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Réforme en catimini pour la médecine du travail

L’actualité | publié le : 12.10.2010 | VIRGINIE LEBLANC, VIOLETTE QUEUNIET

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Réforme en catimini pour la médecine du travail

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC, VIOLETTE QUEUNIET

La réforme de la médecine du travail, introduite par voie d’amendements par le gouvernement dans le projet de loi sur les retraites, transforme en profondeur le système actuel de santé au travail. Partisans et détracteurs du texte s’affrontent actuellement au Sénat.

Utiliser le projet de loi sur les retraites pour faire passer la réforme de la médecine du travail : c’est le choix opéré par le gouvernement, avec l’adoption par l’Assemblée nationale, le 15 septembre dernier, d’un amendement devenu aujourd’hui les articles 25 et suivants du projet de loi. Une méthode justifiée par le directeur général du travail, Jean-Denis Combrexelle, dans La Tribune du 29 septembre : « Les conditions de travail (sont) dorénavant au centre des problématiques nouvelles s’articulant autour des questions de pénibilité, de travail des seniors et de gestion des âges, et donc de retraite. » Le procédé a été vivement critiqué par plusieurs syndicats professionnels de médecins du travail et organisations syndicales qui se voient privés d’un large débat sur le sujet.

Mais, sur le fond de la réforme, les avis sont plus nuancés. En effet, la version amendée par la commission des affaires sociales du Sénat reprend les principaux points de convergence des partenaires sociaux, qui ont négocié en 2008 et 2009 sur la réforme des services de santé au travail, sans aboutir à un accord.

Inscription des missions dans la loi

Premier point : l’inscription des missions des services de santé au travail (SST) dans la loi, préconisée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE). « C’est une avancée très importante pour organiser la prévention », estime Christian Dellacherie, membre de la CGT et rapporteur de l’avis du CESE (1). Car pour l’instant, le Code du travail est muet sur la mission de ces services.

Les futurs articles L 4 622-2, 9, 10 réparent cet oubli. Les SST reprennent la mission qui était dévolue au seul médecin du travail : « Eviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. » Conduite d’actions de santé au travail, conseil aux employeurs et aux salariés, surveillance de l’état de santé, suivi et traçabilité des expositions constituent leur feuille de route.

Coordination des actions en région

Localement, chaque SST déclinera cette mission en fonction des besoins locaux et passera avec la Direccte et la Carsat un contrat d’objectifs et de moyens. « Cela permettra de coordonner en région les actions des SST auprès de nos adhérents, au lieu de fonctionner isolément. C’est une avancée », estime Pierre Guinel, directeur médical de l’ACMS, service interentreprises de santé au travail d’Ile-de-France. « Les SST sont enfin dotés d’une mission d’intérêt général. C’est un changement majeur », se réjouit Paul Frimat, professeur de médecine du travail à l’université de Lille 2 (2).

Pluridisciplinarité des SST

La pluridisciplinarité des SST est également affirmée avec des équipes composées de médecins du travail, d’intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP), souvent techniciens, ingénieurs et infirmiers. Des équipes qui peuvent être complétées d’assistants et de professionnels de la santé au travail (ergonomes, psychologues, etc.). « La complexité du monde du travail est telle qu’on a besoin de l’aide de toutes les disciplines », observe Henri Forest, secrétaire confédéral chargé de la santé à la CFDT. Sous la pression des représentants des médecins du travail, la commission des affaires sociales du Sénat a précisé que le médecin du travail animerait cette équipe. Leur rôle pivot dans le système est ainsi réaffirmé.

Paritarisme

Deuxième point clé : l’introduction du paritarisme dans la gouvernance des SST. Dans le texte voté par les députés, le président du conseil d’administration, obligatoirement un employeur, avait une voix prépondérante. Levée de boucliers des syndicats qui dénonçaient une mise sous tutelle patronale, et inquiétude des professionnels de la santé au travail. Finalement, la commission des affaires sociales du Sénat a, le 29 septembre, instauré un véritable paritarisme : président et trésorier se partagent le pouvoir sur un mandat de trois ans, l’un représentant le patronat, l’autre les salariés. « C’est la fin de la mainmise des fédérations patronales locales sur les services de santé au travail », se félicite Jean-François Naton, chargé de la santé au travail à la CGT.

Par ailleurs, les administrateurs patronaux ne seront plus les adhérents de l’association - les SST sont des associations loi 1901 créées par des chefs d’entreprise - mais seront issus des organisations professionnelles d’employeurs. Une disposition destinée à casser les baronnies locales.

Des points à améliorer

Dans son état actuel, le texte est encore loin de satisfaire les supporters d’une vaste réforme de la médecine du travail. Paul Frimat regrette que le rôle des commissions régionales de prévention des risques professionnels n’ait pas été affirmé, alors qu’elles pourraient avoir un rôle moteur dans la mutualisation des actions de prévention des SST au niveau régional.

Autre point à améliorer, selon lui : la question des IPRP. Avec Christian Dellacherie, il plaide pour une meilleure lisibilité de leur fonction : « Ce terme désigne actuellement aussi bien les intervenants salariés d’un SST que les consultants. Il faut réserver le terme d’IPRP aux salariés d’un SST, car ces deux acteurs ne sont pas dans la même situation déontologique. » Le salarié du SST voit, lui, son indépendance garantie en tant que membre de l’équipe pluridisciplinaire (dans un futur décret en Conseil d’Etat).

Insécurité juridique

Tout en appréciant les avancées de la réforme, le Cisme (Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise) estime qu’elle restera inapplicable si on ne supprime pas de nombreux articles d’origine réglementaire dans le Code du travail. Par exemple, ceux qui imposent un nombre de salariés à suivre par le médecin du travail. Des limites qui sont d’ores et déjà non respectées dans certains départements, du fait de la pénurie de médecins (lire encadré p. 5). « Cela pose des problèmes d’insécurité juridique », constate Martial Brun, directeur du Cisme. La question du rythme de la visite d’aptitude devra aussi être débattue. Dans un système désormais axé sur la prévention primaire et à moyens constants, les médecins du travail devront en effet dégager du temps pour des actions en entreprise. L’adoption du texte au Sénat ne sera donc qu’une première étape. Comme le souligne Paul Frimat, « les décrets peuvent encore fortement modifier les orientations de la loi ».

Crise démographique dans la profession

→ La France compte 7 203 médecins du travail équivalents temps plein et 689 services de santé au travail.

→ Plus de 55 % des médecins ont plus de 55 ans.

→ A l’horizon de dix ans, plus de 5 000 médecins du travail, soit près de 80 % de la population totale, auront atteint ou dépassé l’âge légal de départ à la retraite.

Source : Direction générale du travail, 2009.

(1) L’avenir de la médecine du travail, mars 2008.

(2) coauteur, avec Christian Dellacherie et Gilles Leclercq, médecin conseil, d’un rapport sur “la santé au travail, vision nouvelle et professions d’avenir”, mai 2010.

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC, VIOLETTE QUEUNIET