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L’alternance, vecteur d’emploi durable ?

Enquête | publié le : 18.01.2011 | ÉLODIE SARFATI

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L’alternance, vecteur d’emploi durable ?

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Facteurs d’insertion pour les jeunes, les contrats d’apprentissage et de professionnalisation se révèlent, pour les entreprises, des outils efficaces dans leur politique de recrutement. Pourtant, l’alternance reste cantonnée aux plus petites d’entre elles. Et le contexte économique n’est pas favorable au développement massif de l’alternance dont le gouvernement fait une priorité.

L’alternance, un sésame pour l’emploi des jeunes ? Les avantages du dispositif – première expérience encadrée, adéquation entre les apprentissages théoriques et leur application professionnelle – plaident en ce sens. D’après le Céreq, la probabilité pour les jeunes issus de l’apprentissage d’être en emploi trois ans après la fin de leurs études est de 7 points supérieure à celle d’un jeune ayant suivi un parcours classique. D’où l’accent mis par les pouvoirs publics, également inspirés par l’exemple allemand (lire p. 23), sur le développement des contrats d’apprentissage et de professionnalisation, avec un objectif ambitieux : aboutir à 800 000 alternants d’ici à 2015, contre 600 000 aujourd’hui.

Les entreprises suivront-elles le mouvement ? Aujourd’hui, l’alternance est surtout développée dans les petites structures : 80 % des apprentis travaillent dans des entreprises de moins de 50 salariés. Et 10 % dans les entreprises de plus de 250 salariés, qui s’y intéressent de plus en plus depuis 2005, quand la loi a imposé un quota de 3 % d’alternants dans leurs effectifs, estime Didier Guinaudie, secrétaire national de la Fnadir, une association regroupant des directeurs de CFA : « La surtaxe a joué un rôle d’aiguillon. Auparavant, les CFA devaient aller vers ces entreprises, aujourd’hui, ce sont elles qui nous contactent. Les plus grandes ont même leurs propres CFA. » Néanmoins, d’après une enquête de la CCI de Paris publiée début 2010, seules 70 % des entreprises assujetties respectent ce quota appelé à augmenter (lire encadré p. 23).

Bilan positif

Le recours à l’alternance s’avère en général bénéfique. Une enquête publiée fin décembre par Opcalia, collecteur interprofessionnel de la formation, montre que 85 % des entreprises ayant tenté l’expérience en ont tiré un bilan positif. Mais toutes n’ont pas les mêmes motivations. « Il y a deux types d’employeurs, estime Paul Desaigues, conseiller confédéral CGT à la formation initiale et continue. Les moins vertueux utilisent l’alternance pour faire tourner un volant de main-d’œuvre peu chère. D’autres font en sorte d’aider les jeunes à acquérir une certification ou une qualification. »

Tout en mettant en avant l’aspect socialement responsable de la démarche, la plupart des entreprises intègrent l’alternance dans leur politique de recrutement. Ainsi, DCNS compte plus de 500 alternants dans ses rangs, dont 35 % à 50 % se transformeront en CDI. « Notre accord GPEC de 2009 prévoit que 60 % des contrats d’alternance recrutés sur les emplois en développement et 30 % sur les emplois en équilibre débouchent sur un CDI », confie Jacques Vessot, responsable du recrutement.

Pour le groupe naval, l’alternance répond d’abord à des besoins de maintien des compétences : « Jusqu’en 2000, nous avions des écoles internes de formation qui ont petit à petit fermé. Nous nous sommes alors tournés vers l’alternance, car nous ne trouvons pas sur le marché de l’emploi suffisamment de jeunes formés à nos métiers. » Elle s’avère également utile face à des problématiques d’attractivité sur des métiers en tension, poursuit-il : « Les métiers de l’industrie sont mal vus, mal connus. Il s’ensuit une “guerre des talents” dans laquelle l’alternance nous permet de capter les jeunes avant les autres entreprises du secteur. » Responsable de l’alternance dans la branche supermarchés et hypermarchés de Casino, Emmanuelle Nogarotto estime qu’il faut qu’au moins un tiers des contrats d’alternance débouchent sur un recrutement pérenne pour qu’il y ait « retour sur investissement ». Et, dans ce cas de figure, constate-t-elle, la période d’alternance permet de sécuriser l’embauche des jeunes diplômés, réputés difficiles à fidéliser : « Pendant plusieurs mois, ils sont formés aux métiers mais aussi à la culture de l’entreprise. Cela crée des relations plus solides : même si nous formons les jeunes embauchés directement en CDI lors de leur intégration, le risque de les perdre est plus grand. » Fin 2010, l’entreprise accueillait 825 alternants.

Par ailleurs, l’alternance peut aussi être un outil d’accompagnement pour l’embauche des personnes en insertion, notamment via les contrats de professionnalisation (lire page 28). Tandis que l’apprentissage vise l’acquisition d’un diplôme en plusieurs années, ceux-ci sont ouverts à des publics plus âgés souhaitant travailler immédiatement.

Manque d’information

Mais diverses carences peuvent brider le recours à l’alternance, en particulier dans les PME. D’abord, le manque d’information : « Les entreprises ont en général peu de visibilité sur l’offre de formation existante, et pensent que l’apprentissage est réservé à des bas niveaux de qualification, remarque Aurélie Huby, développeuse de l’apprentissage à la CRCI de Midi-Pyrénées. De plus, elles ne sont pas toujours organisées pour encadrer un jeune en alternance. »

Chez Casino, Emmanuelle Nogarotto reconnaît que pour les directeurs de magasins, cela demande du temps et de l’argent. « Du coup, depuis cette année, c’est la DRH qui prend en charge le coût de l’alternant. Et nous travaillons sur une cartographie des tuteurs – ils sont 400 aujourd’hui – pour voir où peuvent être accueillis les jeunes. »

Et puis, comme le souligne Didier Guinaudie, « pour recruter un jeune en alternance, il faut d’abord avoir envie d’embaucher un jeune ». Or, remarque Sabine de Beaulieu, déléguée générale de l’Association jeunesse et entreprises (AJE), de plus en plus d’entreprises sont rebutées par des problèmes de comportement : « Un contrat d’alternance peut durer deux ans. C’est un investissement important pour une entreprise qui mise sur la formation du jeune. » Pour les PME, l’insuffisante adaptation des apprentis au monde du travail est le principal frein à leur embauche, selon une enquête publiée début janvier par les Apprentis d’Auteuil.

L’échec d’un contrat d’alternance peut donc coûter cher, au jeune comme à l’entreprise. Pour éviter les ruptures, Opcalia va étendre son dispositif Prodiat, jusqu’ici expérimenté en Nord-Pas-de-Calais, et destiné à accompagner les TPE et PME qui recrutent en contrat de professionnalisation. « Nous aidons les entreprises à définir précisément leurs besoins et faisons en parallèle l’état des lieux des compétences des jeunes, afin de construire un parcours sur mesure, explique Claire Khecha, directrice branches et grands comptes. Cela évite que l’entreprise se rende compte trop tard que la formation suivie n’est pas adaptée, ou que le jeune ne puisse pas mettre ce qu’il apprend en pratique. »

Un accompagnement primordial

Cet accompagnement s’avère aussi primordial pour les jeunes en difficulté. A la mission locale du Centre Manche, plus de 1 400 jeunes sont suivis chaque année, dont les trois quarts de niveau V ou inférieur. De 15 % à 20 % suivent des parcours en alternance. Toutefois, note Hervé Brixtel, le directeur, « le contrat de professionnalisation est moins utilisé que les trois anciens contrats qu’il remplace, car il ne reprend pas les objectifs des anciens contrats d’orientation et d’adaptation, qui permettaient notamment de travailler sur les savoirs de base du jeune. Or les entreprises qui recrutent en alternance ont besoin d’être rassurées dans cette démarche ».

La mission locale a par ailleurs signé des partenariats avec la chambre des métiers et la CCI, qui prévoient de chercher des solutions aux problèmes de logement ou de mobilité que rencontrent souvent les alternants, ainsi que des périodes d’immersion.

Quoi qu’il en soit, le recours à l’alternance reste conditionné à la santé économique de l’entreprise. La crise l’a bien montré : « Depuis 2009, les jeunes ont plus de mal à trouver des entreprises d’accueil, témoigne Didier Guinaudie. Y compris les apprentis en poursuite d’études, qui bénéficiaient donc d’une première expérience professionnelle. » Opcalia a enregistré pour sa part une baisse de 12 % des contrats de professionnalisation en 2009 par rapport à 2008. « Ils ont toutefois repris en 2010, tandis que le nombre de ruptures a diminué », tempère Claire Khecha.

