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« La question des transitions professionnelles est restée en suspens »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 18.01.2011 | PAULINE RABILLOUX

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« La question des transitions professionnelles est restée en suspens »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Le thème de la sécurisation des parcours professionnels est devenu relativement consensuel, alors même que les choses avancent peu sur le sujet. La réflexion sur un droit des transitions professionnelles à partir de l’entrée sur le marché du travail notamment reste inachevée.

E & C : Le concept de sécurisation des parcours professionnels initié par la CGT semble avoir été repris par tout le monde. Mais tous lui prêtent-ils le même sens ?

François Gaudu : Evidemment non ! Lorsque Bernard Thibault, le premier, a suggéré l’idée en 2001, il n’était pas question de revenir sur les contraintes encadrant le droit de licencier, mais seulement de prendre acte du fait que la mobilité fait maintenant partie d’une carrière normale, puisque rares désormais sont les salariés à n’avoir connu ni licenciement ni contrats précaires.

Par contre, en 2005, le rapport Cahuc-Kramarz, avec l’idée d’un contrat de travail unique sur lequel pourrait être fondée la sécurité sociale professionnelle, proposait de déréglementer les licenciements.

Selon la doxa libérale, la sécurisation des parcours professionnels passe d’abord par la fluidification du marché du travail.

Entre les deux positions, l’idée d’une sécurité sociale attachée non plus au statut professionnel mais à la personne semble bien avoir changé radicalement de sens. D’un côté, il s’agissait pour les syndicats de remettre du liant dans les carrières pour protéger le travailleur plutôt que l’emploi, de l’autre, de remettre en cause la réglementation en matière de licenciement.

E & C : Où en est-on aujourd’hui ?

F. G. : Le gouvernement a d’autant plus facilement renoncé au projet de contrat de travail unique que, finalement, ni les salariés ni même le patronat n’y étaient favorables. Pour ce dernier, en effet, le contrat unique se révèle au fond moins commode que les actuels CDD, qui représentent une sortie en douceur de l’entreprise, alors qu’un licenciement, même facile, suscite de la grogne en interne et est interprété en externe comme le signe que l’entreprise rencontre des difficultés. Le contrat nouvelle embauche, qui prévoyait la possibilité de licencier sans justification pendant deux ans, a d’ailleurs été condamné par la Cour de cassation qui, se fondant sur une convention de l’OIT, a réaffirmé en 2008 qu’un licenciement doit avoir un motif valable. Depuis, la question des transitions professionnelles est restée en suspens, alors même que n’existe pas de véritable contestation idéologique sur ce sujet. Les comptes épargne temps, qui pouvaient à l’origine assurer une rémunération aux salariés dans les périodes de transition, ont progressivement été détournés vers l’épargne retraite puis vers le “gagner plus” quand il a été permis aux salariés, à partir de 2007, de mobiliser immédiatement les sommes disponibles. Quant à la transférabilité des droits – droit individuel à la formation et couvertures complémentaires de santé –, elle pose la question non résolue à ce jour d’un système de consignation des sommes dues pour éviter que le nouvel employeur ait à payer à la place du prédécesseur lorsque le salarié doit y avoir recours.

E & C : D’où provient alors l’inertie ?

F. G. : La mobilité professionnelle est une donnée de l’économie moderne, et tout le monde est en principe d’accord pour admettre la nécessité d’une protection des travailleurs entre deux emplois. Pourtant, personne ne semble souhaiter vraiment davantage de mobilité, ni les salariés, pour qui elle représente une source d’inquiétude, ni finalement les patrons, qui n’ont nulle envie de faciliter le nomadisme de leurs salariés, surtout s’ils ont fait l’effort de les former. Par ailleurs, les systèmes actuels de protection – assurance chômage, RSA – ne sont pas proactifs : ils se déclenchent une fois que la difficulté est là, pas avant. De plus, la France est l’un des pays où l’intensité du travail est la plus élevée, ce qui laisse assez peu de place pour les personnes peu performantes. Les entreprises françaises ont globalement fait le choix de faire reposer leur production sur une frange restreinte de salariés, bien formée, efficace et relativement jeune bien qu’ayant déjà de l’expérience. Elles ne semblent pas désireuses de réintégrer dans leurs rangs les demandeurs d’emploi moins productifs qui demanderaient un encadrement plus nombreux et plus directif.

C’est pourquoi le contrôle des chômeurs reste relativement faible. L’économie comme l’école française produisent de l’exclusion, ce qui complique singulièrement la question des transitions professionnelles, quand le problème n’est pas celui du passage d’un emploi à un autre mais celui de l’accès à l’emploi. Enfin, la complexité des systèmes actuels de protection sociale : chômage, RSA, formation… nécessiterait de refondre l’ensemble des dispositifs. La fusion de l’ANPE et des Assedic, qui semblait un pas en ce sens, mise en place à trop peu de frais en période de crise, pose pour l’instant plus de problèmes qu’elle n’en résout.

E & C : Que faire ?

F. G. : Pas mal de choses ont déjà été faites pour faciliter les transitions – limitation des clauses de non-concurrence, contrat de transition professionnelle, portage salarial, etc. Les problèmes de financement ne semblent pas insurmontables si l’on songe que le pays consacre déjà des sommes énormes pour abonder les différents systèmes de prise en charge des périodes d’inactivité ; il ne faudrait pas forcément beaucoup plus pour mettre sur pied un vrai droit des transitions professionnelles. Par contre, l’empilement des dispositifs nécessiterait avant tout une remise à plat qui ne peut résulter que d’une politique volontariste. Il est permis de penser que la sécurisation des parcours professionnels peut aujourd’hui devenir l’horizon partagé de la société française. Ce qui manque surtout, c’est un souffle politique.

PARCOURS

• François Gaudu est professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne où il dirige notamment le master pro Droit en Europe, diplôme de niveau M2 réservé à des boursiers du gouvernement chinois et de l’ambassade de France en Chine.

• Agrégé d’histoire et des facultés de droit, il a été jusqu’en 2006 conseiller scientifique au Commissariat général du Plan et préside actuellement l’Association française de droit du travail et de la sécurité sociale.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles, dont “La Sécurité sociale professionnelle, un seul lit pour deux rêves” (Droit Social, 2007) et de “Une sécurisation des parcours professionnels est-elle possible ?” (Cahiers Français, n° 358, sept. 2010).

LECTURES

Droit de l’emploi, Franck Petit et Dirk Baugard, Gualino, 2010.

Tous “Sublimes”, Bernard Gazier, Flammarion, mars 2003.

Au-delà de l’emploi, sous la direction d’Alain Supiot, Flammarion 1999.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX