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« La culture de la préretraite reste très ancrée »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 26.10.2010 | CHRISTIAN ROBISCHON

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« La culture de la préretraite reste très ancrée »

Crédit photo CHRISTIAN ROBISCHON

Le bilan des accords ou plans d’actions seniors dans les entreprises est très mitigé, les textes se limitant souvent à énumérer les obligations légales. Pendant ce temps, les départs anticipés continuent à faire florès en raison de dispositifs de contournement, malgré l’extinction officielle des préretraites publiques.

E & C : Le sujet de l’emploi des seniors a-t-il été l’occasion d’une ample négociation dans les entreprises ?

Tiphaine Garat : Pas vraiment. Sur les 33 900 textes recensés en France en septembre 2010 – auxquels s’ajoutent 80 accords de branche –, seul un tiers sont des accords en bonne et due forme, le reste consiste en des plans d’actions sans signature des partenaires sociaux. Deux cas de figure se sont présentés : l’échec réel de la négociation et le recours au plan par manque de temps pour conclure avant l’échéance du 31 décembre 2009 et échapper de la sorte à la pénalité financière – égale à 1 % de la masse salariale. Cette date – prolongée au 1er avril 2010 pour les PME de moins de 300 personnes – ne laissait que peu de temps à la négociation, compte tenu de la sortie en mai 2009 du décret d’application. De plus, le gouvernement n’a pas attribué de “prime” au dialogue social, car les deux textes ont la même valeur juridique.

E & C : Les accords peuvent-ils contribuer à remonter le taux d’emploi des seniors ?

T. G. : Je ne le pense pas. Le contenu des textes, souvent peu ambitieux, se limite à énumérer des obligations légales. Et les objectifs chiffrés sont très modestes. L’Institut du travail a analysé dans le détail 86 accords ou plans en Alsace, panel qui nous semble représentatif de la situation nationale. Les entreprises se sont engagées, au mieux, à maintenir leur taux actuel de plus de 50 ans. Parmi les trois engagements sur l’emploi des seniors, à choisir parmi une liste de six*, le recrutement a été le moins utilisé, si ce n’est pour la réembauche d’anciens salariés dans le cadre d’un cumul emploi-retraite, afin de pallier un surcroît d’activité temporaire ou des baisses d’effectif pendant les congés.

La mesure la plus utilisée a été l’anticipation de l’évolution de carrière via l’entretien de seconde partie de carrière. Rien d’extraordinaire : la loi le rend obligatoire. Le seul mérite est d’avoir incité les entreprises qui se montraient réticentes à le mettre en œuvre. Egalement très sollicité, l’aménagement des fins de carrière se traduit par des passages à temps partiel, la mise en place des comptes épargne temps… Le chapitre conditions de travail a donné lieu aux avancées les plus intéressantes : sollicitation accrue du médecin du travail ou travail sur l’ergonomie des postes. Néanmoins, rien n’est prévu pour contrôler la mise en œuvre des accords ou des plans.

E & C : Les préretraites déguisées sont-elles encore légion ?

T. G. : Oui. En France, la culture de la préretraite, vieille de trente ans, reste très fortement ancrée. Elle fait l’objet d’un consensus fort dans les entreprises, au-delà des discours de façade des politiques et des confédérations patronales comme syndicales. L’âge reste une variable d’ajustement des effectifs. Les lois des dernières années entraînent l’extinction des mesures officielles : Cats, FNE, PRP, qui n’ont concerné que 7 000 entrées en 2009, dix fois moins qu’en 1999. Mais les dispositifs de contournement se multiplient, avec l’inconvénient de leur insécurité juridique. Les préretraites maison appartiennent à cette catégorie. Leur forte taxation – à 50 % depuis 2008 – n’a pas empêché leur poursuite. C’est dire combien ses adeptes, les grandes entreprises en général, considèrent leur “avantage” comme supérieur à leur coût. Viennent ensuite les plans de départ volontaire. Leur logique rejoint celle des préretraites maison, à la différence que leur coût est partagé par la collectivité. Ils érigent de fait Pôle emploi en cofinanceur des préretraites.

La rupture conventionnelle, elle, se développe à plein régime. Elle offre une alternative moins rude au licenciement négocié pour faute. Cette pratique, qui n’était pas exceptionnelle, était souvent extrêmement mal vécue par le salarié qui se voyait remercié après quarante ans de carrière pour un motif disciplinaire, même s’il était fictif. Concernant la mise à la retraite d’office, toutes les branches avaient négocié la possibilité pour l’employeur de mettre un salarié bénéficiaire du taux plein à la retraite avant 65 ans. Le gouvernement a alors instauré une procédure beaucoup plus restrictive à compter du 1er janvier 2010. En prévision, les mises à la retraite se sont multipliées dans les deux mois précédents.

E & C : Comment analysez-vous le choix dans la réforme des retraites de traiter au cas par cas la prise en compte de la pénibilité pour avancer l’âge de départ ?

T. G. : La logique individuelle vient après l’échec des partenaires sociaux à traiter le sujet collectivement, au bout de trois ans de discussion. Le gouvernement introduit un élément objectif, en rattachant à la pénibilité la reconnaissance d’une incapacité. Sauf que le taux retenu de 20 % est excessivement élevé : dans la pratique, il correspond par exemple à une hernie discale qui empêche de se tenir debout et droit. Dans de nombreux cas, l’incapacité de travailler est, de fait, atteinte bien en dessous de ce seuil. La nouvelle mouture de la réforme prévoit également d’accorder ce droit au salarié dont l’incapacité est comprise entre 10 % et 20 %, à condition qu’il apporte la preuve qu’il a bien été exposé à des facteurs de risques professionnels, et que cette exposition est bien à l’origine de son incapacité permanente. Cette obligation existe déjà en matière de reconnaissance des maladies professionnelles hors tableaux, et la pratique montre que c’est très dur de faire une telle démonstration. En rester à ces taux limiterait la possibilité de partir plus tôt à des salariés handicapés sérieux au sens médical. Ce serait une profonde injustice.

* Recrutement, anticipation de l’évolution de fin de carrière, amélioration des conditions de travail, développement des compétences-accès à la formation, aménagement des fins de carrière, transmission du savoir-faire.

PARCOURS

• Tiphaine Garat est ingénieure d’études à l’Institut du travail de Strasbourg. Elle est titulaire d’un DEA de droit social de l’université de Strasbourg (2004).

• Composante de l’université de Strasbourg, financé par les ministère de l’Enseignement supérieur et du Travail, l’Institut du travail réunit 10 enseignants-chercheurs en droit et économie. Il accueille chaque année 450 personnes en formation, en majorité DRH et syndicalistes.

• Elle anime notamment le site <www.dialogue-social.fr> dédié aux questions d’emploi des seniors et d’égalité professionnelle, sous l’autorité de Francis Meyer.

• Tiphaine Garat est par ailleurs présidente d’audience au tribunal du contentieux de l’incapacité de travail de Strasbourg.

SES LECTURES

• Le droit du travail nouveau, François Duquesne, Gualino, 7e édition, 2010.

• Travailler plus longtemps,Annie Jolivet, in Problèmes politiques et sociaux n° 973-974, la Documentation française, juin-juillet 2010.

• L’Atout senior, S. Collette, C. Batal, P. Carré, O. Charbonnier, Dunod, 2009.

Auteur

  • CHRISTIAN ROBISCHON