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« La GPEC permet de se préparer aux chocs de la mondialisation »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 19.10.2010 | VIOLETTE QUEUNIET

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« La GPEC permet de se préparer aux chocs de la mondialisation »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), devenue une obligation légale, permet d’anticiper les chocs inhérents au capitalisme mondialisé et rend le fonctionnement du marché interne du travail plus efficace.

E & C : Dans votre dernier ouvrage*, vous soutenez que la GPEC permet de se préparer à des évolutions qu’on ne connaît pas. De quelle façon ?

François Stankiewicz : De fait, la GPEC s’exerce dans un contexte imprévisible. Cette situation sera durable parce qu’intrinsèque au système, qui est celui du capitalisme mondialisé. Il est composé de plusieurs centres décisionnels ; donc un seul centre décisionnel ne peut pas assurer la contrôlabilité de tout le système. On l’a vu avec la crise en 2008 : née aux Etats-Unis, elle a touché les entreprises françaises et elle n’a pas été vraiment prévue, en tout cas pas au niveau de son intensité.

Nous sommes donc dans un univers imprévisible ou, du moins, dans un brouillard plus ou moins dense. Les techniques de prévision et de prospective peuvent simplement en atténuer l’intensité. C’est pourquoi la GPEC a ici tout à fait sa place. Le management des RH n’est pas condamné à s’inscrire dans un horizon de court terme. Prenons l’exemple des mobilités géographiques : une entreprise ne sait pas ce qu’elles seront concrètement d’ici à trois ou cinq ans. Les sites et le nombre de salariés concernés ne sont pas connus. Mais elle peut s’y préparer. Cela suppose un travail d’analyse et de conceptualisation de la part du manager RH, qui définira des situations types de mobilité et indiquera les mesures qui leur correspondent – selon la distance, les situations familiales, etc. Le jour où ces mobilités se réalisent effectivement, le dispositif est prêt. Bref, on ne connaît pas le futur, mais on connaît le type de choc auquel on sera confronté.

E & C : Les entreprises qui ont signé des accords de GPEC ont-elles mieux affronté la crise ?

F. S. : Le fait d’avoir signé un accord de GPEC n’est pas une garantie absolue à cet égard. Certains accords ne comportent pas véritablement de dispositifs d’anticipation face aux chocs. Mais les entreprises qui avaient une réelle démarche d’anticipation ont mieux affronté la crise. Elles avaient des dispositifs déjà prêts pour faire face aux chutes d’activité. Je pense, par exemple, aux accords mettant en place un dispositif de départs volontaires préalablement au recours à un PSE.

Mais la GPEC n’a été qu’un axe d’action. Le second axe est celui des amortisseurs sociaux – variabilité de la durée du travail, du salaire… – que les entreprises ont pu mettre en place seules ou avec l’aide de la branche ou de la région. Pendant cette crise, il y a eu certains amortisseurs innovants : la possibilité pour les salariés en chômage partiel de suivre une formation ; le prêt de main-d’œuvre entre entreprises d’un bassin d’emploi – cela rejoint la GPEC territoriale.

E & C : La GPEC ne peut empêcher les restructurations et les licenciements. Mais peut-elle en réduire le choc ?

F. S. : La GPEC peut mettre en œuvre d’autres types d’ajustement que les licenciements, et qui comportent moins de dégâts au plan humain. Mais cela nécessite que certaines conditions soient réunies au niveau des relations sociales. La destruction d’emplois est inhérente au capitalisme et donc surviendra un jour ou l’autre dans l’entreprise. Encore faut-il que ce ne soit pas un sujet tabou. Si les organisations syndicales refusent d’admettre qu’un site puisse fermer, qu’un métier évolue du fait d’une innovation technologique, la GPEC devient impossible. Mais elle peut aussi devenir impossible du fait de l’entreprise elle-même. Réfléchir aux chocs du futur, c’est mettre en place des dispositifs par anticipation. Cela veut dire que l’entreprise prend des engagements. Si elle ne les tient pas, la GPEC n’aura pas lieu. J’ajouterai qu’il n’y a pas de sens à prévoir les évolutions si l’on ne peut pas agir peu ou prou sur elles. Ainsi, par exemple, le sous-traitant fortement dépendant d’un grand groupe n’a aucun intérêt à mener seul une démarche de GPEC.

E & C : Outre son rôle d’anticipation, vous soulignez l’importance de la GPEC dans la gestion du “marché interne du travail” de l’entreprise…

F. S. : Même si l’on connaissait parfaitement l’avenir – en l’occurrence les emplois et compétences nécessaires dans trois à cinq ans –, reste à savoir comment passer de la situation présente à celle du futur. Généralement, ce problème est escamoté : on constate les écarts entre la situation actuelle et les besoins à venir et, pour réduire ces écarts, on dit qu’il faudra recourir à la formation, au recrutement, à la mobilité, etc. C’est oublier qu’il existe une multitude de scénarios et de cheminements possibles menant du présent à l’état futur désirable. Des investigations sont nécessaires pour évaluer les plus satisfaisants pour l’entreprise et pour les salariés. La GPEC apporte donc de l’efficacité dans le fonctionnement du marché interne du travail.

En tant qu’architecte et opérateur de ce marché interne, le manager RH a un rôle clé dans la GPEC et c’est là où les enjeux de son action sont les plus importants. Dans les sondages d’opinion régulièrement menés auprès des salariés, le désir de pouvoir évoluer arrive en tête. Mais derrière ce désir apparaît le problème de l’employabilité, car les salariés savent qu’ils ne pourront plus passer quarante ans au même poste et dans la même entreprise. La GPEC est porteuse de cette promesse d’employabilité.

* La GPEC dans un contexte imprévisible.

PARCOURS

• François Stankiewicz, agrégé des universités, est professeur à l’université de Lille 1, membre du Clersé-CNRS et consultant.

• Il enseigne la GPEC et l’audit social dans le master 2 MRH (en formation initiale et continue).

• Il est coauteur, avec François Geuze, de Manager RH. Des concepts pour agir (2e édition, éd. De Boeck, 2010) et de La GPEC dans un contexte imprévisible, qui vient de paraître aux éditions Liaisons.

SES LECTURES

• Plan social, François Marchand, Le Cherche-Midi, 2010.

• Théorie de l’évolution économique, Joseph Schumpeter, Dalloz (traduction de la seconde édition allemande de 1926), 1999.

• Avoir ou Etre ?, Erich Fromm, Robert Laffont, 1993.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET