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Former les managers, et après ?

Enquête | publié le : 11.01.2011 | VIRGINIE LEBLANC

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Former les managers, et après ?

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

La formation des managers s’avère incontournable dans les plans d’actions des entreprises pour prévenir les risques psychosociaux. Mais elle n’est pas une fin en soi et doit s’articuler avec un diagnostic précis des besoins et une réflexion des directions sur leur stratégie.

Un an après le plan Darcos de lutte contre le stress au travail, 230 accords d’entreprise et 200 plans d’actions ont été recensés par la Direction générale du travail (DGT). Parmi eux, un thème constant s’impose : la formation des salariés, notamment celle des managers. Toutefois, relèvent nombre d’experts (1), la formation n’est pas la solution miracle, mais un outil au service d’une stratégie d’entreprise. « Ce qui est certain, c’est que ce sujet fait marcher le business, ironise Bernard Salengro, secrétaire national de la CFE-CGC.? Cela rassure les dirigeants mais c’est inefficace. On donne trop d’importance à la dimension comportementale du stress », tranche-t-il.

Plus nuancé, Hervé Lanouzière, conseiller technique à la DGT en charge du pilotage de la cellule prévention des risques psychosociaux, met en garde les entreprises : « Si le plan de formation consiste simplement à détecter les gens stressés ou à savoir comment faire face au stress, cela ne suffit pas ; on ne peut pas se contenter d’acheter des stages sur catalogue. »

« Organiser ce type de programmes, sans réflexion en amont de la part de l’entreprise, sur son modèle économique et sa stratégie, place les salariés dans une situation encore plus délicate », estime Bénédicte Haubold (2), dirigeante d’Artélie conseil, qui ne propose plus cette prestation depuis quatre ans, à contre-courant de confrères qui se précipitent sur le marché de la formation.

Sensibiliser, outiller et réguler

Pour l’Anact, la formation doit comporter trois dimensions : sensibiliser l’ensemble des acteurs de l’entreprise pour choisir et partager un vocabulaire commun sur un sujet subjectif ; outiller les acteurs impliqués pour les préparer à engager une action de diagnostic ; et, enfin, réguler les dysfonctionnements et les problèmes identifiés. « Depuis deux à trois ans, les entreprises mettaient en place des formations à la gestion du stress, constate Ségolène Journoud, chargée de mission à l’Anact. Aujourd’hui, elles complètent leur dispositif avec une entrée sur les risques psychosociaux ou avec des stages plus ciblés : comment détecter les signaux faibles, comment manager en situation de tension. Et quelques-unes vont plus loin en analysant le travail pour identifier les points de difficulté et réguler, en lien avec une réflexion sur l’organisation du travail. » Mais ces cas sont encore rares.

Partant du constat que l’on ne peut pas faire reposer tout le poids des risques psychosociaux sur le management, Bruno Lefebvre (3), consultant IPRP et psychologue clinicien, qui travaille en libéral avec une dizaine de consultants au sein d’Alteralliance, propose une démarche qui consiste à lier des interrogations sur l’organisation du travail et la formation des managers. Il implique d’emblée le plus haut niveau hiérarchique et un groupe de pilotage paritaire dans sa démarche. « Après l’analyse des facteurs de risques, nous constituons des communautés de managers, réunies sur plusieurs demi-journées », explique Bruno Lefebvre.

Groupes d’échanges

Ces groupes d’échanges sur les pratiques managériales travaillent à partir de situations concrètes choisies par le groupe comme étant d’intérêt collectif. Par exemple : les questions de surcharge de travail ou du manque de priorisation. « Nous pouvons consolider le recensement des problématiques dans une charte managériale des bonnes pratiques », poursuit le consultant.

Malgré tout, il demeure plus facile pour une entreprise de s’engager dans une démarche de prévention secondaire (pour permettre aux salariés de s’adapter au stress par exemple), ou tertiaire (pour répondre aux situations d’urgence par des cellules d’écoute téléphoniques, notamment), que d’aborder la prévention primaire, qui combat le risque à la source. Nombre de formations reposent donc davantage sur la gestion du stress.

Eviter la contagion

Patrick Légeron, psychiatre et directeur général de Stimulus, cabinet spécialisé depuis plus de vingt ans dans l’évaluation et la prévention des risques psychosociaux, qui a formé des dizaines de milliers de managers, estime que leur formation sur ces sujets doit comporter quatre volets : apprendre à gérer son propre stress pour éviter d’être contagieux ; faire attention à ses comportements et modes d’expression au quotidien, le manager devant prendre conscience qu’il peut être facteur de stress ; comprendre les facteurs de stress de son équipe, organiser des conditions de travail en les réduisant au maximum et générer des facteurs de protection comme la cohésion d’équipe, la convivialité, le sentiment d’appartenance à une communauté ; enfin, un manager doit être capable de repérer les salariés en difficulté, pour les orienter.

Même si, pour l’instant, les formations du groupe Cegos les plus suivies sont centrées sur la gestion du stress professionnel, l’offre du groupe va évoluer dès 2011 pour intégrer davantage la prévention primaire : « Nous voulons par exemple permettre aux DRH d’impliquer les managers dans la prévention de ces risques et d’agir le plus en amont possible pour les éviter et pas seulement les accompagner », explique Valérie Jaunasse, manager de l’offre droit et relations sociales.

Contentieux pour harcèlement

Et les entreprises ont largement intérêt à sensibiliser leurs managers en amont, car les contentieux pour harcèlement moral se multiplient. Michel Ledoux, avocat spécialisé dans les domaines de la santé et de la sécurité, met régulièrement en garde les managers, dans les stages qu’il anime, contre certains comportements pouvant relever du harcèlement.

« Nous leur recommandons de faire attention à ce qu’ils écrivent dans leurs mails et à leurs messages vocaux, et nous leur expliquons les enjeux de la jurisprudence sur ce sujet : non seulement le harcèlement moral ne nécessite plus l’intention de nuire, mais il n’a plus besoin de s’appuyer sur des faits se prolongeant dans la durée », explique-t-il (lire aussi Entreprise & Carrières n° 1020 du 19 octobre 2010). Et lorsque l’entreprise est mise en cause dans une affaire sur le fondement de la faute inexcusable, la jurisprudence est très exigeante sur la mise en œuvre effective des mesures destinées à préserver la santé des salariés.

Preuve de leur sortie du deni, les directions acceptent aujourd’hui d’aborder le sujet des risques psychosociaux. Frédéric Cathus, chargé de mission au groupe Alpha, cabinet d’expertise auprès des CHSCT, constate que, depuis dix-huit mois, davantage de demandes d’interventions émanent des directions seules ou de sollicitations paritaires. « Ce mouvement révèle que les directions générales acceptent le lien entre la stratégie de l’entreprise et ses conséquences sur la santé au travail », observe-t-il.

Implication visible des directions

Dans les sessions qu’il anime, Denis Monneuse, expert à Entreprise & Personnel, insiste pour sa part sur la nécessité d’une implication visible des directions : « Ce type de formation doit être introduit par un responsable RH, pour la mettre en perspective avec le contexte de l’entreprise. »

(1) Le Garf (groupement des acteurs et responsables de la formation) et l’Anact ont organisé, le 19 novembre 2010, un colloque sur “Les risques psychosociaux en entreprise – la formation, un outil stratégique au service de la prévention”. Et les deux associations ont collaboré à la publication de “Les risques psychosociaux dans l’entreprise, la formation au service de la prévention”, collection Etudes du Garf (mai 2010).

(2) Auteure de Les Risques psychosociaux : analyser et prévenir les risques humains, éditions d’Organisation (décembre 2010).

(3) Coauteur, avec Matthieu Poirot, de Stress et risques psychosociaux au travail. Comprendre – Prévenir – Intervenir, qui sera publié chez Elsevier-Masson en février 2011.

L’essentiel

1 Les entreprises sont de plus en plus demandeuses pour leurs managers de formations sur le thème du stress.

2 Peu d’entreprises s’engagent dans des actions allant au-delà de la gestion du stress, en acceptant de réfléchir sur l’organisation du travail.

3 Face à la multiplication de l’offre de stages, les entreprises ont parfois du mal à s’y retrouver. La DGT prépare un cahier des charges pour les aider à sélectionner leurs prestataires.

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC