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« Accorder confiance et autonomie fait baisser la pression »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 07.12.2010 | VIRGINIE LEBLANC

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« Accorder confiance et autonomie fait baisser la pression »

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Pression et reporting permanents, absence de marge de manœuvre dans la réalisation des tâches, déshumanisation des relations sociales sont autant de facteurs favorables à l’émergence des risques psychosociaux dans les entreprises. Celles-ci ont tout intérêt à laisser s’exercer la capacité d’autorégulation des salariés.

E & C : Au-delà du plan Darcos incitant les entreprises à négocier ou à mettre en place des plans d’action pour prévenir les risques psychosociaux, à quoi voit-on que cette préoccupation va s’installer durablement ?

Xavier Zunigo : Les risques psychosociaux ne sont pas un effet de mode, ils sont la conséquence d’une tendance de fond apparue dans les années 1980 : les organisations du travail se sont transformées, le travail s’est intensifié et précarisé. Ces bouleversements se sont traduits par de nombreuses réductions d’effectif, qui engendrent surcharge de travail et stress pour ceux qui restent. On observe aussi une déshumanisation des relations sociales dans l’entreprise avec, dans certains cas, la disparition des RH, qui deviennent des business partners, et la délégation des fonctions administratives RH aux managers de proximité, qui deviennent ainsi les premiers RH. Les responsables RH, acteurs fondamentaux des relations sociales au sein des entreprises, sont moins présents pour les salariés, voire disparaissent, alors qu’ils peuvent jouer un rôle important de prévention, au même titre que les CHSCT et la médecine du travail. La dégradation des conditions de travail consécutive à ces transformations a entraîné le développement d’un ensemble de pathologies liées au travail (TMS, troubles anxio-dépressifs, épuisement professionnel, etc.) avec, dans les cas extrêmes, les suicides.

E & C : Comment expliquer l’effet délétère de ces changements sur la santé des salariés ?

X. Z. : Il n’y a jamais d’explication simple. On constate cependant qu’il y a de plus en plus de différences entre ce que l’on pourrait qualifier de production “normale”, c’est-à-dire celle qui respecterait les limites physiques et psychiques du corps humain, et celle qui est attendue par les directions. On peut y voir un des effets de la financiarisation de l’économie, qui se traduit par une pression accrue sur les objectifs. Je pense par exemple à la logique des quarters pour les entreprises cotées en bourse : tous les trois mois, des résultats doivent être produits par les salariés, c’est très court et cela génère une pression constante.

E & C : Les managers qui relaient ces objectifs sont souvent identifiés comme étant à l’origine du mal-être des salariés.

X. Z. : Ce ne sont pas les managers qui sont en cause, mais le système dans lequel ils s’insèrent et qui leur fait jouer un certain rôle. On cherche à en faire des contrôleurs de l’activité des équipes. Ils passent leur temps à faire du reporting. Ce régime de contrôle met les salariés sous pression. C’est particulièrement vrai sur les plates-formes téléphoniques, où l’on trouve l’illustration d’une réelle taylorisation de la production : contrôle du flux d’appels entrants, du temps de réponse, des inter-appels, des temps de pause et du nombre d’appels en attente.

E & C : Comment les entreprises devraient-elles infléchir leur organisation du travail ?

X. Z. : Transformer les conditions de travail n’est naturellement pas aisé, surtout dans des groupes mondialisés, mais des marges de manœuvre existent toujours. Tout d’abord, un dialogue social de qualité est indispensable pour limiter les risques psychosociaux. Ensuite, tout en prenant des dispositions pour contenir la charge de travail, la pression des objectifs et les dysfonctionnements multiples, deux grands principes devraient guider les plans d’action des entreprises : confiance dans les salariés et autonomie dans le travail. On sait que lorsque l’on change l’organisation du travail en ce sens, on ne perd pas en productivité, au contraire. Je connais des entreprises qui ont subi des pics d’activité extrêmement importants, mais qui ont réussi à en atténuer les effets contraignants sur les salariés, en évitant le pire en matière de risques psychosociaux, car les salariés ont conservé une autonomie pour aménager leurs horaires et gérer la tension. Autre exemple, il y a quelques années, chez un opérateur Internet : des vendeurs en boutique ne pouvaient pas quitter leur poste entre deux clients. Au bout d’un moment, ils n’arrivaient plus à faire face à la pression. J’avais alors préconisé la prise de pauses libres. La peur de l’employeur était que les salariés en abusent. Or il y a toujours une autorégulation des comportements dans une boutique, la pression des clients et des collègues fait qu’il n’est pas possible de s’absenter comme on veut. Il faut faire confiance aux salariés : la majorité d’entre eux est investie dans son travail, l’apprécie et possède un fort sens du travail bien fait.

E & C : Outre ces principes, quelle méthodologie préconisez-vous pour que les entreprises trouvent la voie d’actions de prévention adaptées à leur contexte ?

X. Z. : Il faut s’appuyer sur l’épistémologie des sciences sociales et déployer un diagnostic quantitatif et qualitatif. Ces méthodes sont complémentaires. Le questionnaire est un outil qui permet de révéler de grandes tendances et des logiques collectives. Le diagnostic qualitatif, avec des entretiens menés en face à face par un expert extérieur et indépendant, identifie plus finement la réalité des conditions de travail. Il permet de transformer les corrélations statistiques en lien causal. C’est ce type d’approche qui a par exemple été pratiqué par le cabinet Technologia dans le cadre de l’expertise commandée par France Télécom. Or aujourd’hui, on observe parfois une tendance au diagnostic a minima avec des entreprises qui réalisent seulement une enquête par questionnaire, et déploient ensuite un certain nombre de mesures. J’insiste : on ne peut pas faire l’économie d’entretiens. La prévention, du diagnostic au plan d’action, a certes un coût, mais il est bien moins grand que celui d’une absence de prévention.

PARCOURS

• Xavier Zunigo est sociologue du travail, docteur en sociologie à l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales).

• Il est également consultant en organisation du travail et risques psychosociaux et expert pour le compte des expertises CHSCT menées par le cabinet Technologia. Il a notamment été responsable scientifique du diagnostic sur la souffrance au travail réalisé pour France Télécom.

LECTURES

• Travailler pour être heureux ? Le bonheur et le travail en France, Christian Baudelot, Michel Gollac, Fayard, 2003.

• Les désordres du travail. Enquête sur le nouveau productivisme, Philippe Askenazy, Seuil, 2004.

• L’évaluation du travail à l’épreuve du réel. Critique des fondements de l’évaluation, Christophe Dejours, Inra Editions, 2003.

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC