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Enquête

Le contentieux du salaire, vraie saga judiciaire

Enquête | publié le : 21.12.2010 | CÉLINE LACOURCELLE

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Le contentieux du salaire, vraie saga judiciaire

Crédit photo CÉLINE LACOURCELLE

De récents arrêts le confirment : la notion de l’égalité de traitement s’enrichit, exigeant des DRH une plus grande cohérence et moins de spontanéité dans l’élaboration des politiques salariales.

Le principe “à travail égal, salaire égal” n’a pas fini d’occuper les juges. Au cours de ces deux dernières années, d’importantes décisions prononcées par la Cour de cassation ont enrichi la problématique inaugurée par le fameux arrêt Ponsolle et appréhendée depuis sous des angles inédits. Quelques mises au point récentes ont fait grand bruit dans le petit monde des RH et des rémunérations.

Le 1er juillet 2009, la Cour de cassation considère que la seule appartenance à une catégorie professionnelle ne saurait justifier une différence de traitement, en l’occurrence ici un volant de congés. En clair : les DRH seraient bien inspirés désormais de regarder de plus près les disparités entre les cadres et les non-cadres. « La décision est intervenue pour sanctionner une différence résultant d’un accord collectif. C’est oublier la négociation et les contreparties qui ont été accordées », commente Catherine Broussot-Morin, associée du cabinet Reinhart Marville Torre.

Éléments objectifs, pertinents, contrôlables

Aujourd’hui, les cabinets d’avocats travaillent donc sur cette question mais relativisent : « Cet arrêt ne rend pas le critère de la catégorie professionnelle illicite, les juges indiquent qu’elle n’est simplement pas suffisante pour justifier en soi une différence. D’autres éléments demeurent recevables, dès lors qu’ils sont objectifs, pertinents et contrôlables. Ces conditions, nées d’une jurisprudence constante, sont toujours de mise », en déduit Sophie Pélicier-Loevenbruck, associée du cabinet Fromont Briens.

Discrétionnaire mais pas arbitraire

L’arrêt du 30 avril 2009 sur les bonus procède du même raisonnement. Dans l’affaire, un salarié bénéficiait, comme ses collègues de travail, d’une prime variable, fixée discrétionnairement par l’employeur. Mais, à la différence de ces derniers, l’analyste financier a vu son montant diminuer d’année en année jusqu’à sa suppression finale. Il soutient avoir été victime d’une discrimination. « Lorsque les juges ont conclu qu’un bonus, laissé à la libre appréciation de l’employeur, ne pouvait contrevenir au principe “à salaire égal, travail égal”, ils ne sonnaient pas le glas de tous les bonus discrétionnaires, mais indiquaient qu’ils n’étaient plus exonérés de l’exigence d’attribution fondée sur une justification objective. Autrement dit, la discrétion ne se confond pas avec l’arbitraire », signale Me Pélicier-Loevenbruck.

Daté du 6 juillet 2010, le second arrêt très remarqué met en scène une DRH siégeant au comité de direction. Après avoir été licenciée, elle a réclamé un rappel de salaires au motif qu’ils étaient inférieurs à ceux de ses collègues masculins occupant d’autres fonctions de direction dans des domaines différents. Pour son employeur, la comparaison était inconcevable, les fonctions étant trop différentes. « Un argument recevable depuis l’arrêt du 20 juin 2008 », note Me Broussot-Morin.

Mais l’été dernier, les juges en ont décidé autrement. « Des fonctions différentes peuvent recouvrir un “travail de valeur égale”, apprécié au vu des seuls critères légaux que sont les connaissances professionnelles, les diplômes ou la pratique, les capacités découlant de l’expérience acquise, les responsabilités et la charge physique ou nerveuse », énumère-t-elle. Et d’en conclure que ces points étaient semblables, même si cette cadre occupait une fonction différente.

Le critère du diplôme lié au poste de travail

Sur le critère des diplômes justement, Caroline André-Hesse, du cabinet Altana, évoque les arrêts de mars dernier : « Ces titres peuvent être utilisés pour différencier un salaire entre des personnes occupant une même fonction, à condition que leur détention atteste de connaissances particulières, utiles à l’exercice de la fonction occupée. » Ce qui n’est pas sans poser problème aux recruteurs. « Qu’en est-il, en effet, des entreprises qui attirent les diplômés d’école de commerce ou d’ingénieurs bien cotées en les rémunérant différemment de leurs homologues sortant d’établissements moins prestigieux ? Il faudra à chaque fois que l’employeur prouve que tel diplôme est nécessaire à la tenue du poste », ajoute-t-elle.

Autant d’arrêts qui obligent les DRH à avoir une politique de rémunération « coordonnée », selon Me André-Hesse, même si, précise-t-elle, « cette exigence peut être contraire aux contraintes d’activité d’une entreprise qui a besoin d’attirer tel profil à telle période stratégique ». Cela passe, pour Me Broussot-Morin, par une vraie analyse des métiers, doublée d’un audit des classifications salariales et de l’historique des situations à l’origine de l’application de tel ou tel critère. Car, au-delà de la problématique de gestion RH, le salaire s’impose comme un risque judiciaire récurrent.

Auteur

  • CÉLINE LACOURCELLE