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Enquête

Pas d’austérité sans effort d’équité

Enquête | publié le : 21.12.2010 | AURORE DOHY

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Pas d’austérité sans effort d’équité

Crédit photo AURORE DOHY

La morosité salariale qui s’annonce pour la troisième année consécutive sera-t-elle mieux acceptée par les salariés que l’an passé ? Mis sous pression par les partenaires sociaux, les DRH préparent le terrain en travaillant sur l’équité et la transparence.

Si l’année 2010 qui s’achève restera certainement dans la mémoire collective celle de la mobilisation contre la seconde réforme des retraites, les DRH n’oublieront sans doute pas qu’elle fut également une année de tensions particulièrement vives sur la question des salaires. Ikea, Sanofi, Arcelor-Mittal, KFC, Thales, Atos Origin… Le cru 2010 des négociations annuelles obligatoires (NAO) aura en effet attisé de nombreux conflits. Les premiers pourparlers initiés fin octobre dans les entreprises se sont déroulés sans anicroche en dépit de la faiblesse des budgets concédés – qui, pour l’heure, tournent davantage autour des 1 % que des 2,5 % unanimement annoncés –, mais la circonspection reste de mise tant l’équation 2011 a de quoi être explosive : frustrations liées aux nouvelles règles sur les retraites, retour de l’inflation, affichage de profits records dans certains secteurs d’activité. Les salariés, qui partagent le sentiment d’avoir été “sacrifiés” durant déjà deux années, seront-ils prêts à entendre, pour la troisième fois consécutive, l’antienne de l’austérité et des restrictions budgétaires ? « Oui, à condition d’avoir l’assurance d’être traités de façon équitable et d’être en mesu­re de comprendre le fondement des différences de traitement dont ils font l’objet », prédit Armelle Prokop. Selon la consultante du cabinet Towers Watson, le message, fermement relayé par les partenaires sociaux, aurait été entendu par les entreprises qui, sans pour autant remettre en question leurs politiques d’individualisation, comprennent désormais la nécessité d’y injecter la dose d’équi­té nécessaire au maintien de la cohésion de l’organisation (lire p. 27).

Planchers minimums d’augmentation

En pratique, cette volonté se traduit non seulement par la quasi-disparition des budgets d’augmentation différenciés en faveur des cadres, qui étaient encore monnaie courante il y a cinq ou six ans, mais surtout par l’introduction des mesures spécifiques en faveur des bas salaires. Jusqu’alors apanage des entreprises prospères, ces mesures se sont multipliées depuis 2009, principalement sous la forme de planchers minimums d’augmentation.

« Les entreprises ont bien conscience qu’à tirer sur la corde trois années de suite, ce sont les salaires les plus bas qui souffrent davantage, explique Pierre Le Gunéhec, responsable de l’offre stratégie et relations sociales chez Aon Hewitt. Ces options « planchers » sont particulièrement utilisées par les 30 % d’entreprises qui ne pratiquent plus que des augmentations individuelles. Elles introduisent cette forme moderne d’augmentation garantie qui permet de réintroduire un peu de collectif tout en limitant les coûts. »

Segmentation des salaires

Début décembre, la direction de la Société générale a ainsi proposé aux organisations syndicales une augmentation du salaire annuel de base de 1 % avec un minimum fixé à 500 euros, forme de compromis entre une proposition initiale à 250 euros et les 1 000 euros que réclamaient les syndicats. « 1 000 euros représenteraient plus de 3 % d’augmentation pour les plus bas salaires, les plus impactés par l’augmentation des dépenses incompressibles, faisait ainsi remarquer la CFDT. Le pourcentage se réduit progressivement en allant vers les plus hautes rémunérations, limitant ainsi le coût global, car les plus hauts salaires ne doivent pas augmenter de manière injustifiée. » Le plancher de 500 euros correspond finalement à 2,5 % d’augmentation pour un salaire de 20 000 euros, les salariés percevant un variable ou un bonus supérieur à 12 000 euros étant exclus de cette mesure.

Une autre variante du même principe a été initiée chez BNP Paribas, la première banque à avoir ouvert des négociations en octobre. Direction et syndicats se sont accordés sur le principe d’une segmentation des salaires, avec une augmentation de 500 euros annuels brut pour les collaborateurs ayant un salaire annuel inférieur à 30 000 euros et de 450 euros pour les salaires compris entre 30 000 euros et 75 000 euros. Saluée par la majorité des syndicats, cette segmentation fait cependant grincer les dents de la CFE-CGC, laquelle n’admet pas l’exclusion de 5 % des salariés (lire p. 26).

Mesure unilatérale

L’exemple de Groupama montre lui aussi que l’introduction de mesures en faveur des bas salaires ne suffit pas à acheter la paix sociale. En novembre, l’assureur a choisi d’octroyer 2 % d’augmentation aux salariés touchant moins de 25 000 euros annuels brut contre 1 % aux autres, avec un plafond à 250 euros. « Seuls 1 500 salariés sur les 18 000 que compte le groupe bénéficieront des 2 % d’augmentation, fait remarquer Jérôme Laurent, pour la CFTC. Cette répartition est scandaleuse. » La négociation s’est conclue par une mesure unilatérale de l’employeur.

Un autre risque est pointé du doigt par Antoine Richard, expert chez Entreprise & Personnel : « Privilégier systématiquement les bas salaires n’est pas viable sur le long terme. La progression salariale des cadres étant plus forte que celle des employés, le budget nécessaire à leurs augmentations doit être supérieur sous peine de rompre avec l’équilibre global du système. Même si le scénario d’un écrasement de l’échelle des salaires n’est pas pour demain, les entreprises doivent, dès à présent, rester vigilantes. »

Les coups de pouce aux faibles rémunérations ne sont d’ailleurs pas le seul moyen économique d’affirmer l’équité de l’organisation. La loi sur le développement de la participation et de l’actionnariat salarié, votée il y a quatre ans, qui permet de verser un supplément d’intéressement ou de participation, est ainsi arrivée à point nommé pour donner une marge de manœuvre supplémentaire aux employeurs dans les NAO tendues. « Bien appliqué, ce supplément d’intéressement permet à la fois de bénéficier d’un cadre social et fiscal favorable et de reconnaître la contribution d’un collectif de travail, résume Romain Bureau, associé en charge de l’activité conseil en capital humain de Mercer. Les entreprises se sont réellement saisies de cet outil qu’elles associent parfois avec une logique de prime d’équipe, plus simple à mettre en œuvre mais plus coûteuse pour un euro net dans la poche du salarié. »

Ressouder le collectif

Pour ressouder le collectif de travail, certaines entreprises ont parfois aussi réinjecté des critères collectifs dans l’attribution des parts variables. C’est le choix qu’a fait la société de conseil et d’ingénierie Aedian au cours de l’exercice 2009-2010. « Les critères individuels sont d’ordinaire très largement majoritaires dans l’attribution du variable, explique Frédéric Bourdon, le directeur général délégué de la société. Nous avons choisi d’inverser les proportions pour éviter qu’un consultant ne soit pénalisé par les difficultés affectant plus particulièrement les secteurs d’activité dans lesquels il intervient. » A l’heure du bilan en juillet dernier, les objectifs – adaptés au contexte économique – avaient été largement dépassés. Depuis, Aedian a préféré revenir à une répartition plus équilibrée du variable – les critères collectifs restant légèrement majoritaires. Une décision due à l’amélioration du contexte économique, mais aussi à la demande des salariés, vraisemblablement attachés à la reconnaissance de leur contribution personnelle.

Toutes les entreprises ne sont cependant pas aussi prêtes à ménager ainsi les susceptibilités de leurs troupes. C’est du moins l’avis de Laurence Laigo, secrétaire nationale de la CFDT, qui ne croit pas le contexte favorable à une meilleure prise en compte de l’équité : « La faiblesse des budgets aboutit à des discussions étriquées entre les partenaires sociaux. A force de se concentrer sur les montants des augmentations, on rejette hors des NAO des thèmes fondamentaux comme celui de l’égalité salariale entre hommes et femmes. C’est regrettable car gisent là de véritables niches à inégalités. »

Un avertissement d’autant plus nécessaire que la jurisprudence autour de l’égalité de traitement connaît une véritable ébullition (lire ci-contre). « Les salariés sont désormais de plus en plus enclins à aller contester la moindre différence de rémunération devant les tribunaux, prévient Romain Bureau. Sexe, diplôme, localisation du poste de travail, tout y passe et, pour l’heure, les juges leur donnent assez souvent raison. »

L’essentiel

1 Sans pour autant remettre en cause leur politique d’individualisation, les entreprises se montrent soucieuses d’y injecter la dose d’équité nécessaire au maintien de la paix sociale.

2 Cette volonté se traduit par diverses mesures en faveur des bas salaires et la quasi-disparition des budgets d’augmentation différenciés en faveur des cadres.

3 Afin de mieux matérialiser l’existence d’un collectif de travail, les entreprises se sont également saisies de la récente possibilité de verser un supplément d’intéressement.

Auteur

  • AURORE DOHY