Ariane Bilheran, Editions du Palio, 180 pages, 19 euros.

Bien entendu, les vagues de suicides en entreprise questionnent celles qui sont concernées et plus généralement l’organisation des entreprises dans leur ensemble. Cependant, passé l’effet de sidération provoqué par ce geste aussi radical, il conviendrait de s’interroger vraiment sur son sens. Pour Ariane Bilheran, celui-ci n’est en effet pas univoque. Non seulement la valeur du suicide a changé au cours de l’Histoire (héroïque dans l’Antiquité, il est devenu une faute morale pour la société judéo-chrétienne), mais encore les suicides actuels qui ont lieu dans le cadre du travail sont susceptibles de relever de plusieurs logiques, allant de la manifestation d’un désespoir, par exemple à l’annonce brutale d’un licenciement ou d’une mutation forcée, au geste libérateur pour l’individu harcelé, et passant par le suicide vengeur voire héroïque pour protester contre ce qui est perçu comme une dérive morale de l’organisation. Si un même terme générique recouvre ces différentes situations, ne pas les distinguer condamne à n’y rien comprendre. C’est-à-dire à céder à la fascination morbide pour le sensationnel plutôt qu’à lutter et à essayer de prévenir. Au-delà des différences pourtant, un même contexte mortifère de consommation semble gagner non seulement l’entreprise, mais aussi la société tout entière. Consommation d’objets, de compétences, de ressources humaines… Dans ce cycle économique pervers où qui ne satisfait pas à cette logique prend peu ou prou le statut de rebut destiné à disparaître.

Ariane Bilheran est psychologue clinicienne, docteure en psychopathologie chargée de cours à l’université et conseil en relations humaines.