Pourtant, si le redressement de l’emploi peut tirer le nombre d’alternants vers le haut, rien ne garantit qu’inciter les entreprises à en accueillir davantage ait des effets sur le chômage des jeunes (lire p. 29).

« La formation n’a jamais créé d’emploi », insiste Paul Desaigues. Mais cela n’empêche pas de préparer l’avenir, comme le suggère Didier Guinaudie : « Accueillir des alternants aujourd’hui peut être une façon d’anticiper la sortie de crise. »

L’essentiel

1 Le gouvernement veut inciter les entreprises à recruter plus de jeunes en alternance, avec notamment un système de bonus-malus de la taxe d’apprentissage.

2 Si de grandes entreprises comme EDF ont pris des engagements en ce sens, le recours à l’alternance dépend avant tout du contexte économique.

3 L’alternance est souvent intégrée à la politique d’emploi des entreprises afin de sécuriser les recrutements de jeunes diplômés.

Définitions

→ Le contrat d’apprentissage : il s’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans, afin de leur permettre d’acquérir un diplôme ou un titre en alternant formation théorique et pratique. C’est un CDD de un à trois ans. L’apprenti est rémunéré entre 25 % et 78 % du Smic. L’employeur bénéficie d’exonérations de cotisations sociales, d’un crédit d’impôt et d’une indemnisation versée par la région. Il ne finance pas la formation (prise en charge par la taxe d’apprentissage), mais doit désigner un maître d’apprentissage.

→ Le contrat de professionnalisation : il s’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans ou aux demandeurs d’emploi de plus de 26 ans, afin de faciliter leur (ré-)insertion en leur permettant d’acquérir en alternance une qualification professionnelle reconnue par la branche. C’est un CDD de 6 à 12 mois (jusqu’à 24 mois selon les branches) ou un CDI comportant une action de professionnalisation d’une durée équivalente. Les 16-25 ans sont rémunérés entre 55 % et 80 % du Smic ; les plus de 26 ans touchent le Smic ou 85 % du salaire conventionnel minimum. L’employeur bénéficie d’une aide forfaitaire et d’exonérations de charges pour certains demandeurs d’emploi. Les actions de formation sont prises en charge par les Opca, ainsi que les coûts de formation des tuteurs. Le tutorat n’est pas obligatoire, sauf si un accord de branche le prévoit.

→ La Convention industrielle de formation par la recherche (Cifre) : elle s’adresse aux doctorants recrutés en CDI ou en CDD par une entreprise qui leur confie une mission de recherche correspondant à leur sujet de thèse. Le salaire d’embauche ne peut être inférieur à 23 484 euros annuels brut.

L’entreprise bénéficie d’un crédit d’impôt recherche et d’une subvention versée par l’ANRT (Association nationale de la recherche et de la technologie).

Quelles pistes pour réformer l’alternance ?

→ Au grand dam de la CGPME, les aides temporaires accordées en 2009 – extension du dispositif “zéro charges” aux entreprises de plus de 11 salariés et prime de 1 800 euros pour celles de moins de 50 salariés pour l’embauche d’un apprenti ; prime de 1 000 ou 2 000 euros pour un recrutement en contrat de professionnalisation – sont arrivées à échéance fin 2010. Un « très mauvais signal », pour la CGPME, qui réclame leur maintien tout en attendant les mesures en faveur de l’alternance que le gouvernement doit annoncer au premier trimestre.

→ Dans un entretien aux Echos du 14 janvier, Nadine Morano, la ministre de l’Apprentissage et de la Formation professionnelle, a annoncé les principaux changements que le gouvernement envisage : ainsi, le quota de 3 % d’apprentis imposé aux entreprises de plus de 250 salariés sera « probablement » relevé à 4 %, mais la surtaxe sera modulée en fonction des efforts produits par les entreprises.

Les entreprises de moins de 250 salariés se verraient, elles, incitées par des exonérations de charges sociales « de plusieurs centaines d’euros par an et par contrat ». Sont particulièrement visées les PME entre 50 et 250 salariés, qui accueillent moins de 10 % des apprentis.

→ Le gouvernement souhaite aussi baisser la durée d’expérience requise pour devenir maître d’apprentissage de trois à cinq ans, afin d’élargir « le vivier » de tuteurs. Néanmoins, les branches pourront adapter cette durée en fonction de leurs besoins.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI