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Les pratiques

Stagiaires, des recrues presque comme les autres

Les pratiques | publié le : 26.10.2010 | ÉLODIE SARFATI

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Stagiaires, des recrues presque comme les autres

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Depuis le 1er septembre, les stages hors cursus sont, sauf exception, interdits. Un pas supplémentaire vers l’encadrement législatif du recours aux stagiaires, alors que sur le terrain, les pratiques des entreprises doivent encore évoluer.

En 2008, les stagiaires étaient environ 1,2 million en France. Mais aucune statistique plus précise ou plus récente n’existe. Un symptôme, peut-être, du voile longtemps jeté sur la situation de ces jeunes étudiants, accueillis en nombre dans les entreprises mais à des conditions pour le moins disparates, entre encadrement pédagogique réel et exploitation d’une main-d’œuvre bon marché.

Réglementation du recours aux stages

Depuis 2006, sous la pression du collectif Génération précaire, plusieurs textes de loi sont venus réglementer le recours aux stagiaires, notamment en matière de gratification. Et, en août dernier, un décret a rendu obligatoire l’intégration des stages dans le cursus pédagogique (lire encadré p. 14).

Alors, finis les stages reconduits tous les six mois, le recrutement de stagiaires déjà diplômés, ou embauchés en lieu et place de “vrais” salariés – autant de situations dénoncées sans relâche par Génération précaire ? Pas pour le collectif, qui, avec certains syndicats, critique vigoureusement les exceptions contenues dans le décret, lequel institue ni plus ni moins, selon l’Ugict-CGT, « une légalisation de la quasi-totalité des stages hors cursus ».

Le comité Sta-pro* a lui aussi accueilli fraîchement le décret. Mais, s’il existe bien des situations abusives, tempère son secrétaire général, George Asseraf, la plupart des entreprises offrent aux stagiaires de bonnes conditions d’accueil. « On est passés, ces dernières années, d’un no man’s land juridique à une réglementation relativement contraignante. Cela a permis aux entreprises qui étaient dans le flou de clarifier la situation », ajoute-t-il, espérant que le décret ira aussi dans ce sens.

Des accords pour un accueil amélioré

Certaines branches, de fait, ont conclu des accords relatifs à l’accueil des stagiaires. Comme dans les travaux publics : signé fin juin, l’accord améliore le niveau de la gratification prévue par la loi pour les stages de plus de trois mois, qui ouvrent également droit à des garanties de prévoyance complémentaire.

En 2008, ce sont les partenaires sociaux de la branche des télécommunications qui signaient un texte similaire. « La négociation de cet accord a eu une vertu pédagogique, et, si certaines entreprises pouvaient mal se comporter, elles doivent désormais appliquer un socle de garanties minimales conventionnelles », se félicite Marie Trotignon-Peyrot, de l’Unetel-RST. Rappelant que le stage « ne doit pas être assimilé à un emploi », l’accord précise entre autres qu’un étudiant ne peut être stagiaire plus de six mois dans la même année, et que le contenu du stage « doit être adapté aux études poursuivies ». Il prévoit une gratification dès le premier jour de stage, majorée en fonction de sa durée.

Un meilleur statut pour une meilleure reconnaissance ? Pour Thierry Laffond, responsable de la Banque des stages, les stagiaires ont des qualités à faire valoir, dont ils n’ont eux-mêmes pas forcément conscience : « Ils ont des savoirs actualisés et apportent à l’entreprise une certaine créativité. » Depuis quinze ans, la Banque des stages met en relation étudiants et entreprises dans le but de « faire émerger les talents avec l’objectif de passer à l’emploi après l’obtention des diplômes ». Mais, prévient-il, « nous ne sommes pas là pour proposer du sous-prolétariat diplômé. Nous l’expliquons aux entreprises avec lesquelles nous travaillons, qui le comprennent très bien et cadrent d’ailleurs de mieux en mieux les missions qu’elles proposent aux stagiaires ».

Compétence complémentaire

Ainsi, chez Cabesto, enseigne de distribution du groupe Oxylane spécialisée dans l’univers de la mer, à chaque stage correspond un projet, indique Aurélie Mole, responsable de la formation et du recrutement. « Les stagiaires ne sont pas là pour remplacer les commerciaux, mais ils apportent une compétence supplémentaire, que nous n’avons pas en interne, sur une mission bien spécifique. » Au stagiaire, par exemple, de développer des vidéos autour de recettes marines. Les étudiants sont pris en charge par des tuteurs, qui « assistent à la soutenance du rapport de stage ». Cabesto recrute de plus en plus ses anciens stagiaires, remarque Aurélie Mole, elle-même passée par cette expérience. De fait, le stage reste une voie incontournable d’accès à l’emploi.

Une voie vers l’emploi

A la Société générale, « plus d’un jeune embauché sur deux est un ancien stagiaire, volontaire international en entreprise (VIE) ou alternant, indique Laurence Lavanant, responsable des relations écoles et du prérecrutement de la banque. Et 40 % des VIE sont des stagiaires qui, de plus en plus, veulent une expérience à l’international avant d’être embauchés en CDI ». Les stagiaires sont encadrés par des “maîtres de stage” volontaires. Une évaluation est systématiquement établie, parfois un bilan à mi-parcours. « Le stage permet aux jeunes de monter en compétences, et à nous de sécuriser le recrutement si besoin », ajoute-t-elle.

Chaque année, la Société générale – qui recrute également un millier d’alternants par an – accueille environ 1 500 stagiaires de niveau bac + 4 ou plus (rémunérés 1 000 à 1 700 euros par mois) pour des stages de six mois et plus, et 3 500 bac à bac + 3 pour des stages plus courts, indique Laurence Lavanant. Des chiffres stables, assure-t-elle, alors que Génération précaire dénonce de son côté une inflation de stages dans les banques en général, et à la Société générale en particulier.

Quoi qu’il en soit, la frontière entre stage et emploi semble rester parfois bien poreuse. Pour Ophélie Latil, porte-parole de Génération précaire, « les pratiques ont encore dégénéré avec la crise, et on voit des offres d’emploi ressortir en offres de stage ». Mi-octobre, le collectif citait en exemple une annonce de Virgin Mobile, qui recherchait « un(e) jeune diplômé(e) de 3e cycle » en droit ; ou encore celle de Norauto, qui voulait accueillir un « stagiaire vendeur » amené à « gérer le traitement des flux de marchandises des familles de produits qui seront sous [sa] responsabilité ». Et les premières expériences font souvent partie des prérequis pour prétendre à ce qui, en principe, constitue une mise en pratique de ses connaissances théoriques.

Des requalifications en CDI

Toutefois, le risque juridique existe à trop (ab)user des stagiaires. Une exigence de rendement ou un lien de subordination trop fort peuvent entraîner la requalification en CDI. C’est d’ailleurs ce que demande aux prud’hommes un ex-stagiaire de LCL, embauché après quatorze mois de stage, et remercié juste avant la fin de sa période d’essai – jugement attendu fin octobre. En septembre 2006, le TGI de Paris a condamné un employeur pour travail dissimulé, relevant que les stagiaires étaient soumis aux horaires de l’entreprise et à des délais d’exécution, tout en n’ayant reçu aucune formation pratique.

Mais, au-delà des sanctions judiciaires, c’est aussi le rapport des jeunes au monde du travail qui se joue à travers l’accueil des stagiaires, insiste Ophélie Latil : « Quand un jeune enchaîne les stages, que l’employeur lui fait miroiter une embauche avant de le remplacer par un autre stagiaire, le rapport à l’entreprise s’émousse. Ce genre d’expérience crée un sentiment d’irrespect, de défiance, et sape le rapport au travail. »

* Le Comité des stages et de la professionnalisation des cursus universitaires, mis en place par Valérie Pécresse en 2007, réunit notamment des représentants de syndicats de salariés et d’étudiants, d’entreprises, d’établissements d’enseignement supérieur, des personnalités extérieures…

L’essentiel

1 Depuis 2006, l’accueil des stagiaires en entreprise fait l’objet de diverses réglementations ; les stages hors cursus sont en principe interdits depuis le 1er septembre dernier.

2 Sur le terrain, les pratiques évoluent pour améliorer le statut et l’accueil des stagiaires, qui constituent un vivier de prérecrutements pour certaines entreprises.

3 Mais la confusion avec l’emploi persiste ; or, abuser des stagiaires n’est pas exempt de risques juridiques et fausse la relation des jeunes au monde du travail.

Ce que dit la loi

La loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, puis celle du 24 novembre 2009 sur la formation professionnelle ont réglementé le recours aux stagiaires :

→ Une gratification minimale, fixée à 12,5 % du plafond de la Sécurité sociale (soit 417 euros), est obligatoire pour tout stage de plus de deux mois.

→ Depuis le 1er septembre, les stages en entreprise doivent être obligatoirement intégrés à un cursus pédagogique. Le décret du 25 août 2010 prévoit cependant des exceptions. C’est le cas des stages : « permettant une réorientation » par exemple des étudiants décrocheurs ; organisés dans le cadre de formations « destinées à favoriser des projets d’insertion professionnelle » ; ou se déroulant lors de « périodes pendant lesquelles l’étudiant suspend temporairement sa présence dans l’établissement » (les années de césure par exemple). Dans ce dernier cas de figure, « en complément de la convention de stage, l’établissement d’enseignement et l’entreprise concluent un contrat pédagogique ».

→ La « finalité » et les « modalités » du stage « sont définies dans l’organisation de la formation ; ils font l’objet d’une restitution de la part de l’étudiant donnant lieu à évaluation de la part de l’établissement de formation ».

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI