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Les avocats en droit social, nouveaux stratèges des comex

Les pratiques | publié le : 11.01.2011 | CÉLINE LACOURCELLE

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Les avocats en droit social, nouveaux stratèges des comex

Crédit photo CÉLINE LACOURCELLE

Multiplication des risques de contentieux, retournement de la jurisprudence, judiciarisation des relations du travail… Pour décrypter une matière sociale devenue plus complexe depuis une dizaine d’années, les avocats en droit du travail interviennent désormais en amont auprès des entreprises.

Hier, pompiers, aujourd’hui, préventeurs. C’est ainsi que peut se résumer la transformation du métier d’avocat en droit social, opérée depuis un peu plus d’une dizaine d’années. Passés de l’aval à l’amont, ces praticiens présents du côté des employeurs ont pris de la hauteur et ont migré des tribunaux, où ils réglaient les contentieux, aux bureaux des dirigeants de l’entreprise. « Nous sommes de plus en plus associés à la prise de décision des directions, qui vont s’appuyer sur notre analyse des risques théoriques et réels pour arbitrer cette décision », constate David Jonin, associé de Gide Loyrette Nouel. Si le volet judiciaire n’a évidemment pas disparu de leur périmètre, les avocats parlent donc désormais stratégie.

Ainsi, les entreprises les sollicitent sur leur politique et leurs engagements sociétaux. « Nous travaillons avec elles sur la prévention de leur responsabilité sociale et de leur image », confirme Agnès Cloarec-Mérendon, associée du cabinet Latham & Watkins. Réorganisation, PSE, égalité hommes-femmes, GPEC, épargne salariale, plan seniors… « Il est vrai qu’aujourd’hui les avocats sont de plus en plus proches, ils connaissent tous nos accords collectifs, nos relations sociales et nos pratiques RH », souligne Pierre Havet, président de l’ANDRH Ile-de-France, pour qui les 35 heures, en 1998, ont constitué une des dates charnières à partir de laquelle les relations entre les entreprises et les cabinets se sont intensifiées.

Davantage de contentieux

Plusieurs explications à cela. Les DRH sont montés en grade dans les entreprises, où ils siègent plus fréquemment au comex ou au codir. Ce qui, selon Me Cloarec-Mérendon, donne une meilleure visibilité des problématiques sociales. « La matière sociale est incontestablement passée de l’ombre à la lumière », constate Stéphanie Stein, associée au cabinet Eversheds. « Elle est aussi plus complexe. La jurisprudence se retourne également fréquemment. Quant aux contentieux, ils sont plus systématiques. Tout cela justifie incontestablement qu’il y ait des besoins en conseil », évoque Me Jonin.

A cela s’ajoutent la multiplicité des règles et des procédures, la technicité de certains sujets ou encore l’apparition de nouveaux adversaires potentiels, comme la Halde. Conséquences : des risques juridiques inédits tels les risques psychosociaux, les consultations des instances représentatives du personnel, la protection de la vie privée, la sous-traitance… En 2009, le ministère de la Justice a dénombré 228901 affaires nouvelles examinées aux prud’hommes (dont 890 sont le fait d’employeurs) contre 180393 en 1997. Les trois quarts d’entre elles portent sur la rupture du contrat de travail et en majorité sur des demandes d’indemnités (161 645 dossiers) liées à cette rupture ou à l’exécution du contrat de travail.

En outre, à l’heure de l’ultramédiatisation, les dirigeants d’entreprise ont le souci de préserver leur image. « Et même si les contentieux se règlent en partie par une transaction, celle-ci n’exclut pas l’intervention de l’avocat en amont », note Pierre Havet, qui ajoute que les actionnaires, surtout étrangers, aiment aussi les dossiers bien bordés.

Anticipation et urgence

Ces évolutions changent la pratique des avocats au quotidien : « Notre profession s’apparente à de la prestation de services, mise en concurrence dans le cadre d’appels d’offres. Si la pratique n’est pas nouvelle, elle s’est multipliée ces dernières années, tout comme celle des référencements », souligne Carla Di Fazio-Perrin, associée du cabinet Racine, qui remarque une évolution dans sa relation avec ses clients : « Nous devons être joignables à tout moment et faire preuve d’une grande réactivité. Du coup, nous sommes organisés en binôme, interchangeables, pour toujours être disponibles », ajoute-t-elle.

« Nous intervenons de plus en plus dans l’anticipation, sur de grands projets avec de nombreuses réunions d’étapes, lors par exemple d’une réorganisation de grande ampleur d’un groupe d’entreprises ou lors de la mise en place d’un plan d’épargne salariale, renchérit David Jonin. Ce qui n’empêche pas d’être sollicité dans l’urgence, sans délai de prévenance, pour assister une direction juridique ou des ressources humaines à arbitrer un risque. »

Il convient également de connaître l’histoire de l’entreprise et sa culture. Aujourd’hui, l’avocat est plus rarement derrière son bureau que sur le terrain. « Un premier contact exige toujours une visite de l’entreprise pour s’imprégner du contexte, de l’activité et des enjeux de l’organisation des ressources humaines », commente Sylvain Niel, directeur associé du cabinet Fidal.

Une vision transversale

Plus que jamais, le conseil doit avoir une vision transversale de l’entreprise, dont il doit maîtriser les rouages. Ce qui l’amène à collaborer avec de nombreux interlocuteurs « tels les directions juridique, administrative et financière, diversité, compliance, et parfois le médecin du travail ainsi que les cabinets spécialisés, par exemple dans la gestion des risques psychosociaux… », énumère Agnès Cloarec-Mérendon. Auparavant, seul le contenu des dossiers contentieux lui était utile.

Au quotidien, les avocats s’astreignent désormais à une veille législative et réglementaire permanente. Mais certains ne se contentent pas d’être des observateurs : ils interviennent en lobbyistes lors de la préparation d’une norme juridique. Avosial, une association de 350 avocats d’entreprises créée en 2004, affiche qu’elle a notamment pour objet de faire entendre la voix des praticiens sur les grands chantiers du droit social et de contribuer à l’élaboration de la doctrine.

Dialogue permanent

Le véritable enjeu de la profession étant, pour Sylvain Niel – également président du Club des DRH, écouté des pouvoirs publics –, « de créer un dialogue permanent entre l’entreprise, le juge et le législateur ». Une autre manière d’anticiper.

L’essentiel

1 Autrefois cantonnés à la rédaction des contrats de travail et aux contentieux, les avocats en droit social interviennent désormais, au niveau même de la stratégie des entreprises.

2 La complexité du droit social et l’augmentation des risques juridiques explique en partie la transformation de cette profession, davantage mise en concurrence.

3 De nouvelles contraintes d’exercice apparaissent : être toujours plus disponible et réagir parfois dans l’urgence, savoir anticiper.

Le droit social, une affaire qui devient rentable

→ Le nombre d’avocats qui optent pour le droit social et viennent étoffer les équipes des cabinets a augmenté de 13,4 % entre 1998 et 2007, selon le ministère de la Justice. Ce qui fait dire au Conseil national des barreaux que le droit social est non seulement le domaine le plus représenté sur les 15 existants, mais que c’est également l’un des rares où l’évolution sur une période de dix ans est positive.

→ Pour les cabinets d’avocats, « le droit social est devenu un des étendards du droit des affaires, drainant du chiffre d’affaires vers d’autres départements d’un cabinet, spécialistes en corporate, fiscalistes ou confrères à l’étranger, alors qu’auparavant, c’était l’inverse », explique Sylvain Niel, directeur associé du cabinet Fidal. Tous confirment que le droit social fait grimper les chiffres d’affaires, mais restent très discrets sur leurs montants.

Auteur

  • CÉLINE LACOURCELLE