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Enquête

Le défi RH de la retraite à 62 ans

Enquête | publié le : 09.11.2010 | AURORE DOHY

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Le défi RH de la retraite à 62 ans

Crédit photo AURORE DOHY

Cette réforme des retraites sera-t-elle celle qui parviendra, enfin, à redresser le taux d’emploi des seniors ? Le gouvernement l’assure, qui estime que l’amélioration de l’emploi des plus de 55 ans sera une conséquence automatique du relèvement de l’âge de départ de 60 à 62 ans. Autre conséquence pour l’entreprise : les accords déjà signés comportant des mesures d’âge devront être revus.

A l’issue d’un débat parlementaire particulièrement mouvementé, la réforme des retraites voulue par Nicolas Sarkozy et défendue par son ministre du Travail Eric Woerth a été définitivement adoptée le 27 octobre. Sauf avis contraire du Conseil constitutionnel, la loi sera promulguée dans le courant du mois de novembre(1). Elle est appelée à bousculer profondément la gestion humaine des entreprises, ne serait-ce que par sa mesure phare : le relèvement de l’âge légal de départ en retraite de 60 à 62 ans.

Interrogées en septembre par le cabinet Towers Watson, les entreprises semblaient pourtant faire preuve d’un certain attentisme, plus d’un DRH interrogé sur deux (54 %) se refusant à croire que le report de l’âge de départ aurait une incidence d’un point de vue social ou financier. A l’occasion de la présentation de sa note de conjoncture sociale, un mois plus tard, Entreprise & Personnel établissait un constat similaire : « Au-delà des positions de principe sur le nécessaire allongement de la durée du travail prises par le Medef, les entreprises ont été “spectatrices” du bras de fer entre le gouvernement et les organisations syndicales, relève Denis Falcimagne, directeur de projets de l’association. Depuis le début du débat parlementaire, de nombreux enjeux ont ainsi été sous-estimés, voire escamotés, et les employeurs commencent tout juste à réaliser les défis auxquels ils vont devoir faire face. » Avec, en tête de liste, le maintien en activité des salariés de plus de 55 ans, ce talon d’Achille de la gestion sociale française (lire l’interview p. 29).

Taux d’emploi

Cette réforme sera-t-elle celle qui parviendra, enfin, à redresser un taux d’emploi des seniors qui plafonne toujours à 38,9 % ? Le gouvernement l’assure, qui estime que l’amélioration de l’emploi des seniors sera une conséquence automatique du relèvement de l’âge de départ d’ici à 2018. Souvent faits à la va-vite pour échapper à la taxe, les accords seniors ont-ils suffisamment préparé le terrain ? « Le temps des accords a certainement été le plus facile, prévient Denis Falcimagne. Maintenant que des décisions ont été prises, il va falloir passer des intentions aux actes ! » De leur côté, les syndicats veillent au grain : « Pour quelques accords ambitieux et volontaires, combien restent dénués de tout objectif chiffré ?, déplore Véronique Descacq, secrétaire nationale de la CFDT en charge de l’économie et de la protection sociale. Les entreprises vont pourtant devoir nous expliquer dès à présent ce qu’elles comptent faire pour se montrer à la hauteur face au relèvement de l’âge de départ en retraite. »

Dispositifs d’épargne retraite

Au-delà de la gestion de la fin de carrière stricto sensu, les effets du report progressif de l’âge de la retraite devraient se faire sentir sur l’ensemble de la pyramide des âges de l’entreprise. Les DRH devront donc également veiller à ménager les plus jeunes, tenus à davantage de patience dans leurs perspectives d’évolutions professionnelle et salariale (lire p. 25). Par ailleurs soucieuses des niveaux de leurs pensions futures, les jeunes générations revendiqueront certainement la mise en place de compléments de retraite. Vraisemblablement bien disposés à cet égard – 70 % des DRH interrogés par Towers Watson faisaient part de leur intention de mettre en œuvre des dispositifs d’épargne retraite –, les employeurs seront-ils dès à présent prêts à mettre la main à la poche, afin d’apporter une réelle plus-value auxdits dispositifs (lire p. 26) ?

Le relèvement de l’âge de la retraite de deux ans risque enfin de peser lourdement dans les comptes des entreprises (augmentation des cotisations des régimes de frais de santé et des régimes de prévoyance notamment), déjà largement mises à contribution, quoique de façon indirecte, par un gouvernement soucieux d’injecter de nouvelles sources de liquidités dans les comptes du régime actuel – taxes sur les retraites chapeaux ou les actions gratuites, pénalités sanctionnant l’absence d’accord ou de plan d’action sur l’égalité hommes-femmes ou sur la prévention de la pénibilité – (lire p. 25).

Dépités par la parcimonie des concessions arrachées à la majorité, notamment sur les questions de pénibilité et de retraite des femmes, les syndicats ne manqueront certainement pas non plus de rappeler aux entreprises les nouvelles obligations qui s’imposent à elles en la matière(2). « Le gouvernement a botté en touche et renvoyé la balle aux employeurs sur la question de la retraite des femmes, résume Véronique Descacq. Après l’échec relatif de la loi de 2006, il est désormais indispensable que les partenaires sociaux saisissent à bras-le-corps la question des rattrapages salariaux. »

Dans un certain nombre d’entreprises, DRH et représentants du personnel ont déjà pris date pour évoquer une autre conséquence, plus immédiate encore, de la réforme : celle du report de l’âge sur les accords d’entreprise prévoyant des mesures d’âge. « Il s’agit dans un premier temps de mesurer l’impact de la loi sur les PSE des sites de Joué-lès-Tours (37) et de Montceau-les-Mines (71), ainsi que sur nos plans de départs volontaires qui prévoient tous des cessations anticipées d’activité (CAA) », explique-t-on par exemple chez Michelin.

D’après les calculs de l’Unsa et de la CGC France Télécom, le report de l’âge de départ rendrait 2 500 à 3 000 personnes inéligibles au “temps partiel seniors”, une mesure prévue par l’accord seniors de novembre 2009, qui offre la possibilité de partir 6 à 18 mois avant la mise en retraite à taux plein si le salarié accepte d’être payé entre 65 % et 75 % de sa rémunération. Les deux syndicats exigent la « sécurisation juridique de l’accord » (lire p. 27).

« La loi n’a en effet rien prévu pour limiter l’impact sur les mesures d’âge, explique Isabelle Pontal, avocate chez Jeantet Associés. Les entreprises concernées se retrouvent donc devant l’alternative suivante : renégocier leurs accords ou traiter les situations au cas par cas. Le sujet est délicat, car tout allongement de la durée de portage pose le problème de l’équité de traitement avec les salariés déjà sortis du dispositif. »

(1) La position du Conseil constitutionnel sera connue au plus tard 30 jours après le dépôt du recours par l’opposition.

(2) Sous peine de pénalité, les entreprises sont désormais tenues de présenter un accord ou un plan d’action relatif à la prévention de la pénibilité et à l’égalité entre hommes et femmes.

L’essentiel

1 Spectatrices du bras de fer entre le gouvernement et les organisations syndicales, les entreprises prennent progressivement conscience des défis entraînés par la réforme des retraites.

2 Maintien dans l’emploi des seniors, risques de démotivation des plus jeunes, attentes en matière d’épargne salariale : les enjeux RH sont légion.

3 Le report de l’âge de départ risque également d’entraîner un surcoût élevé pour les régimes frais de santé et prévoyance.

Auteur

  • AURORE DOHY