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Enquête

Le nouveau chantier de la parité

Enquête | publié le : 26.10.2010 | EMMANUEL FRANCK

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Le nouveau chantier de la parité

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

La future loi sur le quota de femmes dans les conseils d’administration des entreprises ouvre un nouveau dossier pour les DRH. Ces derniers vont en effet devoir alimenter le vivier de potentielles administratrices. Les politiques mises en place pour féminiser les instances dirigeantes semblent efficaces.

Une page se ferme, une nouvelle s’ouvre dans le traitement des inégalités entre les femmes et les hommes au travail. Adoptée à l’Assemblée nationale au début de l’année, la proposition de loi relative à la “représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance” sera discutée au Sénat le 27 octobre.

Dans la version des députés, les conseils d’administration (CA) et de surveillance des sociétés cotées ne peuvent pas comporter moins de 40 % d’administrateurs du même sexe, sous peine d’annulation des nominations hors quota. Les entreprises disposeront de six ans pour atteindre cet objectif et de trois ans pour parvenir à une proportion de 20 %.

Dans le même temps, les obligations des entreprises en matière d’égalité salariale s’assouplissent. Un article de la réforme des retraites annule ainsi l’objectif de suppression des écarts de salaire entre les femmes et les hommes d’ici à fin 2010, prévu dans la loi de mars 2006 sur l’égalité salariale et promis par Nicolas Sarkozy.

1 100 administratrices dans les cinq ans

De la réalisation de l’égalité de rémunération pour toutes à la recherche de la mixité dans des instances décisionnaires mais minoritaires, l’égalité professionnelle gagne-t-elle au change ? Rachel Silvera, membre du Mage (marché du travail et genre) du CNRS, par ailleurs proche de la CGT, a beau être favorable aux quotas dans les CA, elle craint que l’abandon de l’échéance de fin 2010 ne brise la dynamique de négociation enclenchée par les différentes lois (lire p. 29).

Quoi qu’il en soit, la proposition de loi sur les quotas ouvre un nouveau dossier pour les DRH. Si elle est adoptée, il faudra trouver 1 100 administratrices au cours des cinq prochaines années, calcule Caroline Weber, directrice générale de Middlenext, une association représentant les valeurs moyennes cotées sur Euronext et Alternext.

Certes, la mixité des conseils d’administration concerne moins directement les DRH que l’obligation d’aboutir à un accord ou à un plan unilatéral pour l’égalité professionnelle : les DRH n’ont pas voix au chapitre dans la composition d’un conseil d’administration, qui relève du Code du commerce. Certes, également, l’ouverture des grandes écoles aux femmes augmentera mécaniquement la proportion de femmes éligibles à l’administration des entreprises. Certes, enfin, les entreprises pourront toujours faire appel à des “cumulardes” pour atteindre leur quota, au lieu d’élargir leur conseil à de nouvelles administratrices.

Mais, à terme, il faudra bien agir pour augmenter la taille du vivier de femmes susceptibles d’entrer dans les CA. Ce qui, pour le coup, relève de la compétence des DRH. C’est en tout cas l’hypothèse de l’Institut français des administrateurs (IFA) et de l’Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (Orse). Dans un rapport conjoint, publié en septembre 2009 et consacré à la “représentation des femmes dans les organes de gouvernance d’entreprise”, l’IFA et l’Orse prévoient que la réalisation du quota de femmes dans les CA se fera en deux temps.

Développer l’offre

Lors d’une phase de transition, les acteurs cherchent simplement à répondre à la demande de nouvelles administratrices en puisant dans le vivier existant. Puis, dans une seconde phase, plus longue, il s’agit de développer l’offre, en sollicitant des femmes moins expérimentées et donc plus jeunes. « Dans cette optique, les acteurs traditionnels de l’entreprise, notamment les managers, et aussi les directions de ressources humaines, ont un rôle fondamental à jouer, à condition aussi que les femmes deviennent à part entière les propres acteurs de leur devenir et se saisissent de leurs futures opportunités de parcours professionnel », relèvent les auteurs du rapport.

“Lady boom”

Actuellement, les entreprises françaises sont dans la première phase. Anticipant sans doute la loi sur les quotas, leurs conseils d’administration connaissent en ce moment, selon l’expression de l’agence de communication financière Capitalcom, un “lady boom” qui fait le bonheur des cabinets de chasse de têtes (lire ci-dessous). Selon le dernier tableau de bord de l’European professional women’s network, publié au mois d’octobre, la proportion de femmes dans les CA des 56 entreprises françaises les plus capitalisées est passée de 7,6 % en 2008 à pratiquement 12 % en 2010. Une belle progression, même si les deux tiers du chemin restent encore à parcourir pour atteindre le seuil intermédiaire de 20 %.

Cependant, relève le cabinet Russel Reynolds Associates, coauteur du tableau de bord, 3 administratrices sur 5 entrées dans les conseils du CAC 40 en 2010 sont des étrangères. Il faut donc développer le vivier français.

Pour d’autres raisons, mais qui servent objectivement la mixité des CA, certaines entreprises se sont déjà impliquées en faveur de la promotion des femmes dans les instances dirigeantes. Leur motivation est principalement de diversifier l’encadrement supérieur et de gérer les talents, dans une perspective d’égalité de traitement et de création de valeur. En tout cas, aucune n’envisage la progression des femmes comme un moyen de promouvoir un hypothétique style managérial féminin, que Christine Lagarde, ministre de l’Economie, dans une récente interview au Monde, définit ainsi : « Plus participatif, plus inclusif, plus respectueux, plus lent parfois. »

Trois leviers d’action

Stéphanie Mateos, directrice de projets au cabinet de conseil en management Korda & Partners, intervient auprès d’entreprises qui veulent favoriser la progression des femmes dans les instances dirigeantes. Elle constate que les entreprises actionnent trois leviers.

Le premier consiste à agir sur la culture d’entreprise, via des formations à la diversité et une organisation du travail plus flexible (télétravail, horaires de réunions…). Le deuxième porte sur les processus RH de recrutement et de promotion, ainsi que sur l’identification des hauts potentiels. C’est ce que font, par exemple, Bouygues Immobilier, France Télécom, Total ou Air Liquide (lire p. 24, 25 et 28). Enfin, et c’est la tendance du moment, de plus en plus d’entreprises cherchent à “libérer le potentiel des femmes” en développant, à l’instar d’Auchan, d’Allianz (lire p. 26 et 27) ou de Renault, les réseaux de femmes, le mentorat et le tutorat. « Cela n’est pas suffisant », prévient toutefois Stéphanie Mateos. Une réelle promotion des femmes dans les plus hautes instances « suppose de les faire monter à tous les niveaux »; en outre, le projet doit être « défendu par la DG, sponsorisé – idéalement par un homme –, ciblé, et suivi dans la durée ».

Objectifs chiffrés

Bien plus sûres d’elles que sur le dossier de l’égalité salariale, certaines entreprises se fixent des objectifs chiffrés et des échéances pour augmenter la proportion de femmes dans l’encadrement supérieur. France Télécom veut atteindre 35 % en cinq ans ; Allianz vise 30 % mais sans échéances ; et Lafarge 20 % d’ici à 2012. Contrairement à l’égalité salariale, la mixité des instances dirigeantes a ceci d’encourageant qu’elle se mesure beaucoup plus facilement. Ainsi, la proportion de femmes parmi les hauts potentiels de Total a progressé de 4 points en quatre ans ; et de 16 points en sept ans à Air liquide. En revanche, Lafarge n’atteindra pas son objectif dans les délais. Et il est trop tôt pour faire un pronostic pour France Télécom et Allianz.

L’essentiel

1 Les conseils d’administration des entreprises cotées devraient bientôt compter une proportion minimale de femmes : 20 % puis 40 %.

2 Il reviendrait alors aux DRH d’alimenter le vivier dans lequel les entreprises puiseront ces administratrices.

3 Après l’abandon de l’objectif d’égalité salariale d’ici à fin 2010, la mixité dans les conseils d’administration marque un changement de politique dans le traitement des inégalités hommes-femmes.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK