant de cuisines a appliqué le principe de progressivité : l’évaluation a d’abord été l’affaire quasi exclusive du service HSE et elle s’est opérée à l’échelle des ateliers, puis elle a été étendue à chaque poste de travail en étant confiée au chef d’équipe, une fois celui-ci formé.

Le laboratoire pharmaceutique Lilly (1 600 salariés), au contraire, a adopté une approche très “bottom-up”, en associant d’emblée les opérateurs de ligne à la définition des risques. « A présent que le document vit, le service HSE en vérifie la connaissance en posant des questions aux opérateurs de façon très informelle », indique son responsable Christian Hauptmann.

(1) Voir, par exemple, <www.inrs.fr> (notamment le référentiel ED 5018), <www.fairesondocumentunique.anact.fr>, ou <www.travailler-mieux.gouv.fr>, site du ministère du Travail.

L’essentiel

1 Les entreprises, en particulier les plus petites, remplissent mal leur obligation de réalisation du document unique d’évaluation des risques.

2 Pourtant, les employeurs disposent de multiples guides et possibilités d’appui pour rédiger ce document.

3 Cette année, le contrôle des inspecteurs du travail en la matière entre dans une phase plus coercitive.

Le casse-tête des RPS

→ Inscrire les risques psychosociaux dans le document unique constitue une obligation presque aussi ancienne que celui-ci : elle remonte à une circulaire de 2002. Mais elle demeure encore plus rare. « Vous m’imaginez écrire “harcèlement” noir sur blanc ? », interroge un entrepreneur. L’inscription résulte généralement d’un parcours d’obstacles jalonné de divergences entre direction et syndicats sur les causes. Quand ils finissent par être mentionnés, les risques psychosociaux le sont souvent en une ligne, sans plan d’actions qui leur soit lié.

→ Pour dépassionner le débat, un groupe de travail INRS-Carsat travaille depuis l’automne à objectiver ces risques sous la forme d’un document de référence dont la sortie est espérée fin 2011.

Attention, sanctions

→ Le fait de ne pas rédiger le document unique et de ne pas le mettre à jour au moins une fois par an fait encourir à l’employeur personne physique une amende de 1 500 euros. Montant jugé non dissuasif dans la grande majorité des cas.

→ Empêcher l’accès du document à ceux qui en ont le droit (IRP, médecin du travail, inspection du travail…) relève du délit d’entrave.

→ Le défaut de contenu n’expose pas à des sanctions directes. Toutefois, la recherche de responsabilité en cas d’accident, ou de la faute inexcusable en cas de maladie professionnelle, risque fort d’amener à se pencher sur le document unique dont les failles – et a fortiori l’absence – peuvent alors constituer une circonstance aggravante.

→ Selon Agnès Cloarec-Mérendon, avocate au cabinet Latham & Watkins, la mesure la plus opératoire pour inciter à rédiger le document vient par ricochet du volet pénibilité au travail de la réforme des retraites : ne pas adopter un plan annuel sur ce thème déclenchera une pénalité de 1 % de la masse salariale, or un tel plan passe par l’évaluation régulière des risques.

Auteur

  • Christian Robischon