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La difficile marche vers l’emploi

L’actualité | publié le : 02.11.2010 | ÉLODIE SARFATI, MARIETTE KAMMERER

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La difficile marche vers l’emploi

Crédit photo ÉLODIE SARFATI, MARIETTE KAMMERER

La mobilisation des jeunes contre la réforme des retraites révèle leur inquiétude quant à leur avenir professionnel. Même si les situations sont contrastées, l’accès à l’emploi reste de fait un parcours chaotique pour nombre d’entre eux.

La fin des vacances scolaires verra-t-elle les lycéens redescendre dans la rue pour continuer à s’opposer à la réforme des retraites, désormais votée ? Les syndicats lycéens et étudiants appellent en tout cas à se mobiliser encore cette semaine : en plus de la manifestation du 6 novembre, la coordination nationale étudiante a annoncé une journée d’actions le 4 novembre, jour de la rentrée des lycéens.

Pour Patrick Lemattre, professeur à HEC, « la mobilisation des jeunes reflète surtout une angoisse bien légitime quant à leur difficulté d’accès à l’emploi ». Craintes exprimées par les jeunes manifestants, qui voient dans le report de l’âge de départ à la retraite un obstacle supplémentaire à leur insertion (lire encadré ci-contre). Et message bien capté par le gouvernement, qui compte maintenant sur l’annonce de l’ouverture de négociations sur l’emploi des jeunes et des seniors pour sortir du cycle des mobilisations.

Hausse brutale du chômage des jeunes

C’est qu’en matière d’emploi des jeunes, les chiffres sont éloquents. Même si le nombre de jeunes demandeurs d’emploi se stabilise depuis le début de l’année (voir graphique), cette tendance s’inscrit dans un contexte de hausse brutale et inédite de leur taux de chômage. Fin 2009, ce chiffre atteignait 24,2 % pour les actifs de 15 à 24 ans. Outre les destructions générales d’emploi, le fort taux de chômage des jeunes est dû aussi à leur plus grande vulnérabilité à la situation économique.

L’emploi des jeunes sert de variable d’ajustement à la crise, ce qui s’explique notamment par la proportion importante de contrats temporaires parmi cette population (30 % contre 12 % pour l’ensemble des salariés, selon la Dares). Or ces contrats, et en particulier l’intérim, sont les premiers à être supprimés quand l’activité baisse.

Aujourd’hui, les recrutements de jeunes diplômés semblent reprendre, timidement. Une enquête de l’Afij (Association pour faciliter l’insertion professionnelle des jeunes diplômés) du 14 octobre montre que, un an après la fin de leurs études, 55 % des diplômés de 2009 sont en emploi. Mais ils se retrouvent en concurrence avec les diplômés 2010, titulaires de titres “plus frais”. De plus, l’Afij relève « le caractère non linéaire structurel des parcours d’insertion de la majorité des jeunes diplômés, qui font souvent des allers-retours entre période d’emploi et périodes de chômage avant d’accéder à l’emploi stable »; 65 % des sondés ont occupé un CDD depuis l’obtention de leur diplôme.

Situations variables entre diplômés et non-diplômés

Alors, les jeunes d’aujourd’hui seront-ils la génération sacrifiée de demain, comme le scandent les manifestants ? Stéphane Jugnot, chercheur au Céreq, relativise : « Attention à ne pas généraliser ! Les situations sont très variables entre les diplômés et les non-diplômés. Ces derniers – qui représentent un jeune sur six – connaissent de réelles difficultés en alternant chômage et contrats courts. En revanche, trois ans après la fin de leurs études, les diplômés sont majoritairement en emploi, et souvent en CDI, même si le temps de leur insertion est plus ou moins long selon la conjoncture. » De fait, d’après la Dares, le taux de chômage des 15-29 ans issus des zones urbaines sensibles, « où les jeunes sont moins diplômés et plus souvent issus de milieux sociaux défavorisés », frôle les 30 %.

La piste de l’alternance

Pour accélérer l’accès des jeunes à l’emploi, les négociateurs qui plancheront sur le sujet auront donc fort à faire. Quelques pistes sont déjà évoquées. Dans un entretien aux Echos, Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil d’orientation pour l’emploi, propose ainsi la création d’emplois aidés en alternance dans le secteur public. Le Centre des jeunes dirigeants défend lui aussi l’alternance, « qui permet une réelle expérience de l’entreprise », remarque Jérôme Lefèvre, coanimateur de la commission jeunesse. Mais il déplore que l’aide à l’embauche des jeunes en alternance prenne fin au 31 décembre.

L’alternance n’est pourtant pas une formule magique : « Beaucoup pensent qu’il suffit de s’inscrire dans un organisme de formation pour décrocher un contrat, remarque Corinne Cabanes, directrice régionale grand Sud du cabinet de recrutement Menway. Or, dans les faits, c’est souvent un véritable marathon pour trouver une entreprise d’accueil, car les rythmes de l’alternance ne correspondent pas toujours aux contraintes des entreprises. Cela provoque beaucoup de désillusions. » Sans compter qu’entre l’alternance et le CDI, il reste encore une marche à franchir.

Jeunes et seniors en concurrence ?

→ Le recul de l’âge de la retraite va-t-il retarder encore davantage l’entrée des jeunes sur le marché du travail ? Plusieurs économistes partagent cette analyse : « Cet effet de substitution sera d’autant plus important dans la fonction publique où les départs en retraite sont les seuls vecteurs de recrutement, prédit l’économiste Philippe Askenazy, alors que le privé gardera encore quelque temps une culture du départ anticipé. »

→ « Même si les départs en retraite ne sont pas remplacés poste pour poste, on peut s’attendre dans les cinq prochaines années à un effet « file d’attente » retardant l’entrée des jeunes dans l’emploi », confirme Eric Heyer, à l’OFCE.

→ Etienne Wasmer, professeur à Sciences Po, pense à l’inverse que « laisser les gens en activité ne prend pas l’emploi aux autres, quand une société travaille plus, cela crée d’autres débouchés ». Une analyse nuancée par Eric Heyer : « Cela peut fonctionner en période de forte croissance, mais les plans d’austérité qui sont mis en place avant même la sortie de crise ne vont pas favoriser le retour de la croissance ni de l’emploi, donc en l’absence d’une politique volontariste, le chômage des jeunes va augmenter. »

Jeunes et entreprises : je t’aime, moi non plus

Embaucher un débutant ? Pour la plupart des entreprises, cela relève quasiment de l’engagement citoyen : « Les entreprises veulent des jeunes diplômés, avec trois à cinq ans d’expérience, constate Corinne Cabanes, du cabinet Menway. Dans les shorts lists, on nous demande de sélectionner une femme, une personne handicapée, parfois un senior, mais jamais un jeune. » « Figés dans des habitudes anciennes de recrutement », d’après Patrick Lemattre, professeur à HEC, la frilosité à l’égard de la jeune génération demeure.

« L’entreprise qui a le choix ne voit pas pourquoi elle prendrait un jeune sans expérience, qu’elle devra former pendant des mois, sans être sûre qu’il va rester », résume Jérôme Lefèvre co-anima­teur de la commission jeunesse du CJD. Les employeurs privilégient donc les profils expérimentés, surqualifiés et opérationnels.

Encourager et sécuriser le recrutement

Comme le CJD, l’ANDRH est bien consciente du problème, et en a fait un thème de travail prioritaire cette année : « Nous allons identifier les éléments de blocage dans cha­que secteur et mettre en avant des bonnes pratiques afin d’encourager et de sécuriser le recrutement de jeunes en CDI », indique Michel Yahiel, son président.

Parmi les freins à l’embauche des jeunes, des éléments « cultu­rels » entrent aussi en ligne de compte. Une enquête BVA pour l’Afpa souligne un certain malentendu entre jeunes et employeurs : les jeunes pensent que le candidat idéal est avant tout expérimenté, alors que pour les DRH, les savoir-être et la motivation priment. Or, une partie des employeurs interrogés estime que le comportement des jeunes n’est pas toujours adapté au regard de la moti­vation, du respect de la hiérarchie ou du travail en équipe. Un employeur sur deux déclare avoir déjà rencontré des problèmes d’intégration dans son entreprise.

Des attentes fortes vis-à-vis de l’entreprise

Pourtant, note Catherine Glée, maître de conférence à l’IAE de Lyon 3, « les jeunes sont très impliqués dans le travail et ont des attentes fortes vis-à-vis de l’entreprise ». Ils sont sensibles à son ambiance, à son éthique, et y recherchent un épanouissement personnel. Et rapide. « Malgré la difficulté à trouver un emploi, les jeunes veulent vite évoluer et n’hésitent pas à quitter l’entreprise dès que cela ne leur convient plus », confirme Corinne Cabanes. Une exigence et une impatience qui refroidissent certains recruteurs. Pourtant, « les entreprises ont intérêt à se préparer dès maintenant à intégrer des jeunes, car le changement de génération risque d’être brutal d’ici à quel­ques années dans certains secteurs, prédit Patrick Lemattre. A défaut d’anticipation, le rajeunissement rapide des effectifs posera de gros problèmes de management ».

E. S. et M. K.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI, MARIETTE KAMMERER