logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enjeux

« La prospective des métiers permet de construire l’avenir »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 02.11.2010 | PAULINE RABILLOUX

Image

« La prospective des métiers permet de construire l’avenir »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Trop mécaniste et éloignée du travail réel, la GPEC ne suffit pas pour anticiper les changements structurels et organisationnels au long cours. La prospective des métiers, autre démarche anticipatrice, permet de mieux cerner le devenir d’une activité. Deux dispositifs qui pourraient être complémentaires.

E & C : Dans les démarches d’anticipation RH, vous distinguez la GPEC de la prospective métiers, pourquoi ?

Franck Brillet : la GPEC est dans la pratique souvent réduite à une gestion quantitative à court ou moyen termes des effectifs. Le contrôle de gestion social et les tableaux de bord constituent des outils d’analyse privilégiés pour optimiser la masse salariale. Le problème est que cette vision est réductrice. Cette démarche est trop souvent restée une technique conduisant à un excès d’instrumentation et à une désocialisation de l’organisation. Elle s’intéresse plus au travail prescrit par les référentiels d’emplois qu’au travail réel des individus sur le terrain. Elle prend rarement en compte les évolutions des métiers susceptibles d’intervenir dans des contextes économiques, sociaux et sociétaux changeants. Or, certains métiers apparaissent, d’autres disparaissent, et tous sont soumis aux équilibres mouvants de la géopolitique. Ce n’est pas dans des référentiels figés que cette évolution peut être prise en compte. Avec la meilleure intention au départ, l’obligation légale pour les entreprises de plus de 300 salariés de prévoir des dispositifs de GPEC tend paradoxalement à accroître ce biais mécaniste de la prévision.

E & C : Qu’apporte la prospective des métiers ?

F. B. : La prospective des métiers consiste à anticiper les ruptures qui peuvent intervenir, non au plan quantitatif des effectifs mais au niveau qualitatif, en réfléchissant aux métiers dont l’entreprise aura besoin demain. A cet égard, il n’est pas exagéré de dire que la notion d’emploi est dépassée, dans la mesure où, justement, l’emploi fige l’individu dans un descriptif de poste avec un certain nombre de compétences prédéterminées sans tenir compte du fait que celles-ci ne cessent d’évoluer. Il serait sain d’y substituer la notion de métier, qui se situe à la conjonction des pratiques individuelles et des évolutions sectorielles. Elle permet de prendre en compte le devenir de l’activité. Avec la prospective, il ne s’agit pas de prédire l’avenir mais davantage d’aider à le construire. Dans une perspective plus qualitative, la prospective correspond à un inventaire du champ des possibles à long terme. Elle cherche à identifier les ruptures. Peut-être d’ailleurs devrions-nous envisager la prévision et la prospective de façon complémentaire et non systématiquement opposée.

E & C : Quels sont les acteurs de la prospective métiers ?

F. B. : Il semble impossible de parler métier indépendamment des acteurs qui l’exercent : au fondement de la prospective métiers se situe donc le recueil des conditions d’exercice auprès des intéressés eux-mêmes. Cette première étape permet également de sortir du hiatus existant entre la description de poste et le travail effectué. Faire intervenir les acteurs, c’est prendre en compte la dimension temporelle dans son sens plein, puisque ceux-ci ont un parcours et sont aux premières loges des transformations. Mais il est aussi essentiel de recourir aux branches professionnelles, aux syndicats professionnels ou aux acteurs du marché de l’emploi et bien sûr aux entreprises. Les observatoires métiers en sont de bons exemples.

Le DRH, enfin, est le catalyseur indispensable aux échanges entre les dimensions micro-économique et macro-économique. La fonction de veille sur l’évolution des métiers lui incombe. Il est de sa responsabilité de porter cette vision stratégique au long cours.

Le DRH dans les grandes entreprises et le dirigeant dans les plus petites sont les plus à même d’analyser l’existant en référence au système concurrentiel dans lequel l’entreprise évolue. L’expérience montre encore trop souvent que les PME des secteurs de pointe sont en fait mieux loties que les grandes entreprises, dotées de services de prospectives parfois plus lents à se mobiliser. Dans les petites structures, le dirigeant en contact à la fois avec les salariés de terrain et les réalités économiques semble mieux percevoir les tensions existantes et être plus intéressé à leur résolution rapide.

E & C : comment le DRH doit-il intervenir concrètement ?

F. B. : Si le mot prospective fait peur, car il peut être déstabilisant, son objectif doit être partagé par tous puisqu’il s’agit de construire l’avenir.

L’implication et la participation des acteurs à cette démarche prospective est un élément important dans la reconnaissance même de l’exercice du métier. Mais avant tout, c’est au DRH de mettre en œuvre des mesures d’accompagnement et d’adaptation. Face à des métiers en transformation, en émergence ou spécifiques, il doit révéler les enjeux liés à la transmission et à la préservation des compétences. Le niveau le plus pertinent pour agir n’est d’ailleurs pas forcément celui de l’entreprise mais celui des filières et des branches professionnelles. Tirer la couverture à soi pour recruter les compétences rares rencontre très vite sa limite, si rien n’est fait pour analyser en amont les besoins et agir sur l’offre de formation.

PARCOURS

• Franck Brillet, maître de conférences en sciences de gestion, est directeur adjoint du laboratoire de recherche en management à l’université de Tours. Il est aussi directeur du master 2 management des ressources humaines et stratégie de l’entreprise.

• Ses recherches portent notamment sur la gestion des compétences, la prospective des métiers, les PME.

• Il est coauteur, avec Annabelle Hulin, dans l’ouvrage coordonné par R. Soparnot, le Management du changement, de “Anticipation des ressources humaines et changement organisationnel” (Vuibert, 2010).

LECTURES

• La prospective des métiers, L. Boyer et A. Scouarnec, EMS éditions, 2009.

• Le management des compétences, A. Dietrich, Vuibert, 2008.

• Les pratiques de prospective en gestion des ressources humaines, M. Godet, in Encyclopédie des ressources humaines de J. Allouche, Vuibert, 2006.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX