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Le droit à l’image des salariés

Enjeux | Chronique juridique par AVOSIAL | publié le : 26.10.2010 |

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Le droit à l’image des salariés

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Lorsque le “droit à l’image”est évoqué, on pense spontanément aux magazines people qui publient des photographies de vedettes prises à leur insu. Les tribunaux affirment toutefois depuis des années que tous les individus, célèbres ou inconnus, ont par principe droit au respect de leur vie privée et de leur image. En pratique, l’activité professionnelle est tout de même prise en compte, notamment dans l’évaluation des dommages-intérêts, et la vedette qui monnaie régulièrement son image peut espérer une indemnité plus conséquente que le simple quidam dont l’employeur a utilisé l’image sans en avoir obtenu l’accord exprès et préalable. Au-delà de cette constatation, on peut se demander si les règles dégagées par la jurisprudence sur le droit à l’image s’appliquent de la même façon aux salariés qu’aux personnes dont l’image est captée à leur insu hors de toute relation de travail. Autrement dit, y a-t-il des règles spécifiques qui s’appliqueraient lorsque l’image est captée et utilisée dans le cadre d’une relation de travail ?

L’analyse de la jurisprudence permet de distinguer deux catégories de salariés : ceux dont la fonction est liée à l’image et les autres. Les problématiques soulevées sont assez différentes, car un artiste-interprète doit naturellement s’attendre à ce que son employeur exploite son image, ce qui n’est pas forcément le cas d’un employé de laboratoire, par exemple (1).

Pour les salariés dont la fonction est liée à l’image, l’employeur aura en général prévu l’exploitation de l’image dans un contrat, le contrat de travail ou un contrat spécifique, voire dans un accord collectif. La question qui se pose alors se limite à celle de la validité, de l’interprétation ou de l’effet de ce contrat ou de cet accord collectif. En revanche, pour les salariés dont la fonction n’est pas liée à l’image, le contrat de travail est en général muet, et l’employeur qui n’aura pas pris soin de faire signer une autorisation spécifique risque de devoir indemniser le salarié dont il utilise l’image.

La cour d’appel de Versailles a affirmé en 1990 que « chaque individu conserve la maîtrise de sa personne et de son image et que toute publication, même à l’occasion d’une interview dans le cadre professionnel, ne peut être publiée avec la photographie de l’intervie­wé qu’avec son autorisation, laquelle doit être appréciée au regard des circonstances dans lesquelles elle a été donnée » (2). Dans cette affaire, un reportage à des fins publicitaires avait été réalisé dans l’entreprise et publié deux mois plus tard dans le quotidien Les Echos sur une période de dix jours. Il se trouve que le licenciement du salarié était intervenu précisément au moment de la publication dans un contexte particulièrement conflictuel, avec dépôt par l’employeur d’une plainte pour destruction de données informatiques. La cour a relevé le caractère particulièrement conflictuel des relations et a alloué au salarié 50 000 francs de dommages-intérêts pour le préjudice “moral” résultant de l’utilisation de son nom et de son image.

Et la même cour de Versaillesa alloué 1500 euros pour réparer le dommage qualifié, là encore, de “moral”, suite à la diffusion de prospectus publicitaires reproduisant la photographie du visage d’une salariée qui avait été licenciée (3). La cour relève que le contrat de travail ne contenait aucune clause particulière et qu’il appartenait à l’employeur de rapporter la preuve qu’il avait obtenu l’autorisation de la salariée, preuve qu’il ne rapportait pas en l’espèce.

On citera enfin un cas un peu exceptionnel, dans lequel le droit à l’information a été invoqué pour faire échec, avec succès, aux prétentions du salarié. La Comédie française était en litige avec un comédien qu’elle avait exclu. Ce comédien, dont la photographie apparaissait toujours sur le site Internet de la Comédie demandait une indemnisation. La cour d’appel de Paris a refusé de la lui accorder, considérant que le public avait un intérêt légitime à être informé sur l’ensemble des comédiens engagés par l’établissement et que, compte tenu de l’intérêt documentaire en cause, le fait que ce comédien ait cessé de faire partie de la Comédie française était sans incidence (4). Cette décision en faveur d’une vieille et honorable institution publique reste aujourd’hui tout à fait isolée.

En conclusion,les tribunaux appliquent à l’image des salariés les mêmes règles que celles qui sont appliquées en dehors d’un contexte de relation de travail. Les entreprises qui utilisent des photographies de leurs salariés pour leur communication interne ou externe doivent donc veiller à obtenir des consentements préalables, exprès et spécifiques.

Catherine Muyl est avocate au cabinet Morgan, Lewis & Bockius, membre d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.

(1) Nous avons exclu volontairement du champ de cette étude les mannequins professionnels.

(2) CA Versailles 8 octobre 1990, 1re ch., SA Laboratoires UPSA c/Maiti (Navis, série N, Contrat de travail, n° 39080, éditions Francis Lefebvre RJS 1991 – n° 1287 – Décembre – Contrat de travail).

(3) CA Versailles 11 mai 2004 n° 03-3256, 6e Ch, Mata c/GIE Aral (Navis, série N, contrat de travail, n° 39090 ; RJS 12 : 91 n° 1287) ; cette jurisprudence n’est pas uniquement versaillaise ; voir dans le même sens CA Grenoble 27 janvier 2003 n° 99-4102, ch. soc., SA La Boîte à outils c/Maraine (Navis, série N, contrat de travail, n° 39100).

(4) CA Paris 18e chambre section D, 7 décembre 2004 n° S 04/34703, La Comédie française c/B. Putzulu.