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PowerPoint est une machine à standardiser

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 14.12.2010 |

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PowerPoint est une machine à standardiser

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Très largement répandu dans les entreprises, le logiciel de présentation graphique PowerPoint, inclus dans le Pack Office de Microsoft, fait débat. Ce qui pose problème ? Entre autres, une certaine façon de véhiculer l’information : articles indéfinis, verbes à l’infinitif ayant valeur d’injonction… un discours sans émetteur ni récepteur identifiés.

E & C : Qu’est-ce qui justifie une enquête sur un logiciel de présentation assistée par ordinateur, que beaucoup considèrent comme un outil utile, ni bon ni mauvais en soi ?

Franck Frommer : PowerPoint ou “ppt” n’est pas un simple outil mais un dispositif rhétorique global intégrant du texte, des images, de la vidéo et du son. Mais du fait des contraintes liées à l’écriture des diapositives projetées à l’écran – les slides –, il a développé un vocabulaire et une syntaxe qui lui sont propres. Les titres sont réduits, les énoncés simplifiés par l’utilisation de divers procédés comme la nominalisation, l’usage de l’article indéfini ou encore l’emploi excessif de verbes à l’infinitif qui ont valeur d’injonction. Le discours se transforme ainsi en formules ou en slogans. « Il faudrait songer à réduire les effectifs » devient : « Optimiser les RH ». Autre caractéristique de “ppt” : ses listes à puces ou bullet points grâce auxquelles l’utilisateur peut ordonner ses informations à sa façon, sans se préoccuper des enchaînements logiques. Cette juxtaposition permet, avec toute l’apparence de la rigueur, d’établir des corrélations douteuses entre, par exemple, le taux de pénétration d’un produit et l’âge des vendeurs. On peut également faire dire n’importe quoi à une image. De même que l’on peut manipuler les graphiques pour en atténuer les informations négatives. On est dans le management des impressions. C’est donc une façon d’aborder l’information et de la transmettre qui est loin d’être neutre.

E & C : Selon vous, PowerPoint cumule les paradoxes.

F. F. : Je vais même jusqu’à parler de perversion. Ce logiciel, à la fois puissant et limité, a accompagné le développement du travail en mode projet dans les entreprises. Il s’est imposé comme un système de communication quasiment unique en devenant le support incontournable de toute réunion. Il est donc devenu indispensable aux salariés du tertiaire, à qui l’on demande aujourd’hui d’être créatifs, autonomes, adaptables, capables de travailler en équipe et de vendre leurs projets. Or, avec PowerPoint, c’est vrai, n’importe quel ingénieur ou manager est capable de réaliser une belle présentation, qu’il peut animer grâce à des fonctionnalités ludiques. Mais ce logiciel ne fait que donner l’illusion de la créativité, car les utilisateurs sont bridés par les gabarits et doivent aller à l’essentiel. Ce qui n’empêche pas certains de passer des heures à chercher une illustration tandis que d’autres vont pinailler sur le choix des couleurs. Bref, on est tellement obnubilé par la forme qu’on en oublie le contenu. Au fil du temps, le “ppt” s’est transformé en présentation commerciale. Et le défilement des slides ne laisse plus aucune place au dialogue que sont censées favoriser les réunions. Ces documents deviennent, en outre, l’unique “livrable” synthétisant les résultats d’un projet ou d’une opération, que ce soit pour des collègues, des décideurs ou des clients. On ne fait plus de notes, de rapports ou de mémos. Un PowerPoint suffit.

E & C : Quelles sont les conséquences de cette omniprésence de PowerPoint pour les cadres ?

F. F. : Ils sont d’abord sélectionnés sur leur maîtrise de l’outil, réclamée dans toutes les offres d’emploi. Cela fait partie de leur employabilité, qui repose beaucoup sur leur capacité à communiquer. Ensuite, le “ppt” fonctionne comme la preuve d’un travail accompli. L’employeur peut ainsi promouvoir la créativité, l’autonomie et le travail collaboratif tout en les contrôlant. Le problème, c’est qu’avec PowerPoint, on est dans une logique systématique de vente, de séduction, et qu’il faut tout faire pour être bon. Outre le fait que certains passent un temps considérable à peaufiner leurs fichiers – une déperdition dont les employeurs n’ont certainement pas conscience –, la présentation elle-même est un exercice d’autant plus délicat que les slides ont des effets hypnotiques sur le public. Gare à celui qui n’arrive pas à capter l’attention ou dont l’intervention suscite des ricanements ! On se fait épingler sur ses qualités d’orateur, d’animateur, voire d’acteur. En cela, PowerPoint incarne bien cette nouvelle écologie des entreprises où l’individu est soumis à des injonctions paradoxales et jugé sur son savoir-être davantage que sur son savoir-faire.

E & C : Comment PowerPoint a-t-il contaminé les directions des ressources humaines ?

F. F. : Le logiciel s’est répandu dans les entreprises par le biais des consultants, appelés à la rescousse pour modifier les modes d’organisation. Dès le milieu des années 1990, ils sont arrivés avec des recettes toutes faites concoctées aux Etats-Unis, agrémentées de schémas, diagrammes et autres matrices visant à simplifier les problèmes complexes. PowerPoint est devenu leur arme favorite pour construire des plans d’action standardisés… Et réutilisables. Ces méthodes se sont propagées jusqu’au secteur public, comme en témoigne la façon dont a été initiée, via des cabinets d’audit, la révision générale des politiques publiques (RGPP), dont l’une des règles consiste à ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux. De la même façon, PowerPoint permet aux DRH, avec l’aide de cabinets de conseil spécialisés, de “vendre” leur projet de restructuration ou de PSE aux différentes parties prenantes. On en détaille les points forts et concepts clés, en ne parlant pas de gens, mais de processus. Et comme il n’y a ni émetteur – les “ppt” ne sont pas signés – ni véritablement de destinataires, le discours devient parole d’évangile. Une façon, pour les décideurs, de se déresponsabiliser. La manière dont a été présenté le volet social du plan Next de France Télécom, avec son sabir psycho-managérial, en est un parfait exemple. On en connaît les conséquences désastreuses sur les salariés.

* Editions La Découverte.

PARCOURS

• Franck Frommer, diplômé du Celsa et titulaire d’un DEA de lettres modernes, exerce différentes activités de communication interne chez Allianz.

• Il a été journaliste pendant une dizaine d’années (Libération, presse régionale, presse féminine…), avant de rejoindre les AGF (aujourd’hui Allianz).

LECTURES

• Se Distraire à en mourir, Neil Postman, Nova Editions, 2010.

• La Nouvelle Raison du monde, Pierre Dardot, Christian Laval, La Découverte, 2010.