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Le CHSCT, un partenaire obligé

Enquête | publié le : 19.10.2010 | VIRGINIE LEBLANC

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Le CHSCT, un partenaire obligé

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Restructurations permanentes, émergence des risques psychosociaux, les CHSCT sont aujourd’hui très sollicités pour préserver la santé des salariés. Les juges sont également intervenus pour renforcer leur position. Comment les employeurs font-ils face à la montée en puissance du CHSCT ? Au-delà des affrontements inévitables, des directions tentent de travailler avec l’instance le plus en amont possible des projets.

Un an après l’injonction du ministre du Travail à négocier sur le stress, le coup de projecteur porté sur les risques psychosociaux a renforcé la position du CHSCT dans les entreprises. Et de nombreux rapports récents ont tous mis en avant son rôle majeur : rapport Lachmann-Larose-Pénicaud sur le bien-être et l’efficacité au travail ; rapport Copé sur la prévention de la souffrance au travail ; rapport de la mission sénatoriale sur le mal-être au travail. Autre signe : la fonction publique a transformé son ancien CHS en CHSCT, pour y adjoindre la dimension des conditions de travail(1). « Il y a quelques années, le CHSCT était la dernière roue du carrosse dans bon nombre d’entreprises ; aujourd’hui, il est devenu une instance plus stratégique, il intervient sur les problématiques de risques psychosociaux, et on voit des DRH ou des DG le présider à la place des responsables immobiliers ou sécurité », constate Martin Richer, directeur général du cabinet d’expertise Secafi. Indicateur supplémentaire du développement de l’activité de l’instance : la croissance générale du nombre d’expertises CHSCT, passé de 219 en 2007 à 359 en 2008, et à environ 500 en 2009, pour 24 000 CHSCT recensés.

« Il a un réel pouvoir d’ingérence, un droit d’investigation, et s’il crie au loup et qu’il s’avère avoir raison, la direction qui n’aurait pas suivi son avis verra sa responsabilité engagée », avertit Jean-Claude Delgènes, directeur du cabinet d’expertise Technologia. « Lorsqu’on lit le Code du travail, on est effaré devant les tâches que les CHSCT ont à remplir », s’exclame Pierre Bouaziz, avocat au cabinet Bouaziz Benamara (lire encadré ci-dessus).

Le CHSCT est notamment consulté avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail. Ce concept de projet « important » est laissé à l’appréciation des juges du fond. « Nous nous battons sur cette notion difficile à appréhender. La jurisprudence est fluctuante sur ce point, un projet ne concernant qu’une infime minorité de personnes peut parfois être considéré comme important : il convient de comprendre le projet dans son ensemble pour décider de son ampleur », souligne Anne-Bénédicte Voloir, avocate associée chez Capstan. Toutefois, la Cour de cassation a récemment annoncé vouloir renforcer son contrôle afin d’éviter « des interprétations trop variées »(2).

Pour un déménagement, en général, le doute n’est pas permis (lire p. 27). « L’introduction de nouvelles technologies, des changements de logiciel et des modifications impactant la part variable des salaires peuvent aussi être considérés comme des projets importants », complète Aymeric Hamon, avocat associé en droit social chez Fidal. Le changement d’un logiciel de messagerie électronique introduisant une fonctionnalité nouvelle d’agenda partagé est ainsi un projet important. Appuyés par l’interprétation des tribunaux, les CHSCT hésitent de moins en moins à se saisir de leurs prérogatives. Avec la jurisprudence Mornay (lire p. 24) élargissant la consultation du CHSCT avant la mise en place d’un système d’évaluation, les CHSCT se sont engouffrés dans la brèche. On ne compte plus les procédures dénonçant les dangers sur la santé mentale des salariés des systèmes d’évaluation incluant des critères comportementaux ou des notations forcées.

Non seulement le CHSCT est pertinent pour intervenir sur un acte de management par excellence, mais « avec l’arrêt Snecma, le CHSCT a la capacité de stopper un projet de réorganisation dès lors qu’il démontre qu’il existe un danger pour la sécurité et la santé des salariés, observe Martin Richer. Cette décision a radicalement changé la donne car elle incite les employeurs à établir un dialogue constructif avec leurs CHSCT ».

Chez GSK, en restructuration permanente, les CHSCT se battent pour préserver la santé de ceux qui restent, et ont même réussi à préserver quelques emplois (lire p. 26). « En cas de licenciement économique, la procédure est très balisée et ne prévoit pas d’information consultation du CHSCT, explique Aymeric Hamon. Beaucoup de réorganisations n’emportent pas nécessairement de modifications de l’environnement de travail. Faut-il alors que l’employeur prévoie une réunion pour ne pas prendre de risques ? Il peut y avoir intérêt tant que le projet est encore amendable. Une action en référé pour délit d’entrave peut suspendre le processus, or le glissement de calendrier est le premier risque que les employeurs souhaitent éviter. Plus généralement, les entreprises auraient à gagner à associer les représentants du CHSCT plus en amont de leurs décisions, notamment sur la rédaction du document unique. »

L’organisation du travail en cause

Pascal Vitte, secrétaire SUD du CHSCT de l’Unité d’assistance technique (UAT) Ile-de-France, et président de l’observatoire du stress et des mobilités forcées chez France Télécom-Orange, rappelle ainsi qu’en 2008, après que plusieurs collègues eurent “craqué”, une commission d’enquête et d’analyse avec quatre membres du CHSCT et un préventeur avait été créée. Des éléments d’organisation du travail ayant été identifiés comme étant à la source de ces décompensations, « ils ont été intégrés comme facteurs de risques dans le document unique, et cela a ouvert un débat qui n’existait pas avant », constate-t-il. Le CHSCT de la Caisse d’épargne Languedoc-Roussillon a décidé, lui, d’être moteur dans la construction avec la direction d’une démarche de prévention des risques psychosociaux (lire p. 25).

Démarches préventives

Pascal Magnien, DRH de RTE, a choisi par voie d’accord collectif de se doter de deux instances supplémentaires pour éclairer les débats en amont, avant que les sujets ne fassent l’objet d’avis formels : sept comités régionaux de coordination, qui ne se substituent pas aux 57 CHSCT et à un comité national santé et sécurité présidé par le DRH.

Le comité national a pu s’emparer, via un vote du CCE, du pilotage d’une expertise sur les relations avec la sous-traitance réalisée par Secafi. La direction se dit d’ailleurs prête à financer une expertise par an à la demande de ce comité. « Les demandes d’expertises locales à la suite d’accidents chez nos sous-traitants étaient mal vécues par le management et elles bloquaient les chantiers. Lancer une enquête nationale a permis de s’engager dans la voie du dialogue et d’éviter la fuite en avant des expertises tous azimuts. Avant même la remise du rapport, les acheteurs avaient déjà changé leur comportement pour prendre davantage en compte les exigences de sécurité », se félicite Pascal Magnien.

Une démarche constructive passe aussi par une meilleure information des élus : « Un dialogue équilibré n’est possible que si les documents pour se prononcer sont fournis à temps, remarque Pierre Bouaziz. Organiser des réunions préalables de remise des documents serait pertinent, syndicats et direction pouvant chacun venir avec leurs experts, cela permettrait d’apaiser les rapports sociaux. »

Meilleure information, et meilleure formation. « Une fois élus, les membres du CHSCT ont droit à une formation initiale de base. Il faut attendre deux mandats pour qu’ils puissent bénéficier d’une nouvelle formation plus ciblée, alors que les risques professionnels sont de plus en plus complexes, souligne Jean-Louis Vayssière, expert CHSCT au sein du cabinet Syndex. La formation continue des CHSCT reste à construire, notamment dans les PME. »

Comprendre des réalités hétérogènes

Pour l’Anact, il n’y a d’ailleurs pas qu’un seul concept de CHSCT. Et, à l’occasion des 30 ans du CHSCT en 2012, « nous préparons un projet pour mieux comprendre les réalités hétérogènes de cette instance, identifier comment elle investit le champ des conditions de travail, annonce Catherine Pinatel, chargée de mission à l’Aract Languedoc-Roussillon, pilote du groupe de travail “outiller les CHSCT et les DP”. Après une investigation sur le terrain, nous allons construire des outils pour les différents acteurs au sein des instances, représentants des salariés et directions, puis les transférer ».

(1) L’accord sur la santé et la sécurité au travail du 20 novembre 2009 a été signé par la quasi-totalité des syndicats représentatifs de la fonction publique (CFDT, FO, Unsa, CFTC, CGC, CGT et FSU).

(2) Commentaire de Laurence Pécaut-Rivolier, magistrat à la Cour de cassation, dans Droit social (septembre-octobre 2010), décision du 30 juin 2010, CHSCT France Télécom.

L’essentiel

1 Consulté sur les modifications “importantes” des conditions de travail, le CHSCT est doté d’un vaste champ d’action.

2 Depuis trois ans, nombre d’élus confortés par les juges contestent des systèmes d’évaluation fondés sur des critères comportementaux.

3 Pour anticiper les situations conflictuelles, des juristes incitent les entreprises à dialoguer avec les élus avant la mise en œuvre de leurs projets. Reste à améliorer la formation de tous les participants.

France Télécom renforce le rôle des CHSCT

Parmi les multiples mesures du contrat social envoyé aux 102 000 salariés de France Télécom et présenté aux organisations syndicales par Bruno Mettling, DRH, courant septembre figure le renforcement du rôle des CHSCT. Engagement déjà acté dans un accord du 6 mai 2010 sur le fonctionnement des IRP, signé par les syndicats CFDT, CFE-CGC Unsa, CFTC, SUD. Il s’agit d’« être plus en situation de dialogue que nous l’avons été dans le passé », reconnaît un porte-parole de la direction.

L’objectif est de « renforcer leurs moyens. Cela passera aussi par des échanges plus intenses en amont des projets », poursuit la direction. A cette fin, l’accord a permis d’augmenter le temps de préparation des élus (quatre heures pour les CHSCT et une journée pour le CNSHSCT). Des mesures sont également prises pour faciliter une meilleure coordination entre les CHSCT sur un même site.

Les 350 CHSCT de l’entreprise avaient été en première ligne des remontées d’informations sur la souffrance au travail, dès 2005, rappelle Philippe Méric, délégué syndical de Sud-PTT et membre du CNSHSCT. En 2007, l’observatoire du stress et des mobilités forcées créé par SUD et la CFE-CGC a centralisé ces informations et recensé les cas de suicide.

La Direction générale du travail (DGT) sonde l’activité des CHSCT

→ La DGT a lancé un questionnaire sur le site www.travailler-mieux.gouv.fr, entre janvier 2009 et mai 2010, afin de mieux connaître la réalité de l’activité des CHSCT. Les résultats ne s’appuient donc pas sur un échantillon statistiquement représentatif, mais il a réuni 2 091 réponses (seulement 6 % de la part des présidents). Ce sont surtout les grandes entreprises qui ont répondu (41 % de répondants pour les structures de 500 salariés et plus).

→ Dans 62 % des entreprises, le document unique est mis à jour au moins annuellement et dans 65 % des cas, le CHSCT a été impliqué.

→ 59 % des répondants indiquent qu’il existe une politique de prévention formalisée dans l’entreprise, mais 32 % affirment qu’il n’y en a pas. Selon la DGT, il faut en faire un axe de travail.

→ L’analyse d’accidents du travail et de maladies professionnelles demeure l’activité première pour 75 % des CHSCT. Viennent ensuite (60 %) les nouveaux projets (nouvelles machine, technologie, organisation du travail, nouveau bâtiment).

→ Les premiers risques sur lesquels ils travaillent : TMS, manutention (72 %), risques psychosociaux (60 %).

→ 42 % visitent les lieux de travail moins de quatre fois par an, et ne respectent donc pas l’obligation réglementaire.

→ A la question : lors de projet de transformation, le CHSCT est-il consulté ? 33 % répondent pendant le projet ; 36 % non consultés ou uniquement à la fin du projet et 31 % avant le projet. Pour 54,7 % des répondants, les suggestions du CHSCT sont peu suivies (pour 29,8 % bien suivies, et pour 15,5 % pas suivies).

Quelles entreprises sont dotées d’un CHSCT ?

→ La création d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est obligatoire depuis 1982 dans les établissements employant au moins 50 salariés.

→ 72 % des établissements légalement concernés l’ont effectivement mis en place.

→ Les établissements d’au moins 500 salariés sont plus de 95 % à en disposer, contre seulement 59 % de ceux qui emploient entre 50 et 100 salariés.

Source : Dares, enquête Réponse 2004-2005.

Une efficacité variable selon les risques

→ D’après une analyse de Thomas Coutrot (Dares)*, « la présence d’un CHSCT apparaît associée à une meilleure qualité des politiques de prévention de l’établissement, toutes choses égales par ailleurs, pour les risques chimiques et biologiques mais pas les risques physiques et organisationnels ».

→ De plus, « on n’observe pas de lien entre la présence de CHSCT et la santé des salariés ».

* “Le rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en France : une analyse empirique”, Travail et emploi, n° 117, janvier-mars 2009.

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  • VIRGINIE LEBLANC