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Le télétravail à domicile doit être indemnisé

Les pratiques | publié le : 02.11.2010 | MARIETTE KAMMERER

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Le télétravail à domicile doit être indemnisé

Crédit photo MARIETTE KAMMERER

Le télétravail à domicile est une « sujétion particulière » qui mérite une indemnité, estime la Cour de cassation. Cette décision va-t-elle renchérir le coût du “travail à la maison”? Les avis des spécialistes divergent sur la portée de l’arrêt.

De plus en plus de facteurs plaident en faveur du télétravail : nouvelles technologies de communication, allongement des temps de transport, lutte contre la pollution, coût de l’immobilier. Néanmoins, cette pratique doit être encadrée, formalisée et… indemnisée. En effet, la Cour de cassation, dans l’arrêt n° 819 du 7 avril 2010, stipule que les entreprises dont les salariés travaillent régulièrement à leur domicile sont tenues de les indemniser de cette « sujétion particulière » et des frais « engendrés par l’occupation à titre professionnel du domicile » (lire encadré p. 18).

Une décision de justice qui pourrait coûter cher aux entreprises. Cet arrêt rappelle que le domicile appartient à la vie privée du salarié et n’a pas vocation à devenir un second bureau. Si le salarié accepte –  selon le principe du volontariat – d’utiliser une partie de son domicile à des fins professionnelles, cette contrainte doit être indemnisée. Cette indemnisation « n’entre pas dans l’économie générale du contrat de travail », donc ne peut être considérée comme déjà intégrée au salaire et doit apparaître de manière distincte dans la rémunération.

« L’arrêt entérine le principe d’une indemnisation spécifique liée à une “immixtion dans la vie privée” et à une “sujétion particulière”, indique Stéphane Béal, avocat au cabinet Fidal, citant l’arrêt. Cette indemnisation s’ajoute à un éventuel défraiement et peut varier en fonction “du taux d’occupation du domicile en termes de temps et d’espace ».”

Télétravail “gris”

Quelles peuvent être la portée de cet arrêt et ses conséquences pour les entreprises ? « Cet arrêt vise surtout les nombreuses entreprises qui pratiquent le télétravail « gris » ou sauvage, c’est-à-dire non déclaré et non négocié avec des travailleurs nomades, des techniciens et commerciaux exerçant chez eux le soir après leur tournée commerciale », estime Nicole Turbé-Suetens, directrice du cabinet Distance Expert.

A l’inverse, la plupart des entreprises signataires d’un accord de télétravail estiment ne pas être concernées par cet arrêt : « Il porte exclusivement sur le télétravail à la demande de l’employeur, indique Jean-Marie Simon, DRH du groupe Atos Origin.? Or l’accord que nous avons signé le 16 avril 2010 prévoit uniquement du télétravail à la demande expresse du salarié. C’est une commodité que l’on offre pour faciliter l’articulation avec la vie familiale ou limiter la fatigue liée aux temps de transport. » Même réponse du côté d’Alcatel-Lucent et de Renault, également signataires d’un accord de télétravail.

Cet arrêt n’aurait alors de conséquences que pour une infime minorité d’entreprises qui pratiquent le télétravail “à la demande de l’employeur”? Pas si simple. « Il ne faut pas accorder trop d’importance à cette notion de “demande de l’employeur”, conseille Stéphane Béal, car il existe des demandes indirectes, des non-choix du salarié, par exemple un commercial qui travaille sur un secteur donné ne peut pas repasser tous les jours au siège de l’entreprise et se voit contraint de travailler chez lui, même si ce n’est pas une demande explicite de son employeur. »

Distinguer le défraiement de l’indemnisation

Même avertissement de la part de Christine Baudoin, avocate au cabinet LMT : « Je ne suis pas sûre que la Chambre sociale a voulu limiter l’indemnisation aux seuls cas où le télétravail est à la demande de l’employeur. » Selon elle, cette argumentation mérite réflexion et la portée de cet arrêt ne doit pas être sous-estimée : « Je conseille à mes clients de pouvoir justifier en cas de contentieux qu’ils ont bien indemnisé “l’immixtion dans la vie privée ».”

Pour se mettre en conformité avec cet arrêt, les entreprises qui n’ont rien prévu peuvent « soit négocier un accord de télétravail avec les partenaires sociaux, soit décider d’une indemnisation de manière unilatérale », indique Stéphane Béal. Celles dont l’accord signé est incomplet peuvent là encore négocier un avenant ou fixer unilatéralement le montant de l’indemnisation : « Elles ont intérêt à bien différencier ce qui relève du défraiement et ce qui relève de l’indemnisation, conseille l’avocat, car il n’est pas sûr qu’une prise en charge forfaitaire puisse être considérée comme une indemnisation. »

Le problème est que l’arrêt ne précise pas comment calculer cette indemnisation : doit-on prendre en compte les mètres carrés occupés, les frais d’énergie, d’assurance habitation ? Les entreprises qui ont signé un accord de télétravail prévoient toutes une participation aux frais d’abonnement à Internet, y compris quand le télétravail est à la demande du salarié. Cette participation atteint 20 euros chez Atos Origin, 26 euros chez Alcatel-Lucent, 30 euros chez Michelin et 40 euros chez Hewlett Packard. « On peut estimer qu’il s’agit bien d’une indemnisation et non d’un défraiement puisque, en général, le salarié paie déjà un abonnement à Internet et que l’utiliser pour le travail ne lui coûte pas plus cher », note Stéphane Béal.

Prime d’installation

D’autres entreprises y ajoutent une participation à l’achat de mobilier de bureau et à l’assurance habitation (Atos Origin), des tickets restaurant (Oracle), une prime d’installation de 150 euros à partir de trois jours par semaine (Air France). « L’arrêt Nestlé nous a servi d’argumentation pour obtenir cette prime d’installation que l’on demandait depuis longtemps », indique Béatrice Giampino, qui a négocié pour la CFDT l’avenant à l’accord Air France en juillet 2010.

En cas de télétravail à la demande de l’employeur, des indemnisations supplémentaires sont prévues : Oracle offre une participation de 360 euros par an aux frais de chauffage, et Air France propose une aide aux déplacements pour les retours sur site. Des broutilles, en comparaison des sommes offertes par Hewlett Packard dans son accord de juillet 2010 : « L’accord HP crée un vrai bouleversement avec une volonté de séduire et de pousser les gens à accepter le télétravail dans le cadre de fermetures de sites et de bureaux », indique Yves Lasfargue, directeur du cabinet Obergo. Ainsi, les salariés franciliens acceptant le télétravail quatre jours par semaine bénéficient de 700 euros d’aide à l’installation et de 72 euros par mois pour le chauffage et l’électricité.

Ces aides atteignent respectivement 1 000 euros et 90 euros pour les télétravailleurs de province dont le site va fermer, ces derniers percevant également une prime incitative de 1 500 euros. Cette dernière, sans lien avec des dépenses engagées par le salarié, apparaît bien comme une indemnisation de la contrainte que représente le télétravail : « Le principe de l’indemnisation est respecté, par contre celui du volontariat ne l’est plus vraiment », regrette Jean-Paul Vouiller qui a négocié l’accord pour la CFTC.

L’essentiel

1 Selon un arrêt de la cour de cassation d’avril 2010, un employeur a l’obligation d’indemniser ses salariés en télétravail.

2 Cette obligation concerne-t-elle seulement le télétravail à la demande de l’employeur ou tous les télétravailleurs ? Les avis des juristes divergent.

3 Par précaution, les avocats conseillent de distinguer indemnités et défraiements dans les accords de télétravail.

L’Arrêt Nestlé du 7 avril 2010

→ Dans cette affaire, des commerciaux, responsables de secteur à la société Nestlé Waters marketing et distribution, amenés à faire régulièrement une partie de leur travail chez eux, ont saisi les prud’hommes afin d’obtenir le paiement d’une indemnité au titre de « l’occupation partielle de leur domicile privé à des fins professionnelles ». L’employeur considérait pour sa part que cette « modalité particulière de l’exécution du contrat de travail » était connue par le salarié et déjà prise en compte dans sa rémunération, donc ne justifiait pas d’indemnisation spécifique. Nestlé estimait que seuls les frais directement engagés pour l’exercice de la profession au domicile (matériel informatique, Internet, téléphone) étaient à sa charge.

→ Dans l’arrêt n° 819 du 7 avril 2010, la Cour de cassation a rejeté cette argumentation et donné raison aux salariés : « L’occupation, à la demande de l’employeur, du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée de celui-ci et n’entre pas dans l’économie générale du contrat de travail. »

« Si le salarié, qui n’est tenu ni d’accepter de travailler à son domicile, ni d’y installer ses dossiers et ses instruments de travail, accède à la demande de son employeur, ce dernier doit l’indemniser de cette sujétion particulière ainsi que des frais engendrés par l’occupation à titre professionnel du domicile. »

Auteur

  • MARIETTE KAMMERER