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Diversité et performance : une équation incertaine

Les pratiques | publié le : 18.01.2011 | EMMANUEL FRANCK

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Diversité et performance : une équation incertaine

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Malgré de nombreuses études, il n’a jamais été démontré clairement que la diversité en entreprise est source de performances économiques. Cet argument est cependant souvent invoqué afin de convaincre l’encadrement qu’il est de son intérêt d’être vertueux en la matière.

Le lien entre diversité et performances économiques reste un Graal. Souvent invoqué, il n’a jamais été démontré. Pourtant, de nombreuses études et débats tentent de savoir si une entreprise qui emploie des “minorités”, qu’il s’agisse de personnes d’origine ethnique minoritaire, de seniors, de handicapés, de femmes…, ont de meilleurs résultats économiques que la moyenne des entreprises ou que les entreprises homogènes.

Ainsi, le Forum européen de la diversité des 2 et 3 décembre 2010, organisé à l’initiative du Club XXIe siècle, réunissant des personnalités issues de l’immigration, ne consacrait pas moins de deux ateliers à cette question.

On ne compte plus les recherches sur le sujet. Le 30 novembre dernier, IMS-Entreprendre pour la cité présentait une étude du cabinet Goodwill Management intitulée “Diversité du capital humain et performance économique de l’entreprise” (lire p. 14). Les cabinets McKinsey et Eurogroup se sont également penchés sur la question, de même que le ministère du Travail et que la Commission européenne (lire encadré p. 14), pour ne citer que quelques études en langue française, moins nombreuses que celles en anglais.

De leur côté, les entreprises se sont saisies de l’argument, qu’elles invoquent de plus en plus souvent lorsqu’elles communiquent sur leurs actions en faveur de la diversité et contre les discriminations. A l’image de Suez Environnement qui, à l’occasion de la présentation de son programme en faveur de la diversité, le 23 novembre, se déclarait « convaincu que promouvoir l’égalité des chances est un moteur pour l’entreprise et un levier de sa performance et de son innovation ». D’autres ont accepté d’être un terrain de recherche : l’étude Goodwill s’appuie notamment sur des informations fournies par Vinci, L’Oréal, Axa et France Télécom-Orange. L’opérateur en télécommunications déclarait à cette occasion : « La diversité des équipes est un facteur de richesse, d’innovation et de performance. »

Des préjugés sans fondement

Pourtant, malgré les efforts déployés, « il est difficile de démontrer de façon concluante le lien de causalité entre la diversité d’une entreprise et ses performances économiques », admet Jean-Marie Peretti, directeur de l’IAE de Corse et fondateur des Rencontres internationales de la diversité.

Les témoignages des entreprises permettent simplement de conclure que les préjugés contre les minorités sont sans fondement. L’Oréal a comparé les performances de ses boutiques Body Shop au Royaume-Uni en fonction de leur composition ethnique. « Les personnes étrangères ne sont pas moins performantes ni plus performantes que les autres », déclare Sylviane Balustre-d’Erneville, directrice de la diversité de L’Oréal Europe. France Télécom a fait de même avec ses 700 boutiques et ses centres d’appel. Il en ressort que « les seniors sont aussi performants que les juniors, déclare Laurent Depond, directeur de la diversité du groupe. Certes, les juniors vendent en général davantage que les seniors et répondent plus rapidement aux appels, mais cette rapidité a l’inconvénient de ne pas toujours aller au fond des demandes des clients, ce qui génère souvent des rappels de leur part ; c’est l’inverse avec les seniors. Au final, les résultats des uns et des autres s’équilibrent ». Il constate également que 7 des 10 boutiques les plus performantes sont pilotées par des femmes. « Notre hypothèse est que l’ambiance et le planning sont meilleurs. » Les deux entreprises ont en outre constaté qu’il y avait moins d’absences dans les équipes employant un handicapé, car « les gens relativisent leur situation », explique Sylviane Balustre-d’Erneville.

« Des entreprises déclarent avoir une expérience du bénéfice de la diversité, mais aucun système de mesure ne permet aujourd’hui d’objectiver un lien entre performances et diversité », expliquait Pierre-Antoine Pontoizeau, directeur de l’étude d’Eurogroup sur la question (lire Entreprise & Carrières n° 951 du 21/04/2009). Tout au plus, « il y a des corrélations », précise Fleur Pellerin, présidente du Club XXIe siècle. Mais même ces corrélations restent difficiles à démontrer.

Corrélation empirique entre diversité et performances

L’enquête d’Eurogroup passe ainsi en revue plusieurs études testant la « corrélation empirique » entre les deux et constate que « des études démontrent une relation positive entre diversité et performance, et d’autres l’absence de lien, voire une relation neutre ou contre-productive ».

En outre, les auteurs soulèvent plusieurs objections. Sur le fond : dès lors que le lien de causalité n’est pas démontré, rien ne dit que ce n’est pas la performance qui crée les conditions de la diversité, au lieu de l’inverse. Sur la méthode : les études n’identifient pas où se joue l’apport de la diversité dans l’amélioration de la performance (efficacité des équipes, conquête des clients, attraction des meilleurs éléments). Enfin, elles restreignent leur champ au genre et à l’origine, sans traiter de la séniorité ni du handicap.

L’étude Goodwill marque une double avancée par rapport aux précédentes, puisqu’elle traite non seulement des quatre minorités précitées, mais qu’elle choisit un indicateur unique : la productivité. Entre une entreprise diversifiée et une entreprise qui ne l’est pas, l’étude constate un écart de productivité de 2,56 % en faveur de la première, qui se traduit par une progression de 14 % de la rentabilité de l’entreprise. De là, l’étude conclut à un « lien positif entre diversité et performance ».

Un argument pour servir une bonne cause

Cependant, plusieurs objections peuvent être faites. Les entreprises étudiées (Vinci, L’Oréal, Axa et France Télécom-Orange) se portent plutôt bien, de telle sorte que rien ne dit que ce n’est pas leur bonne santé financière qui leur permet d’être diversifiées. Par ailleurs, il y a un problème de sources, car les quatre entreprises n’ont pas toutes fourni les mêmes informations : par exemple, Axa n’a pas renseigné le handicap. Enfin, la productivité est un ratio entre une quantité produite et un coût (ou un temps), or l’étude retranche plusieurs facteurs de coût, ce qui peut faire débat.

A l’heure actuelle, personne ne peut encore affirmer qu’une entreprise diversifiée est plus performante qu’une autre. Alors, pourquoi les acteurs de la diversité s’obstinent-ils à invoquer cet argument ? Parce que, « si les managers ne sont pas convaincus du lien entre la diversité et la progression de leur chiffre d’affaires, il y a peu de chances que les choses avancent », explique Fleur Pellerin. Peu importe que l’argument soit validé puisqu’il sert une bonne cause et que l’image de marque s’améliore

Discrimination par souci de rentabilité

Mais cela peut aussi être contre-productif. Si le lien diversité-performance n’est jamais démontré, la lutte contre les discriminations n’a, à l’aune de la rentabilité, pas de sens. Et même, « il est des cas de discrimination dans le but d’abaisser les coûts », relève Eric Cédiey, directeur d’ISM Corum, le principal opérateur français de testings, qui cite l’affaire Ikea. En 1998, une cadre de cette entreprise avait demandé, par souci d’efficacité, à ne pas recruter des personnes de couleur pour distribuer des catalogues. Ikea avait finalement été condamné en 2001 à 4 500 euros d’amende pour « discrimination raciale à l’embauche ».

« Il peut y avoir une contradiction entre intérêt économique à court terme et diversité, admet Fleur Pellerin. C’est à l’entreprise de trancher, même si l’Etat est là pour réguler. » Pas d’accord, répond Eric Cédiey : « Il existe une hiérarchie des normes qui sert justement à trancher lorsqu’elles entrent en conflit. La question est de savoir si l’on veut vivre dans un Etat de droits ou dans un centre de profits. »

L’essentiel

1 De plus en plus d’entreprises justifient leur politique en faveur de la diversité et contre les discriminations par des raisons de rentabilité.

2 Elles espèrent ainsi convaincre leurs managers de s’engager dans cette voie.

3 Or le lien entre diversité et performances économiques n’est pas encore démontré.

ALLER PLUS LOIN

• “Quelles diversités pour quelles performances ?”, Eurogroup, 2009.

• “Women Matter”, études réalisées par McKinsey sur la mixité comme facteur de performance dans les entreprises, chaque année depuis 2007.

• “Contribution des femmes à la performance”, Sophie Landrieux-Kartochian, Dares, octobre 2004.

• “Coûts et avantages de la diversité”, rapport pour la Commission européenne, novembre 2003.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK